Le début d’année 2024 a été difficile pour le secteur de la restauration, frappé par une vague de fermetures, avant de reprendre son souffle. Après cette « traversée du désert », les acteurs du secteur envisagent l’année prochaine avec plus d’optimisme. Selon un expert, l’industrie est désormais dans une meilleure situation, mais reste fragile.
Frédéric Lacroix-Couture
La Presse Canadienne
Au premier trimestre de 2024, le nombre de restaurants déclarant faillite a été supérieur à la moyenne, tant au Québec que dans le reste du Canada.
Selon l’Association Restauration Québec (ARQ), pour chacun des mois de janvier et février, une soixantaine d’établissements ont fermé leurs portes, et une cinquantaine a fait de même en mars, alors que la moyenne mensuelle se situe entre 20 et 35 faillites.
«Cela serait, selon nous, directement lié au fait de la COVID-19, à la fin des mesures d’aide et à la fin des délais de grâce pour les remboursements», indique le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, Martin. Vézina, en entrevue.
Le niveau d’endettement et l’obligation en janvier de rembourser le prêt du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes, mis en place par le gouvernement fédéral pendant la pandémie, en ont blessé plusieurs.
Restaurants Canada note également une augmentation de 45 % des faillites au pays pour les huit premiers mois de l’année. « Soit plus que les années 2021 et 2022 réunies en chiffres absolus de faillites déclarées », précise le vice-président de l’organisme pour le fédéral et le Québec, Maximilien Roy.
« On s’attendait à un début d’année difficile puis à une éclaircie vers la fin de l’année, et c’est ce qui est en train de se produire », explique-t-il.
Globalement, le nombre de faillites a ralenti au cours du printemps pour revenir ensuite à des niveaux plus habituels, note l’ARQ. M. Vézina indique que la hausse des fermetures a été particulièrement prononcée dans la catégorie des services au comptoir, qui avait été moins touchée pendant la pandémie. L’association ne peut pas expliquer pourquoi ce secteur a vu davantage de restaurants fermer leurs portes.
Finalement, le Québec comptait encore plus de restaurants en novembre qu’au début de l’année. Selon les données compilées par l’ARQ et du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, il y avait plus de 18 550 établissements dans la province, soit une augmentation de 4 % par rapport à janvier.
Ce chiffre reste toutefois inférieur au niveau d’avant la pandémie, qui était d’environ 20 000 personnes.
« Allons-nous rattraper la perte due à la crise sanitaire ? Nous ne le pensons pas. Ce n’est pas avec une croissance de 4 % qu’on pourra revenir au même niveau du nombre d’établissements qu’on avait en février 2020 », soutient M. Vézina, qui estime que 2024 n’est pas une année mémorable.
“Ça va être une bonne année, mais rien de plus”, a-t-il déclaré.
Changements d’habitudes
Malgré le contexte inflationniste et une conjoncture économique moins favorable, l’achalandage est demeuré là, connaissant une légère baisse, mentionne l’ARQ. Les ventes ont globalement augmenté, rapporte Restaurants Canada.
Mais les deux organismes observent que la facture moyenne des clients a peu changé en 2024. « Ils vont autant au restaurant, mais ils y vont autant avec le même budget », relate M. Vézina.
Les prix ont augmenté, on retrouve donc une consommation différente. Parfois, ils abandonnent un dessert, ils abandonnent la bouteille de vin et se limitent à peut-être un ou deux verres de vin.
Le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, Martin Vézina, en entrevue
Tout comme l’ARQ, Restaurants Canada espère que le congé de la TPS jusqu’au 15 février permettra à la fois d’augmenter l’achalandage et d’éliminer cette « barrière psychologique sur le prix » et ainsi inciter les clients à consommer un peu plus.
« Pendant le congé de la TPS, ce que nous calculons, c’est qu’à l’échelle du Canada, nous parlons d’une augmentation des ventes d’environ 1,5 milliard, ce qui représente environ une augmentation en moyenne de 5 %. ventes pour les restaurateurs», explique M. Roy.
Un changement de « pragmatisme » des consommateurs s’est également produit cette année, selon M. Roy, en prenant comme exemple ceux qui font la queue pour recevoir leur café du matin.
« Nous voyons de plus en plus de gens décider de simplement quitter la file parce que cela prend trop de temps et constater que cela n’améliore pas leur qualité de vie », dit-il. […] Les restaurants qui ont su offrir des services plus rapides, proposer la livraison à domicile, sont ceux qui ont réussi à se démarquer en 2024 et poursuivent leur croissance ces jours-ci. »
Évitez de « vous transformer en musée »
Aux yeux du professeur à l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ), Robert Laporte, il est important pour les restaurateurs de savoir « briser le statu quo » pour se repositionner face à une clientèle changeante.
« La restauration est souvent synonyme de tradition. Et cette tradition conduit à des pratiques qui doivent être corrigées. Pas seulement ce qu’il y a dans l’assiette, mais ce qu’il y a autour de l’assiette en termes d’ambiance, de rythme et de qualité de service », mentionne M. Laporte.
Selon lui, les restaurateurs doivent apprendre à faire les choses différemment. «Je ne pense pas que la restauration doive se transformer en musée», dit-il.
Nous ne sommes pas là pour préserver les salles à manger ni même les pratiques de gestion ou les recettes juste pour les préserver. C’est pourquoi on assiste à la fermeture de plusieurs établissements car ils ne sont plus d’actualité.
Robert Laporte, professeur à l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ)
Le professeur de l’ITHQ estime que l’industrie est en profonde transformation. Il affirme que les restaurateurs apprennent notamment à « passer de chef à chef d’entreprise ».
“Les restaurateurs sont dans une meilleure situation, mais ils sont en transition, donc il y a une forme de fragilité” actuellement, estime M. Laporte.
Avec la baisse des taux d’intérêt et le ralentissement de l’inflation, les représentants du secteur estiment que 2025 s’annonce meilleure que cette année.
L’année 2024 « a été un voyage à travers le désert, mais nous arrivons à la fin de l’année et il y a de l’espoir », affirme M. Roy. Il y a certainement quelque chose d’intéressant dans le congé de la TPS. Il semble que nous arrivions à un point où la situation globale de l’industrie s’améliorera. »
Mais il reste deux préoccupations importantes, indique l’ARQ. Gérer certains coûts croissants (loyers et salaires, entre autres), malgré la baisse des coûts alimentaires. Et la question de la main d’œuvre avec les nouvelles mesures d’immigration, énumère M. Vézina.
« En 2025, nous espérons une amélioration peut-être en termes de revenus. Cependant, il faudra veiller pour l’été à ce que nous ayons la main d’œuvre pour maintenir le même achalandage ou offrir les mêmes horaires d’ouverture pour assurer la continuité des ventes pendant une période qui est importante », mentionne-t-il. -il.