Suite à un appel à manifestation d’intérêt, 24 projets de gazéification hydrothermale ont été sélectionnés, la majorité dans l’industrie. Un soutien de l’État est attendu pour faire émerger cette filière qui pourrait transformer de nombreux déchets en gaz renouvelable.
Parmi les défis à relever pour réussir la transition énergétique, la production de méthane à partir de sources renouvelables n’est pas le moindre. Le vecteur gaz reste indispensable pour certains usages dans les procédés industriels et peut maintenir ou prendre un nouvel intérêt dans le bâtiment (chauffage et cuisine), la mobilité (véhicules bioGNV) et la production d’électricité (centrales de pointe dans un système électrique 100% renouvelable). Sa décarbonation est donc indispensable.
La méthanisation des déchets organiques est aujourd’hui le principal moyen d’alimenter le réseau en gaz d’origine renouvelable : à fin novembre, 720 sites de méthanisation disposaient d’une capacité d’injection de 13,2 GWh/an. Si cette technologie continue à se développer de manière significative, elle devrait être suivie par deux de ses cousines : la pyrogazéification et la gazéification hydrothermale. Cette dernière vient de faire l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) au cours duquel 24 projets ont été déposés.
« Il s’agit d’une première en France, qui doit permettre de fédérer le plus grand nombre d’acteurs possible, de démontrer que la gazéification hydrothermale concerne une grande variété de secteurs et d’intrants, et de donner l’opportunité aux aménageurs français de gagner en maturité. afin d’assurer le déploiement industriel de cette technologie »résume Robert Muhlke, directeur du projet gazéification hydrothermale chez GRTgaz.
Des atouts technologiques à confirmer
L’AMI s’est appuyée sur le comité stratégique sectoriel « Nouveaux systèmes énergétiques » et sa gestion a été confiée à GRTgaz, gestionnaire du réseau de transport de gaz. Il est également le leader du groupe de travail national sur la gazéification hydrothermale qui a initié et proposé l’idée de l’AMI fin 2023.
La dynamique révélée par cette AMI est encourageante. Trois grands secteurs d’activité étaient présents dans dix régions différentes :
- des agriculteurs/méthaniseurs qui peuvent ainsi recycler différemment les déchets à faible pouvoir méthanogène et éviter d’avoir des digestats inadaptés ou en trop grande quantité par rapport aux règles d’épandage ;
- des gestionnaires de déchets urbains (publics et privés) qui réduiraient l’impact du traitement de nombreux déchets dont les boues de stations d’épuration et pourraient valoriser les résidus potentiellement valorisables en coproduits (eau, énergie, nutriments) pour leur territoire ;
- des industriels, notamment des secteurs agroalimentaire et chimique, qui y trouveraient un débouché pour les déchets complexes, tout en réduisant le coût de leur traitement et les émissions de gaz à effet de serre associées, en valorisant l’énergie, et en réduisant les impacts sur l’environnement. La quantité de déchets ultimes diminuerait également, avec cette technologie alternative à l’incinération ou à la mise en décharge.
Parmi les lauréats, dix-neuf projets sont de taille industrielle en phase préliminaire et traiteraient au total 1,11 million de tonnes de matière première par an. Cela leur donnerait une capacité d’injection de méthane de 1 900 GWh/an. A noter que deux de ces projets dépassent les 200 GWh/an. Cinq autres projets, de taille industrielle en phase avancée, totalisent 130 000 tonnes de matière première par an pour un total de 90 GWh/an. Il existe également deux projets de démonstration industrielle, de plus petite taille (maximum 4 000 tonnes de matière première par an chacun).
Le total des déchets à valoriser pour ces projets représente 400 000 tonnes de matière sèche par an. La moitié provient de l’industrie agroalimentaire (vinasses, marcs de raisin, résidus de blé…), un petit quart de l’industrie chimique (distillation lourde, boues industrielles…) et le reste est réparti à peu près à parts égales entre digestat et résidus agricoles, boues de stations d’épuration et déchets urbains (graisses, pulpes, glycérine, biodéchets…). 73 % de tous ces déchets sont d’origine biogénique.
Assurer le soutien du public aux projets
« Si les projets doivent être l’occasion d’asseoir le modèle économique de la gazéification hydrothermale, ils sont avant tout nécessaires pour montrer tous les bénéfices de cette solution. Ce n’est en effet qu’à partir d’une certaine taille d’installation que l’on évite les effets de colmatage des canalisations, et que l’on concentre davantage les apports afin d’augmenter la part de carbone qui sera utilisée. pour générer beaucoup plus de gaz injectable en sortie » explique Robert Muhlke.
Pour rappel, deux familles de procédés existent en gazéification hydrothermale à hautes pressions comparables (250 à 300 bars). Le premier fonctionne à haute température (environ 600 à 650°C), le second intègre une catalyse abaissant la température (400 à 450°C) et accélérant le - de réaction. L’eau étant le réactif essentiel, les deux ont l’avantage de pouvoir traiter des déchets à forte teneur en eau. Ils permettent également de mélanger différents types de déchets, de précipiter et d’évacuer la partie inorganique des déchets (phosphore, potassium et métaux) en amont du gazéifieur, et de récupérer l’eau et l’azote en aval du procédé. Et bien sûr disposer d’un gaz de synthèse qui, une fois traité, fournit du méthane et du CO de synthèse.2 résiduel de haute pureté.
Comment garantir la réussite des 24 projets AMI ? « Nous entrons dans une phase de discussion avec les services de l’État afin qu’un soutien financier puisse leur être apporté au travers de contrats expérimentaux. Cela permettrait une période d’apprentissage légèrement plus longue afin que les agriculteurs puissent tester correctement la technologie avec leur apport spécifique. Les aspects réglementaires doivent également être abordés, car aucune section actuelle de l’ICPE n’intègre les procédés de conversion thermochimique. »explique Robert Muhlke.
Un soutien dès 2025 permettrait aux projets de démonstration des développeurs français de se concrétiser d’ici fin 2026 et d’optimiser leur exploitation d’ici 2028. Des déploiements industriels à partir de 2027/2028, intégrant également des Néerlandais, des Suisses et des Espagnols, ouvriraient la voie à la trajectoire de production. projeté par la filière : 2 TWh par an de gaz renouvelable d’ici 2030, 12 TWh d’ici 2035 et au moins 50 TWh d’ici 2040/2050.