l’essentiel
Avant le procès du rugbyman qui l’a taclé, jugé ce mardi 17 décembre à Tarbes pour « violences ayant entraîné une incapacité permanente », Mathias Dantin livre un témoignage sans filtre.
Deux ans après votre accident, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Disons qu’avec ma famille, l’entourage, on a réussi à rebondir assez vite… Mais le quotidien reste très, très dur. Au tout début, quand je regardais des photos de moi, avant l’accident, quand je regardais ce type, je me disais : « il est mort, il faut arrêter d’y penser, il est parti, il faut que tu renaissent dans un nouveau corps. Au quotidien, j’ai toujours besoin de quelqu’un à mes côtés, je ne suis pas du tout indépendante. Les projets que je peux réaliser m’aident à me reconstruire, j’ai toujours été une personne très active. Donc si je restais assis à ne rien faire, en mode sapin de Noël, j’allais m’emporter. Cela fait maintenant deux ans, c’est un triste anniversaire car j’ai failli mourir, mais je suis toujours là.
Médicalement, pouvez-vous expliquer de quoi vous souffrez ?
Je suis tétraplégique C4-C5, tout ce qui est en dessous de la lésion est endommagé. Je peux bouger mes bras, mais je n’ai ni doigts, ni poignet gauche et à peine mon droit. Concernant les « pectoraux », les triceps, les abdos, le bas du dos et les jambes… tout ça, je n’en ai plus. Passer de la chaise au lit, à la chaise de douche, je n’y arrive pas seule. Toutes les quatre heures, je dois faire un cathétérisme et vider la vessie. Je ne peux pas non plus le faire seul. Après, il y a tout ce qui n’est pas « visible » : les intestins, le diaphragme, c’est endommagé. Je dois prendre une vingtaine de médicaments par jour, le moindre geste quotidien est un effort physique intense, je me fatigue très vite. Et ce qui est vraiment difficile, c’est de faire vivre cette situation à ma famille.
Qu’attendez-vous de ce procès ?
La question semble simple, mais la réponse est difficile… Est-ce que je me dis que la personne qui m’a fait ça doit être jugée très durement ? Pas nécessairement. Ce que je souhaite avant tout, c’est que ma dignité soit restaurée le plus possible, que cette injustice soit pointée du doigt. Et que je sois respecté, ce qui n’a pas été le cas depuis le premier jour, notamment en termes d’indemnisation. Je suis gravement blessé au rugby, et il faut qu’il y ait une reconnaissance morale et financière. Deuxièmement, j’espère que cela m’aidera à tourner la page sur le responsable de cet acte. Je n’ai jamais eu de contact avec lui, personne dans la famille n’a jamais essayé de me parler… On pense ce qu’on veut, je n’ai pas forcément d’avis sur le sujet. Mais les faits sont là. Pourrais-je un jour pardonner ? Honnêtement, je ne sais pas.
Avez-vous des souvenirs du geste que vous avez subi, à savoir un « tacle cathédrale » à la fin de ce match scolaire ?
Cette expression me fait sourire à chaque fois car elle est tellement indéfinissable qu’on essaie de trouver un terme qui s’en rapproche. Pour moi, un tacle cathédrale consiste à prendre quelqu’un de face, à le retourner et à le faire tomber sur le dos ou sur la tête. Là, c’était quelque chose de complètement différent. J’y ai souvent pensé. Et je n’ai toujours pas les mots. Cela ressemblait plutôt à une bagarre de rue, j’ai été pris par derrière, il m’a soulevé, m’a porté sur trois mètres et m’a balancé sur la tête, ce qui m’a brisé le cou… C’est un geste d’une violence inouïe, qui n’a pas sa place sur un terrain de rugby. , et même nulle part ailleurs. Personne n’a le droit de faire ça.
Ce qui est assez frappant, c’est que malgré l’accident, votre amour du rugby n’a pas changé d’un iota, comment l’expliquez-vous ?
Ce qui m’est arrivé n’était pas un événement de jeu. Des blessures malheureuses, dans les plaquages, dans les mêlées, il y en a eu… Pour moi, ce n’est pas ça. Donc le rugby, je ne lui en veux pas. Je blâme davantage le destin et la personne qui m’a fait ça. Ce qui m’est arrivé est un fait de société, avec toujours plus de violence partout et au quotidien. Dans le rugby, il y a beaucoup de valeurs à promouvoir et à préserver. C’est un très beau sport, et si un jour j’ai un fils qui me demande de jouer au rugby, je lui dirai oui sans aucune hésitation.
Vraiment ?
Je n’aurai aucune réserve. La seule crainte sera qu’il rencontre quelqu’un comme moi, j’en ai rencontré un…