« Le RN est le seul parti qui n’a jamais eu de programme écologiste » – .

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Stéphane François est historien, professeur de sciences politiques à l’Université de Mons et membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités (EPHE/CNRS/PSL). Spécialiste des droits radicaux et de l’écologie politique radicale, il a publié l’ouvrage en 2022 Les verts-bruns – L’écologie de l’extrême droite française.

Il revient sur les conceptions de l’écologie qui prédominent au sein des mouvements d’extrême droite. L’occasion de rappeler que la gauche n’a pas le monopole de l’écologie et que l’extrême droite, très tôt dans son histoire en Europe, a construit un récit politique autour des questions environnementales sur la base de l’identité. Au sein du Rassemblement national (RN), le positionnement sur l’écologie reste cependant superficiel.

Qu’est-ce que l’écologie d’extrême droite et d’où vient-elle, historiquement ?

Dès la fin du XIXème siècle, on voit apparaître une écologie conservatrice, qui entend préserver l’environnement au sens large, avec un côté rousseauiste : la nature est conçue comme vierge de toute action humaine. En Europe, elle trouve surtout ses racines en Allemagne, qui passera, entre 1860 et 1880, d’un pays presque médiéval composé de principautés, d’États et de villes libres, à un pays unifié autour de la Prusse massivement industrialisé. Elle devient alors la deuxième puissance économique du vieux continent, derrière le Royaume-Uni. Mais cette modernisation ne se fait pas sans violence pour les populations.

Dans les milieux ultranationalistes allemands de l’époque comme le mouvement ethnique – toujours difficile à traduire, mais qui sous-tend un racisme, un populisme et un ethnonationalisme – il y a donc un rejet de la modernité et la défense d’une Allemagne plus archaïque, voire païenne. Ce mouvement sera le premier en Europe à souligner la nécessité de protéger l’eau, l’air, etc. Des préoccupations environnementales plutôt qu’écologiques, certes, liées à une conception romantique du monde.

Le nazisme est en outre un parti ethnique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, des liens sont noués avec plusieurs figures radicales de l’extrême droite européenne, notamment en France.

L’extrême droite ne s’est donc pas « réappropriée » les enjeux écologiques…

Précisément. C’est l’erreur de certains écologistes de gauche de le penser. C’est le même problème avec la nation et le nationalisme. D’un point de vue historique, la nation est d’abord une idée de gauche, née lors de la Révolution française, avec le peuple en armes, etc. Un siècle plus tard, elle était devenue une idée d’extrême droite, même si elle n’était pas encore une idée. pourtant appelé ainsi à l’époque. Souvent dans l’histoire des idées, les mots peuvent changer de champ politique ou idéologique.

Qu’est-ce qui distingue l’écologie « de gauche » de celle de l’extrême droite ?

Dans les années 1960, on assiste à l’explosion d’un discours écologiste de gauche plutôt libertaire, qui cohabite avec les autres courants évoqués plus haut. Là où l’écologie identitaire voudra défendre la nation – voire la course, pour les mouvements (néo) nazis –, l’écologie de gauche défendra les minorités face à l’immigration et les minorités sexuelles et de genre.

A l’époque du régime de Vichy, on avait cette idée de « la terre qui ne ment pas ».

Mais attention : l’écologie identitaire entend aussi défendre certaines minorités, ce sont des minorités ethnorégionalistes. En France, ces mouvements régionaux, comme en Bretagne, peuvent avoir de fortes affinités avec l’extrême droite. L’idée, défendue notamment par le mouvement identitaire Terre et Peuple, est que chaque nation possède une ethnie et qu’il faut défendre cet ethnorégionalisme. Au-delà de cette différence majeure, il peut cependant y avoir des thèmes communs entre l’écologie de gauche et l’écologie identitaire.

Quels sont les principaux idéologues en France de cette écologie identitaire depuis la Seconde Guerre mondiale ?

A l’époque du régime de Vichy, et même si certains hauts fonctionnaires et technocrates en exercice étaient déjà très technophiles, on avait cette idée de « la terre qui ne ment pas », pour reprendre une expression pétainiste. Pour rester au niveau français, après la guerre, on voit des discours écologistes dans ce milieu. C’est le cas d’Henry Coston par exemple. Collaborationniste, antisémite, anti-maçonnique et théoricien du complot notoire, il était proche d’anciens SS, mais aussi de pionniers français de l’agriculture biologique comme l’équipe de La Vie claire. Il a mis en avant une écologie qui va de pair avec un refus de la technologie.

On les voit surtout réapparaître dans le mouvement ethnique Allemand, avec des connexions via d’anciens membres de la SS, avec une conception païenne du monde. Chaque ethnie est considérée comme liée à un territoire, voire une terre, avec des pratiques païennes qui lui sont propres.

Écologie identitaire ethnique va ensuite infuser dans les milieux nazis, néo-nazis et l’extrême droite française, puis, édulcoré, dans le mouvement de la Nouvelle Droite [courant de pensée politique d’extrême droite tendance nationale-européenne apparue en 1969, ndlr]. On le retrouve d’abord, quelque peu édulcoré, chez Dominique Venner et le mouvement d’extrême droite Europe Action, puis au sein du Groupe de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), émanation de la Nouvelle Droite.

Les Grecs reprendront peu à peu la thèse, formulée en 1966 lors d’une célèbre conférence par l’Américaine Lynn White Jr dans son discours sur « Les racines historiques de notre crise écologique », sur les origines chrétiennes (surtout catholiques) de notre désastre écologique.

À partir de la seconde moitié des années 1970, ces discours d’inspiration nazie refont surface au sein de la Nouvelle Droite, notamment sous l’impulsion d’anciens SS participants aux activités du GRECE : Saint-Loup (Marc Augier), Robert Dun (Maurice Martin), Robert Blanche. Puis ils quitteront, avec d’autres radicaux du GRECE, pour Terre et Peuple, la structure fondée par Pierre Vial, qui deviendra un courant du FN, puis une entité autonome. Ce sera l’un des premiers groupes identitaires français en tant que tel.

Alain de Benoist, principal représentant de la Nouvelle Droite, a joué un rôle central : à partir du milieu des années 1970, il abandonne le côté technophile du GRECE pour redécouvrir les penseurs “de tradition” comme René Guénon ou Julius Evola. Il découvre également la philosophie de Martin Heidegger, dont le discours était baigné de réflexion. ethnique. C’est ainsi que se forgent les conceptions écologiques des éléments radicaux du mouvement identitaire français.

Quel est l’héritage moderne de cette écologie au FN, puis au RN ?

Le Front national (FN), sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, n’a jamais eu un intérêt marqué pour l’écologie. Il a été choisi par les membres de l’Ordre Nouveau, créateurs du FN, pour avoir une figure plutôt consensuelle à l’extrême droite. Il est issu du mouvement pétainiste bien réintégré dans la vie politique française après la Seconde Guerre mondiale, et il est plutôt libéral, sur le plan économique.

Au FN/RN, on a une juxtaposition selon les époques : d’un côté l’écologie d’extrême droite théorisée par les éléments les plus radicaux, et de l’autre un désintérêt massif de la part des cadres du parti. Le niveau d’intérêt pour l’écologie fluctue selon les arrivées et départs de personnalités plus radicales.

Le premier moment où le FN s’est saisi des questions écologiques, c’est lorsque Bruno Mégret, passé par le GRECE, y est entré. Conscient que le communisme a disparu et qu’il faut trouver un nouvel ennemi, il défend une « écologie-nationale »en lien avec l’écologie des populations, et conçoit le discours du FN centré autour de la notion d’identité.

La seconde a eu lieu lorsque Marine Le Pen a pris le contrôle du parti et a fait appel à Laurent Ozon, militant écologiste et ancien du GRECE. Il a finalement démissionné en 2011 après des tweets de soutien à l’assassin des attentats d’Oslo.

La thématique écologique s’est repliée jusqu’à l’arrivée d’Hervé Juvin (considéré comme ministre de l’Ecologie par Marine Le Pen lors de sa campagne de 2017), mais l’eurodéputé sera condamné pour violences conjugales en 2022. Aujourd’hui, il resterait théoriquement Andrea Kotarac, proche de Juvin, dissident de gauche, mais il semble inaudible. Autrement dit, il n’existe pas de figure clairement définie qui puisse incarner un ministre de l’Environnement sous un gouvernement RN.

Le discours du FN (puis du RN) a cependant évolué : pendant longtemps, Jean-Marie Le Pen l’a considéré comme un « souci de bobo »

En 2011-2012, Marine Le Pen faisait encore des déclarations climato-sceptiques. Attaquée, elle est devenue prudente. Pourtant, son programme pour l’élection présidentielle de 2017 ne comportait quasiment rien sur l’écologie. Le changement s’est produit lors des élections européennes de 2019.

En 2022, les mots qui revenaient le plus souvent dans son émission n’avaient rien à voir avec l’écologie : ils concernaient la souveraineté et la nation. Plus récemment, elle a fustigé la soi-disant écologie “punitif”opposé à une soi-disant écologie “positif” qu’elle n’a jamais défini. Nous sommes dans une défense des paysages français aux allures de carte postale.

Jordan Bardella est en effet sur une ligne identitaire. Le RN est pour ainsi dire le seul parti qui n’a jamais eu de programme écologique.

Le discours du FN/RN sur l’écologie est très superficiel. Cela se résume à la préservation du patrimoine visuel et des paysages : pas d’éoliennes, pas de photovoltaïque. Le RN est aujourd’hui un parti très technophile, qui défend le démantèlement des éoliennes, des panneaux solaires et la relance du nucléaire. Dans le même temps, les députés FN puis RN ont toujours tenu des propos très agressifs contre les rapports du GIEC.

Que reste-t-il de l’écologie dans le programme du RN pour les législatives ?

On l’a vu en 2023 lors du débat entre Jordan Bardella et Hugo Clément : là où l’un parlait d’écologie, l’autre ne parlait que d’immigration. De fait, Jordan Bardella est bel et bien sur une ligne identitaire. Le RN est pour ainsi dire le seul parti à n’avoir jamais eu de programme écologiste.

Nous arrivons à la deuxième partie de votre question : qu’est-ce que “resterait de l’écologie” dans le programme RN, c’est le localisme. Cependant, ce terme n’est pas synonyme d’écologie : ce n’est pas parce qu’on produit quelque chose localement qu’il sera forcément meilleur, même si on limite ainsi l’impact climatique lié aux transports. Le localisme, c’est aussi faire l’éloge de la production « chez soi » plutôt que « chez soi », cela renvoie au nationalisme.

Depuis les années 2000, les identitaires ont beaucoup investi dans certaines AMAP (Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), pas toujours explicitement. Au fond, le problème, c’est la polysémie derrière le mot « local ». L’écologie défendue par le RN reste très superficielle. Au-delà de la défense des territoires et des paysages, aucune campagne FN ou RN n’a jamais défendu les zones humides (marais par exemple) pour protéger la biodiversité…

Plus généralement, peut-on parler, comme Antoine Dubiau dans son livre éponyme, d’écofascisme dans l’écologie politique ?

À mon avis, le terme écofascisme lui-même est problématique. Car comment le définir ? C’est polysémique. Si vous êtes libéral ou libertaire, pour vous, un écofasciste sera quelqu’un qui veut imposer des mesures restrictives, quelqu’un qui veut une écologie punitive et autoritaire. A l’inverse, certains écologistes réclament un régime musclé pour imposer des réformes difficiles, car ils estiment que la démocratie est impossible.

Enfin, nous avons des néofascistes qui se revendiquent écologistes, comme l’écofasciste autoproclamé Brenton Tarrant, qui a tué cinquante et une personnes à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019. Dans le même temps, la plupart de l’extrême droite refuse l’étiquette de fasciste qui est disqualifiante. Le terme est trop polysémique pour être efficace.

Stéphane François est historien, professeur de sciences politiques à l’Université de Mons et membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités (EPHE/CNRS/PSL).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

 
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