Le lynchage facile d’Haroun Bouazzi

Le lynchage facile d’Haroun Bouazzi
Le lynchage facile d’Haroun Bouazzi

Quelle aubaine pour tous ceux qui prospèrent grâce à l’indignation ! Un député fait quelques fautes de langage, il reçoit deux motions parlementaires et une volée nationale de bois vert (ou plutôt de bois bleu ?), et tous les commentaires instantanés lui tombent dessus. C’est un peu facile.

Oui, Haroun Bouazzi a dit des bêtises. En fait, il était particulièrement déprimé lorsqu’il tentait de se défendre, par exemple lorsqu’il imaginait que le ministre Lionel Carmant avait dit que c’était la faute des immigrants si les intervenantes des centres jeunesse couchaient avec des mineurs. . Franchement…

Mais quand M. Bouazzi dit voir « chaque jour à l’Assemblée nationale – la construction de cet Autre, de cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman… » […] et sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure », est-ce vraiment si loin de la réalité ?

C’est encore l’Assemblée nationale qui a retiré à plusieurs de nos concitoyens les droits garantis par notre propre Charte, sans aucune démonstration de ce que cela devrait résoudre. Et, à moins que vous n’ayez vécu dans une grotte au cours des 15 dernières années, nous savons tous à quelle communauté cela s’adressait. D’ailleurs, nombre de ceux qui ont soutenu le projet de loi 21 n’ont jamais hésité à affirmer que le problème est essentiellement musulman, et le répètent chaque fois qu’ils en ont l’occasion.

C’est aussi l’actuel premier ministre qui a accusé ceux qui ne sont pas d’accord avec le projet de loi 21 de ne pas vouloir « défendre les valeurs québécoises ». Est-il possible d’être plus clair ?

Personnellement, je crois que M. Legault a tort. Ce sont des valeurs universelles qui sont inscrites dans notre Charte. C’est pourquoi son titre est « Charte québécoise des droits et libertés de la personne », et non « Charte des droits et libertés du Québec ». Je crois aussi, comme René Lévesque et contrairement à François Legault, que les droits fondamentaux ne doivent pas être garantis seulement lorsque cela arrange la majorité ou le gouvernement en place.

Mais cela ne change rien au message répété par M. Legault, son gouvernement et le gouvernement d’attente du Parti québécois : les valeurs québécoises sont supérieures aux autres, et nous en sommes tellement convaincus que nous utiliserons toutes les mesures législatives et outils judiciaires à notre disposition pour les défendre.

Aux dernières nouvelles, ces questions sont toujours en débat à l’Assemblée nationale. Soutenir que tout cela construit un « Autre qui est maghrébin, qui est musulman, et dont la culture serait dangereuse ou inférieure » est une affirmation qui peut faire débat, mais peut-on vraiment s’étonner que les premières personnes ciblées le pensent ?

Si vous n’êtes pas convaincu, allez parler aux femmes musulmanes qui portent le hijab et demandez-leur ce qu’elles pensent du fait de devoir constamment se justifier que cela ne fait pas d’elles des fondamentalistes. Mon beau-frère – un « indigène » un peu brun qui pouvait passer pour un Arabe – s’était déjà fait dire dans la rue de retourner dans son pays. Le discours sur les musulmans est devenu tellement décomplexé qu’il est devenu acceptable d’apostropher des étrangers pour leur reprocher leur origine, réelle ou imaginaire. Et nous ne parlons pas des réseaux sociaux…

Depuis la saga des accommodements raisonnables et déraisonnables, en passant par l’épisode de la charte des valeurs (avec une minuscule, s’il vous plaît, par respect d’autrui), certaines pratiques religieuses des musulmans québécois à part entière — il faut insister — ont été à plusieurs reprises considérée comme une menace pour notre mode de vie. Ce n’était ni caché ni subtil, c’était l’argument principal, explicite et fondamental pour violer notre propre Charte des droits. Nous devrions au moins le supposer !

Tout ce qui en a résulté est-il entièrement de la faute des élus ? Encore une fois, entre adultes, cela fait débat. Mais il n’est certainement pas grotesque d’affirmer que l’action des parlementaires a légitimé certains discours à l’égard de nos concitoyens musulmans. Au minimum, nous pouvons affirmer de manière rigoureuse et factuelle qu’en exemptant la loi 21 de l’application des articles 1 à 38 de notre Charte, l’Assemblée nationale a confirmé par voie législative que non seulement la discrimination fondée sur l’appartenance à une communauté religieuse est acceptable , mais qu’elle a force de loi au Québec, et que nos droits fondamentaux ont été réduits pour la rendre incontestable.

Haroun Bouazzi a peut-être dit une bêtise, mais il n’a enlevé aucun droit à personne.

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Maintenant, si l’on adopte une vision plus large : au micro de Patrick Masbourian, M. Bouazzi a estimé que le fait que la Coalition Avenir Québec (CAQ) pointe régulièrement l’immigration comme responsable des problèmes dans les services publics contribuait à présenter « l’Autre comme étant un danger pour le Québec ». Est-ce que quelqu’un pense qu’il a exagéré ? Vraiment ?

En septembre 2022, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, François Legault, premier ministre sortant, expliquait qu’il serait « suicidaire » pour le Québec d’accueillir plus de 50 000 immigrants par année. Pouvons-nous au moins convenir que le suicide est dangereux, même pour une nation ?

Quelques jours plus tôt, Jean Boulet, un autre membre du cabinet caquiste, laissait échapper que « 80 % des immigrants […] ne travaillez pas, ne parlez pas français ou n’adhérez pas aux valeurs de la société québécoise. Tout allait mal. M. Boulet était alors ministre sortant de… l’Immigration.

Démontrer que l’immigration – et donc les immigrants – constituent une menace pour le Québec, c’est la méthode qu’a utilisée la CAQ pour se faire élire puis se maintenir au pouvoir. Les deux dernières élections portaient sur cela. Ce n’était pas un hasard ou des circonstances, c’était le plan de match. Depuis, chaque fois que quelque chose est bloqué au Québec, la CAQ blâme les immigrants, même lorsqu’il s’agit de problèmes qui nous affligent depuis des années, voire des décennies, et dans des régions où les immigrants sont presque absents.

Haroun Bouazzi s’est peut-être exprimé avec maladresse, mais il a surtout observé ce que tentent de faire au quotidien les politiques populistes.

C’est un peu navrant que d’autres hommes politiques aient choisi de participer à ce lynchage facile.

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