« On s’appelle deux fois par jour, et pas seulement pour vérifier qu’on est toujours en vie ! » – .

« On s’appelle deux fois par jour, et pas seulement pour vérifier qu’on est toujours en vie ! » – .
« On s’appelle deux fois par jour, et pas seulement pour vérifier qu’on est toujours en vie ! » – .

De quoi parle-t-on quand on appelle avec Damien ? Je ne sais pas trop comment vous le dire… J’ai 90 ans et mon petit frère 83 ans. D’habitude, on se voit régulièrement puisqu’il habite aussi en région parisienne, mais en ce moment, il est en Bretagne. Je l’appelle donc tous les jours, une fois le matin, avant 10 heures, et une fois le soir, avant le JT de 20 heures. On parle de météo, rien. Le matin par exemple, il me disait : « je vais jouer aux boules « . Et le soir, je lui demande s’il a gagné. Il me répond : ” J’ai perdu trois matchs “, ou : ” J’en ai gagné deux « . Nous avons juste besoin de parler. Cela nous calme. J’ai toujours peur qu’il se passe quelque chose. Peut-être parce que j’ai perdu un fils, puis mon mari aussi. Mais je ne l’appelle pas seulement pour vérifier qu’il est vivant !

Avec Damien, nous avons toujours eu une relation très étroite. Je pense que nous sommes mentalement similaires. Nous ressentons les mêmes choses. Si quelqu’un nous fait du mal, par exemple, nous laisserons tomber. Nous vivons plus pour les autres que pour nous-mêmes. Et puis Damien est quelqu’un de très doux. Ce n’est pas un homme qui vous donne de grandes indications lorsque vous lui demandez conseil. Il ne se précipite jamais. Il rassure.

« Avec Damien, on vit plus pour les autres que pour soi. »

Compte tenu de mon âge, j’envisage aujourd’hui de vendre mon appartement en région parisienne. J’adore vivre là-bas, mais mes enfants sont loin, à 7 heures. Je me dis qu’il vaudrait peut-être mieux se rapprocher d’eux. Oui, admettons, je dois aller à l’hôpital, ou quelque chose du genre. C’est ma réflexion actuelle. Quand j’en parle à Damien, il me dit : « Pensez à La Didou, prenez le temps, vous verrez ça va s’installer. » « La Didou », c’est un surnom qui remonte à l’enfance. Quand Damien était bébé, je me souviens, je ne supportais pas de l’entendre pleurer. Je me suis approché du landau, je l’ai fait rouler pour le bercer et puis j’ai chanté, n’importe quoi. L’une des comptines disait : « Didou-didou-didadidou ». » Alors, quand mon frère a appris à parler, il m’a appelé « La Didou » et ça est resté.

Avec mes parents, Damien et notre sœur, nous vivions en centre Bretagne, près de Pontivy, dans une famille modeste. Maman était couturière. Papa était maçon. J’aime beaucoup ma sœur, bien sûr, mais il n’y a jamais eu la même alchimie avec elle qu’avec mon frère. Ce n’est pas vraiment explicable. C’est comme ça. Nous avons toujours été proches de Damien, tout de suite. Cela n’a jamais changé.

Quand je me suis mariée, Damien avait 13 ans et moi 19 ans. J’ai immédiatement emménagé dans la maison de mon mari, à 5 kilomètres de mes parents. Là-bas, j’ai vécu 3 ans avec ma belle-mère, qui ne me valorisait pas. Elle était vraiment méchante. Elle me dénigrait constamment. Je me souviens d’une fois. Un homme parlait à la radio. Elle se tourna vers son fils et parla de moi : « Celle-là, si elle était à Paris, elle partirait avec cet homme ». C’était gratuit. Même lorsque j’étais enceinte de mon premier fils, elle m’obligeait à aller chercher de l’eau à la fontaine. Il y avait 4 ou 5 marches à monter, et j’ai eu beaucoup de mal à remonter avec le seau…

Damien savait que j’étais malheureux. Alors tous les jours, pendant les vacances scolaires, il venait me voir. Il marchait 5 kilomètres, à travers champs, pour passer du temps avec moi. Mais quand il arrivait, ma belle-mère l’envoyait souvent passer la herse dans le jardin, avec le cheval. Ça m’a fait peur. Il n’avait que 13 ans… Mais parfois, nous parvenions tous les deux à lui voler un moment. Je me souviens d’une fois où le chien a eu des bébés près du moulin et ma belle-mère les a noyés. Mais j’ai réussi à en sauver un. Je l’avais caché dans la paille. Quand Damien est arrivé, je lui ai montré le chiot : « Écoute, tu dois l’emmener chez maman et papa, sinon ils le tueront ici. » Il avait peur que mes parents désapprouvent, mais en fait, ils sont devenus fous de ce chien. C’était un petit terrier noir et blanc, superintelligent… Comment s’appelait-il déjà ? Mickey. Oui c’est vrai, il s’appelait Mickey.

« Avec ma sœur, il n’y a jamais eu la même alchimie qu’avec mon frère. C’est comme ça. »

Quand mon mari a enfin compris le jeu de sa mère, nous sommes partis en région parisienne. Nous nous sommes d’abord installés dans un hôtel du XIe arrondissement, puis un cousin nous a légué un studio à Belleville. Là, Damien nous a rejoint. Il devient peintre en bâtiment. Mon mari était mécanicien chez Renault. Je travaillais pour une grande entreprise d’électronique, contrôlant des appareils, et je venais d’avoir un deuxième enfant. Nous étions 5 à vivre dans le studio. Ce n’était pas facile.

Nous avons déménagé lorsque j’ai donné naissance à mon troisième fils. J’ai quitté le studio de la maternité et suis retourné dans un deux pièces, dans le même immeuble. Damien a pris son appartement, avec sa femme, Violette, qu’il venait de rencontrer. Ma belle-soeur, je l’ai tout de suite aimée. Nous les avons invités tous les dimanches. J’ai cuisiné. Les hommes jouaient à la belote. Nous étions ensemble.

Nous nous sommes toujours beaucoup vus. Pour les anniversaires de chacun, 20 ans, 40 ans de mariage, nous avons loué une salle des fêtes en région parisienne. Nous cuisinions deux ou trois entrées, une langue de bœuf sauce gribiche, un gigot d’agneau aux haricots – à l’époque, il y avait plus de plats qu’aujourd’hui ! Et on a dansé, on a chanté : « Les cigognes sont de retour/Avec le soleil des beaux jours/Les amis, chantons le refrain/La vie est belle, chantons l’amour… »

Quand j’ai aussi perdu mon fils, Damien et Violette venaient me voir tous les soirs. Mon fils avait 35 ans. Il aurait 60 ans aujourd’hui. Comme il s’agissait d’un accident, d’une électrocution, il a dû être emmené à l’Institut médico-légal. Damien et Violette étaient là. Et chaque soir, ils venaient, pendant des semaines. Un peu comme quand j’étais chez ma belle-mère en fait… Je n’avais jamais fait le rapprochement. Il s’agit d’en parler… Notre relation avec Damien est moins une question de mots que nous échangeons, il s’agit toujours d’être présents l’un pour l’autre. C’est soulageant de se sentir aimé.

« Notre relation avec Damien repose moins sur les mots que nous échangeons, il s’agit toujours d’être là l’un pour l’autre. »

Damien était là aussi quand j’ai perdu mon mari en 1985. Il a eu une crise cardiaque dans la voiture, au retour de vacances, près de Rennes. Mon frère est venu tout droit de Paris. Et puis c’est sa femme, Violette, qui a eu un accident vasculaire cérébral et est restée longtemps malade. Là, c’était moi qui allais les voir le plus souvent possible. Il faut voir à quel point il était gentil avec elle. Il s’en est très bien occupé, mais ensuite super, super, super. Il n’y a pas beaucoup d’hommes qui auraient fait ce qu’il a fait. De s’occuper constamment d’elle, à toujours lui cuisiner ce qu’elle préférait… Violette est décédée il y a un an. C’est aussi pour cela qu’aujourd’hui, je l’appelle deux fois par jour.

Le prénom a été modifié.

 
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