la poule aux œufs d’or pour les éditeurs

la poule aux œufs d’or pour les éditeurs
la poule aux œufs d’or pour les éditeurs

Mercredi 19 juin 2024. Depuis que la date de sortie du quatrième et dernier tome de la saga « Les Saisons » de Morgane Moncomble est tombée, les lecteurs s’impatientent. Pas question de rater ce rendez-vous ni d’être en rupture de stock. Comme des centaines de fans, un lecteur passionné confie : « Dès l’annonce de la sortie sur les réseaux, je l’ai précommandé chez mon libraire. » Avec dix romans à son actif et plus d’un million de ventes, Morgane Moncomble s’impose à 28 ans comme la figure phare de la nouvelle romance française. En mars dernier, son précédent opus avait, dès sa sortie, époustouflé la politesse de deux poids lourds de la rédaction, Guillaume Musso et Joël Dicker, se hissant directement à la première place des ventes.

Le scénario devrait se répéter pour ce nouveau tome, Un été pour te retrouver. Ce genre, qui cartonne en librairie, venu d’outre-Atlantique – comme le suggèrent les nombreux anglicismes de l’article – répond à des éléments bien codifiés : une histoire d’amour bien sûr, une narration à la première personne, des personnages jeunes avec lesquels le un lectorat (tout aussi jeune) peut identifier ceux qui ont souvent vécu des traumatismes. Ajoutez des scènes de sexe un peu crues aux épreuves que doivent surmonter les héros pour conclure sur une fin invariablement heureuse. La recette a fait ses preuves et est disponible dans différents sous-genres. Les ventes de New Romance ont doublé en 2023 pour capter 7 % du marché du livre, avec plus de 6 millions de livres vendus.

Le lectorat augmente, attirant de plus en plus de jeunes. Ce qui peut devenir problématique. Morgane Moncomble elle-même avoue sa surprise lorsqu’elle rencontre des lecteurs d’à peine 11 ans lors de séances de dédicaces : « ce qui est bien trop tôt pour que je le lise, car certaines scènes sont explicites « . Ces scènes, mêlées de féminisme, sont fortement démonstratives des notions de respect et de consentement mutuel. Ainsi, dans le premier volume Un automne pour te pardonnersur quatre longues pages, une scène entrecoupe les étreintes de : « J’avais peur de faire quelque chose qu’elle n’aimerait pas, mais elle venait de me donner le feu vert » ; ” Je prends le temps dont j’ai besoin » ; “ ce qui m’importe c’est qu’elle se sente à l’aise. » Le bon vieil Arlequin revisité avec des thèmes sociétaux à la mode – consentement, harcèlement, santé mentale, handicap, tolérance, fatphobie…

Soumise et sous contrôle

Pour autant, la vague #MeToo ne semble pas avoir atteint certains rivages de la New Romance. Sa version licencieuse et immorale, Dark Romance, défraye la chronique et effraie les féministes. Et ça se vend comme des petits pains chauds. Dans ces histoires d’amour, les relations sont toujours extrêmement malsaines, les femmes sont généralement soumises, sous emprise, subissant les violences psychologiques, physiques et sexuelles de la part d’un personnage masculin aux mœurs douteuses. La séquestration, la manipulation, la torture et le viol y sont monnaie courante. On pourrait penser à la persistance d’un goût très français. L’éditeur Jean-Jacques Pauvert n’avait-il pas, en son temps, libéré de la censure les œuvres du marquis de Sade, ni même publié Pauline Réage, qui éleva en histoire d’O soumission amoureuse au rang d’absolu ?

La grande différence – outre celle du style, parent pauvre du genre –, c’est que ces œuvres sont appréciées d’un public prépubère. Au point d’inquiéter libraires et éditeurs. D’autant que la tendance est à la surenchère. Ces derniers ont décidé de mettre des avertissements sur certains livres, parfois des recommandations d’âge. Les listes de déclencher des avertissements (avertissements aux lecteurs) sont aussi longs que votre bras. Sorti en France le 7 mars L’Ombre d’Adeline, de HD Carlton, est classé comme une « romance d’horreur ». Le livre est joint sous cloque pour ne pas être feuilleté par des mains trop naïves. Dans certains points de vente, le roman a été retiré des rayons et n’est disponible que sur demande, afin de vérifier l’âge des clients.

Le reste après cette annonce

Édith Bravard a ouvert en avril dernier sa librairie L’Encre du coeur à Rouen, entièrement dédiée à la romance. Elle nous explique que c’est le seul livre qu’elle refuse de vendre aux moins de 18 ans. La cause ? La manière dont le livre érotise les viols successifs dont est victime l’héroïne, qui finit par tomber sous le charme de son agresseur. Mais la référence en matière de Dark Romance reste le roman en trois tomes Captif, écrit par une écrivaine algérienne de 25 ans, Sarah Rivens. 700 000 exemplaires vendus rien que pour le premier tome. Quel étonnant paradoxe ! À l’heure où l’on réécrit les classiques – on se souvient des romans d’Agatha Christie, Roald Dahl ou Ian Fleming –, où l’on boycotte les artistes et démystifie les statues, il n’existe que des romans mettant en scène des relations toxiques, des machos riches et sexy et des pervers dominateurs qui se vendent par centaines. de milliers d’exemplaires.

Hugo Publishing, un éditeur ultra-hégémonique

Derrière la ferveur pour ces différents genres de romance se cache un éditeur ultra-hégémonique sur le marché, Hugo Publishing. Quand en 2012, le phénomène du livre Cinquante nuances de gris d’EL James arrive en France (7,8 millions de ventes toutes éditions confondues), le fondateur de la maison Hugo & Cie, Hugues de Saint Vincent, sent la bonne affaire et décide de prendre ce virage éditorial. Il dépose la marque New Romance et lance son label, Hugo New Romance, l’année suivante.

Un paradoxe surprenant à l’heure où l’on réécrit les classiques

L’initiative est couronnée de son premier grand succès avec Beau batard de Christina Lauren, romance « de bureau » mettant en scène une stagiaire et son patron arrogant mais séduisant. A suivre en 2015 Après, d’Anna Todd, vendu à 5 millions d’exemplaires en France. La maison d’édition fait le pari de s’adresser à un autre public que la rive gauche parisienne, celui des critiques littéraires germanophones, pour toucher directement le cœur du grand public. Quelques années plus tard, le pari s’avère gagnant puisque l’entreprise, reprise en 2018 par le fils, Arthur de Saint Vincent, place 9 titres en 2023 dans les 100 meilleures ventes de romans grand format. Avec un rythme de croisière de 150 publications annuelles, la maison d’édition atteindra un chiffre d’affaires de 22,6 millions d’euros en 2023.

A son catalogue : Morgane Moncomble, la Texane Colleen Hoover, « CoHo » (1,4 million de ventes en France en 2023), ou encore la nouvelle venue Rebecca Yarros, à travers laquelle l’éditeur s’ouvre au genre Romantasy (contraction de romance et de fantaisie), qui a déjà largement dépassé, depuis le lancement en février dernier de Quatrième aile, 50 000 ventes. Face aux chiffres époustouflants d’un segment éditorial jusqu’ici méprisé et négligé, de nouveaux concurrents surgissent dans le domaine de la New Romance. BMR, le « label de romances décomplexées » chez Hachette, éditeur de Sarah Rivens.

En 2023, le label Olympe est créé, pêle-mêle, chez Madrigall, la société d’Antoine Gallimard, du côté de Romantasy, ou Chatterley chez Editis, dont le nom rend hommage au roman à scandale de l’auteur anglais DH Lawrence. Les très élitistes Éditions du Seuil se sont également alignées sur l’annonce de la création du label grand public Verso, dédié à la littérature de genre. Mais Hugo Publishing reste encore largement en tête, multipliant ses activités et ses initiatives. Ainsi, les éditions organisent un festival dédié à la Nouvelle Romance dont la huitième édition se tiendra début novembre à Lyon. Les billets, soit environ 10 000 entrées, ont été vendus en quelques minutes.

Les rencontres physiques avec les auteurs sont extrêmement appréciées des lecteurs. Quitte à payer 49 euros pour le pass trois jours, 149 euros pour le pass fan donnant accès à une soirée avec les auteurs et à une soirée de gala. Hugo a également lancé sa propre plateforme d’écriture en ligne, Fyctia, sur laquelle sont régulièrement organisés des concours permettant de publier les textes les plus appréciés. En juin, la maison d’édition a annoncé le lancement en kiosque avec Reworld Media du Nouveau magazine romantiqueOMS “ proposera à ses lecteurs plus de 90 pages de romances contemporaines sous forme de nouvelles, explorant les différents aspects du quotidien comme l’émancipation, la quête de soi, la santé mentale et la complexité des relations amoureuses… sans oublier le côté érotique. « .

Phénomène TikTok

Différents facteurs expliquent l’explosion du genre, notamment auprès des jeunes. Le Pass Culture, dispositif public qui permet aux jeunes de 15 à 18 ans d’accéder à 380 euros de produits culturels, est une clé d’explication. Pour toujours par Colleen Hoover et Captif sont les titres les plus réservés, selon une enquête d’avril 2023 du Syndicat de la librairie française. Mais le succès de New Romance est surtout attribué aux réseaux sociaux, TikTok et Instagram, où une communauté mondiale réunie sous la bannière #booktok (le hashtag le plus viral du réseau social chinois en 2023, comptant 200 milliards de vues cumulées) échange ses coups de cœur personnels. et des conseils de lecture. Le pouvoir prescriptif de la plateforme est impressionnant, à faire pâlir d’envie les journalistes. A chaque coup de cœur, les ventes décollent et les bannières « phénomène TikTok » fleurissent sur les livres.

La libraire rouennaise Édith Bravard nous le confirme : « De nombreux clients, souvent jeunes, me disent quand je leur recommande un livre : de toute façon, si je ne l’ai pas vu sur TikTok, je ne l’achète pas. Ils ne veulent pas sortir de leur zone de confort. » Si les auteurs utilisent depuis longtemps les réseaux sociaux pour promouvoir leurs romans, leur dimension est toute autre avec New Romance, avec un lien vers le lecteur personnalisé. Maëlle, 20 ans, a déjà rencontré Morgane Moncomble lors d’une séance de dédicaces : « Je l’aime en tant que personne et je la suis depuis ses débuts. Elle est tellement proche de nous sur les réseaux, et elle sait s’adresser à un public plus jeune par rapport aux autres auteurs. » En effet, la reine française de la Nouvelle Romance entretient au quotidien ses liens avec sa communauté, avec une grande intimité dans son ton.

Le Pass Culture contribue au succès de ce genre auprès des 15-18 ans

Dès l’annonce des dates de sa tournée de dédicaces, elle a répondu à leurs inquiétudes : « On devait faire plusieurs dates dans le Sud, mais finalement ça n’a pas marché […] Je ne suis pas seul à décider… » ; ” J’avais prévenu qu’il y avait les épreuves du bac, malheureusement on n’a pas pu éviter la dédicace le jour de la sortie. » Et elle conclut invariablement ses messages par un « Amour, Morgane « . Chaque auteur dispose d’une communauté soudée, dont les liens, souvent anciens, sont nés sur des plateformes d’écriture collaborative, notamment Wattpad, où le rôle des lecteurs est essentiel pour commenter, féliciter ou corriger les chapitres publiés au fur et à mesure, et surtout constituer vues.

Certaines histoires sont lues des dizaines de millions de fois. Des chiffres qui donneront le tournis aux éditeurs, qui, attentifs, dénichent leurs futures poules aux oeufs d’or. Comme Anna Todd, Sarah Rivens ou Morgan Moncomble. Mais le revers de la médaille de cette proximité entre l’auteur et son lecteur est que ce dernier, estimant avoir joué un rôle essentiel dans la réussite du premier, lui demande régulièrement des comptes. Récemment, les appels au boycott ont fleuri contre des auteurs jugés « problématiques ». Sur les réseaux, on brûle les idoles qu’on vantait hier. Bien sûr, JK Rowling et ses propos « transphobes » ont fait applaudir de nombreux claviers.

Plus récemment, l’auteur de Romantasy Rebecca Yaros a été critiquée pour son sionisme, au motif qu’elle n’aurait pas répondu à l’injonction de sa communauté de prendre position sur le conflit israélo-palestinien – Morgane Moncomble s’est protégée de tels revers en ajoutant à sur sa page Instagram un lien discret visant à récupérer des fonds pour Gaza. Les communautés numériques sont inconstantes, reposent sur l’émotion et dérivent parfois vers une déconstruction dangereuse. Mais le fond du problème est toujours là, car selon Édith Bravard, « ce boycott n’a eu aucun impact sur les ventes de ses livres « .

 
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