« Nous ne serons pas pris de court » : Oujé-Bougoumou prêt aux feux de forêt

« Nous ne serons pas pris de court » : Oujé-Bougoumou prêt aux feux de forêt
« Nous ne serons pas pris de court » : Oujé-Bougoumou prêt aux feux de forêt

L’été dernier, la population d’Oujé-Bougoumou, dans le nord du Québec, a été parmi les plus touchées par les incendies, qui ont brûlé 4,3 millions d’hectares de forêt dans la province.

Début juin, la Première Nation a dû être évacuée en urgence à cause de l’approche de deux immenses incendies. Un épisode qui a consolidé la solidarité au sein de la communauté crie – et dont ses membres ont pu tirer des leçons.

Alors que la région d’Eeyou Istchee connaît un mois de juin bien loin de celui auquel elle a dû faire face en 2023, le chef Gaston Cooper, élu en août au terme d’une saison d’incendies record, revient sur le chemin parcouru.


L’an dernier, une trentaine de communautés ont fait l’objet d’un ordre d’évacuation, dont plusieurs en Eeyou Istchee. Que s’est-il passé dans votre cas le 6 juin 2023 ?

Nous étions en pleine assemblée lorsque notre chef de l’époque, Curtis Bosum, est arrivé pour nous dire que nous avions moins d’une heure pour évacuer les lieux. Même si nous savions que cela risquait de se produire, tout le monde était sous le choc de recevoir un préavis aussi court.

L’incendie était très proche de notre communauté ; nous pouvions sentir la fumée. En sortant de la salle, nous nous sommes retrouvés face à une vision qui nous a tous surpris : il neigeait des cendres sur Oujé-Bougoumou.

C’était comme un coup qui nous obligeait à nous activer, tout le monde s’est mis au travail.

Avec ma femme et mes enfants, nous avions déjà préparé nos bagages pour un départ précipité. Nous avons donc rapidement sauté dans l’autobus qui nous emmènerait tous à Chicoutimi, à 400 km de là, où un refuge avait été aménagé au cégep. Nous nous sommes arrêtés en chemin pour récupérer ceux qui voulaient monter à bord. D’autres ont décidé de prendre leur voiture.

Parce qu’on évacuait en même temps que les résidents de Chibougamau [à une soixantaine de kilomètres plus à l’est], la circulation était très dense. Il devait y avoir une centaine de véhicules devant nous. C’était la première fois que je voyais autant de monde sur la route.

Les gens avaient du mal à faire le plein, l’essence disparaissait à toute vitesse. C’était le chaos.

Les gens ont-ils choisi de rester ?

Plus de 800 personnes ont quitté Oujé-Bougoumou ce jour-là, mais une vingtaine de personnes ont souhaité rester. Ils estimaient qu’il était de leur devoir de protéger leurs biens. Au final, c’était une bonne chose pour nous, car comme ça nous savions ce qui se passait à la maison.

Nous recevions régulièrement des nouvelles : un jour, la fumée était plus épaisse ; le lendemain, elle l’était moins ; la nuit suivante, c’est redevenu très présent, etc. – parce que tout changeait très vite. Même si nous étions loin, à Chicoutimi, nous savions que le feu se rapprochait.

Plusieurs gens de notre communauté étaient très anxieux à leur arrivée au Lac-Saint-Jean, ils se demandaient s’ils retrouveraient ce qu’ils avaient laissé derrière eux.

Les autorités nous informaient aussi quotidiennement de ce qui se passait sur le terrain, des zones ravagées par les flammes. C’était rassurant d’avoir ce suivi.

Vous avez pu regagner Oujé-Bougoumou près d’une semaine plus tard, une fois l’ordre d’évacuation levé. De retour chez vous, qu’avez-vous remarqué en arrivant ?

Il nous a semblé long avant de pouvoir revenir. Vous savez, tout le monde était impatient de rentrer, de voir l’état des maisons – et des terrains de piégeage aussi.

De nombreux Cris pratiquent encore leur mode de vie traditionnel. Au fond de la forêt, ils ont des camps de chasse équipés de pièges. Des équipements aussi, dont des moteurs, des bateaux et des motoneiges. Nous voulions vérifier au plus vite si tout était intact.

Ce qui m’a surtout frappé, c’est l’accueil qui nous a été réservé. Les pompiers se sont tenus à l’entrée d’Oujé pour accueillir tout le monde. Pour moi, cela démontre toute la solidarité et l’unité dont la communauté a fait preuve durant cette période.

Heureusement, presque tout a été sauvé. Certains membres de la communauté ont constaté des dégâts dans leurs camps de chasse, trois d’entre eux ayant tout perdu. Mais cela aurait pu être bien pire, si l’on compare avec d’autres communautés cries du nord du Québec, comme Eastmain et Wemindji, qui ont subi de lourdes pertes.

Était-ce la première fois que vous étiez contraint d’évacuer ?

Pour Oujé-Bougoumou, oui. Mais dans le passé, nous avons déjà couru le risque de devoir évacuer. Il y a quelques années, un incendie nous a menacé, mais le temps était de notre côté et il s’est mis à pleuvoir.

Personnellement, ce n’est pas ma première fois. Il y a bien longtemps – je devais avoir à peine 17 ans – j’étais à Waswanipi. Avec d’autres membres de la communauté, nous sommes allés travailler sur le terrain. A notre retour, tout le monde était parti ! La police nous a indiqué que les habitants avaient été contraints d’évacuer.

Avec nos vêtements de travail sur le dos, nous devions nous rendre à Lebel-sur-Quévillon. Nous n’avions rien avec nous et avons dû y passer près de deux semaines.

Vous savez, même si je l’avais déjà vécu et que je savais ce que c’était d’être évacué, ce sentiment m’est revenu en juin 2023.

Cette anticipation, ce sentiment de savoir d’avance ce qui nous attend, ce souci pour nos proches, pour notre communauté. Cela ne disparaît pas ; c’est toujours là.

À quoi ressemblent les jours après avoir dû tout laisser derrière soi, même si le pire a été évité ?

Nous apprenons à apprécier ce qui nous entoure. Cette générosité manifeste, cette envie de s’entraider : je l’ai vu au sein de notre communauté, mais aussi chez ceux qui nous ont aidés au Lac-Saint-Jean. Nous avons été bien accueillis, nous avons été pris en charge. Certains avaient besoin de leurs médicaments et n’ont eu aucun problème à obtenir leurs ordonnances.

Gaston Cooper est devenu le chef de la communauté crie d’Oujé-Bougoumou le 14 août 2023.

Photo : Facebook/Gaston Cooper

Dès notre retour à Oujé, la discussion a éclaté : et si tout cela se reproduisait dans le futur ?

On nous a toujours dit que le réchauffement climatique est réel, que le changement climatique est réel et que les choses ne seront plus les mêmes. Nous savons depuis longtemps qu’il faut se préparer à ces catastrophes qui pourraient être plus graves à l’avenir, notamment un nouvel incendie de forêt.

Cette pensée nous est restée à l’esprit et a alimenté nos discussions. Nous avons décidé d’être très prudents et d’anticiper ce qu’il fallait faire pour mieux nous protéger contre ces événements.

Qu’avez-vous fait différemment après la saison 2023 ?

Depuis l’automne, nous menons des campagnes de sensibilisation afin de mieux préparer nos membres. Nous avons reçu des fonds pour aider nos familles à faire face à de nouveaux incendies.

Un programme de prévention a été mis en place pour soutenir les chasseurs et trappeurs qui vivent de la terre et qui souhaitent mieux protéger leurs camps de chasse. On parle entre autres de couper par exemple les broussailles et d’abattre les arbres trop près de la cabane qui risquent de prendre feu, ou encore de prévoir un chemin pour évacuer en cas d’incendie.

Nous avons également fourni des informations à notre communauté sur les types de matériaux connus pour être plus résistants à la chaleur et qui pourraient être utilisés à la maison ou dans les camps de chasse.

Il était également important de s’assurer que tout le monde dispose d’extincteurs et de détecteurs de fumée et de monoxyde de carbone. Des espaces ont également été aménagés pour accueillir ceux qui ne disposent pas d’une ventilation adéquate, en cas de besoin.

Nous demandons même aux gens d’utiliser de grands barils pour récupérer l’eau de pluie et de les rendre facilement accessibles afin de pouvoir les utiliser en cas d’incendie à éteindre.

Des demandes ont été faites au gouvernement et à la SOPFEU afin que nous puissions également former des pompiers forestiers de la communauté.

En cas d’urgence, il faut veiller à ce que les informations soient transmises rapidement et avec précision. C’est pourquoi nous avons tenu des rencontres avec nos partenaires pour nous assurer que notre stratégie était efficace et que tout se déroulait comme prévu.

Ma priorité en tant que chef – et celle du conseil de bande – est de veiller à ce que la sécurité de notre communauté passe avant tout. L’année dernière, nous avons été pris au dépourvu, mais cette fois, nous ne le serons pas.

Au 17 juin 2024, Oujé-Bougoumou est considérée sous observation, selon la SOPFEU. Un incendie y a donc été enregistré, mais il ne nécessite pour l’instant aucune intervention.

Les remarques ont été modifiées par souci de concision.

 
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