« Il n’est pas exclu que la gauche remporte les prochaines élections législatives » – QG – .

Faut-il que tout le pays brûle pour que nous puissions combattre l’incendie ? » A cette question du groupe de reggae Sinsemilia sur la montée du RN, la gauche française a rapidement répondu avec une nouvelle coalition, « le Front populaire ». Peut-on penser que ce front sera plus solide que le NUPES, qui a éclaté fin 2023 à cause du conflit israélo-palestinien ? QG a interviewé le politologue Rémi Lefebvre, maître de conférences à l’Université de Lille, notamment auteur de « ‘Faut-il désespérer de la gauche ? » en 2022. Interview de Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et à l’IEP de Lille

QG : Lundi 10 juin, les principaux partis de gauche se sont mis d’accord sur le principe d’une coalition, intitulée « Front populaire ». Quel regard portez-vous sur cette alliance des partis de gauche ?

Rémi Lefebvre : C’est d’abord de l’ordre de la nécessité électorale… comme en 2022. Pour avoir des députés, donc des groupes parlementaires et un bon financement public des partis, la gauche est trop fragmentée pour le revendiquer sans cela. Ensuite, cette nécessité électorale est renforcée par l’idée de battre le RN, ce qui n’est pas exclu. La gauche renoue avec un imaginaire de Front populaire [alliance politique de la SFIO, du Parti communiste et des radicaux, gagnant les élections législatives de mai 1936, NDLR] : unité face à la menace de l’extrême droite. Le problème, c’est que les divergences au sein de la gauche ont tendance à s’accentuer depuis 2022 et que l’attitude de LFI est de plus en plus mal acceptée par un électorat de gauche modérée, tout comme le bon score de Glucksmann. montré ce 9 juin aux européennes. Emmanuel Macron a dissous l’assemblée dans l’espoir que la gauche ne parvienne pas à surmonter sa désorganisation et donc que la majorité présidentielle soit le seul rempart contre l’extrême droite.

Les divisions tactiques et les divergences idéologiques à gauche sont réelles. La crise israélo-palestinienne les a exacerbés. Il existe une opposition très forte entre, d’une part, la stratégie fondamentalement conflictuelle, tribunitienne et rudement rebelle et une option plus respectueuse du pluralisme, des institutions et plus réformiste des écologistes et des socialistes. Mais ces désaccords ne doivent pas être surestimés. Il s’agit souvent plus de forme que de fond. Les nouveaux enjeux géopolitiques ont certainement exacerbé les désaccords entre les partenaires du défunt NUPES. Il existe des oppositions sur les questions « identitaires », mais elles divisent davantage les cercles militants que les citoyens de gauche. Mais sur la question sociale et économique, voire européenne, il existe une forte convergence. La majorité des dirigeants socialistes ont rompu avec le hollandais et son social-libéralisme. Le verdissement de la gauche est aussi une réussite. Il existe néanmoins le poison de l’élection présidentielle qui est une machine implacable à fracturer la gauche.

La liste conduite par Raphaël Glucksmann, arrivée devant la liste LFI, conduite par Manon Aubry, ce 9 juin 2024

QG : Pourtant, le 11 juin, les fédérations parisiennes du PS et de Place publique ont publié un communiqué laissant entendre leur intention de ne pas s’aligner sur l’accord national. Peut-on dire que l’unité de la gauche, annoncée la veille, est déjà brisée ? L’électorat de gauche sanctionnera-t-il ce type de prise de position ?

Il y aura de la dissidence… Place Publique est un petit parti qui n’a pas beaucoup de poids au-delà de son chef médiatique. Mais il est certain que l’alliance de gauche suscitera beaucoup de mécontentement localement, notamment au sein du PS. On peut donc imaginer qu’il y aura de nombreuses dissidences. Les électeurs de gauche devront trancher, mais il existe une aspiration unifiée très forte à gauche et la menace du RN va encore l’amplifier dans les jours à venir.

QG : Quel axe programmatique serait le plus susceptible de convaincre les abstentionnistes, notamment la classe ouvrière, de voter pour ce nouveau front populaire, selon vous ? Cela ne risque-t-il pas de générer des tensions au sein de la coalition, notamment entre la FI et le PS ?

Les partis se mettront d’accord sur une base programmatique minimale, disent qu’ils régleront les différends après (sur l’international, l’Ukraine, Gaza, etc.), étant donné qu’il reste trois ans avant l’élection présidentielle, c’est-à-dire un assez court instant. Il n’est pas exclu que la gauche remporte les prochaines élections législatives. La manœuvre de Macron pourrait se retourner contre lui. Il n’y aura pas vraiment de campagne (la tendance est à la hausse…). L’abstention risque donc d’être élevée : ce qui aura un effet puissant. Il y aura peu de triangulaires (12,5% des inscrits sont nécessaires au maintien). Si la gauche est unie au premier tour (et si les électeurs de gauche acceptent ce rassemblement, cela signifie que les plus modérés acceptent de voter pour les « radicaux insoumis » et que les électeurs insoumis votent pour « les traîtres sociaux »), Dans de nombreux milieux, elle est assurée d’être au second tour. Comment voteront les électeurs macronistes ? Je suis d’accord, ce sont ces duels RN-Front populaire au second tour qui peuvent faire basculer le pays vers l’extrême droite si les électeurs macronistes refusent « les forces extérieures au champ républicain » selon eux. L’un des enseignements des élections législatives de 2022 est l’affaiblissement du fameux « front républicain » dans toutes les configurations.

L’idée d’un Front populaire, lancée par François Ruffin le 9 juin au soir, est aujourd’hui fortement soutenue par les électeurs, dont ceux de Raphaël Glucksmann.

Les questions sociales restent parmi les principales préoccupations des Français : pouvoir d’achat, services publics, redistribution. Cet attachement à l’égalité peut être un point d’appui pour la gauche même si l’extrême droite la détourne vers un imaginaire de protection fermé, identitaire et xénophobe.

QG : Éric Ciotti, président du parti LR, a annoncé ce mardi 11 juin qu’il allait s’allier avec le Rassemblement national pour ces législatives anticipées, déclenchant une crise majeure au sein de son parti. Est-ce la concrétisation de l’union des droites, souhaitée par l’extrême droite ces dernières années ? Et est-ce aussi la fin de la domination du mouvement gaulliste au sein de la droite française ?

C’est une clarification et une autre manifestation de la décomposition/recomposition de la vie politique. LR va exploser… entre les élus qui rejoindront le RN et ceux qui basculeront à la majorité présidentielle. L’union des droites rend très crédible et probable la conquête du pouvoir par l’extrême droite.

Commentaires recueillis par Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre est l’auteur de : Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2022) ; Les primaires socialistes : la fin du parti militant (Raisons d’agir, 2011), ou encore « Le débat public : une expérience de démocratie participative » (La Découverte, 2007)

 
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