Où sont passés ceux qui avaient peur de Donald Trump ? – .

En juin 2016, le candidat Trump, favori des sondages, n’était pas épargné par ses détracteurs.image : getty, édition : watson

Analyse

Souvenez-vous, en 2016, les rues de tout le pays étaient incendiées pour barrer la route au bulldozer populiste. Aujourd’hui, le candidat républicain semble épargné. Un « constat frappant », à l’heure où « les Américains ne sont plus choqués et abasourdis » par Donald Trump.

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Le 3 juin 2016, dans le sud de la Californie, dans l’après-midi, un œuf s’est posé sur le crâne peroxydé de Rachel Casey. Cette jeune bodybuildeuse, kinésithérapeute et partisane du candidat Donald Trump a reconnu quelques heures plus tard avoir également lancé deux ou trois obus sur ses agresseurs.

“Je me suis défendu comme n’importe quel Américain l’aurait fait”

Rachel Casey, une pro-Trump, en juin 2016, après s’être ramassé un œuf sur le visage.

L’anecdote sera reprise par toute l’équipe média dépêchée sur place. Ce jour-là, des milliers de manifestants ont eu la parole pour gâcher le meeting du milliardaire républicain, dessiné dans la ville de San José. Et Rachel ne sera pas la seule cible dont il faudra essuyer le front.

Un Trump en carton qui reçoit un œuf au milieu.image : getty

Quatre mois plus tard, le magnat new-yorkais sera élu président des États-Unis. Cependant, au cours des vingt-quatre mois précédant son accession, et avec une violence sans précédent dans l’histoire récente, le nouveau roi du monde a dû faire face à une opposition dense, farouche et durable.

Partout aux États-Unis.

Exemples? Le 9 juillet 2015, des heurts éclatent devant l’hôtel Trump International, appelant au boycott de ses émissions de télévision. Le 12 juillet, le 14 octobre, le 7 novembre ou le 4 décembre 2015, des manifestants parviennent à interrompre le discours du candidat, l’obligeant parfois à s’exfiltrer ou à propager des menaces et des insultes dont il reste très friand :

“Pourquoi ces fous prennent-ils la peine de se faire remarquer au milieu d’un groupe de 9 000 maniaques qui rêvent de les tuer ?”

Le candidat républicain, devant des manifestants anti-Trump, le 22 décembre 2015, dans le Michigan.

Les affrontements vont gagner en brutalité en 2016, à mesure que le républicain se rapproche de la Maison Blanche. A cette époque, on prend aussi peu à peu conscience que l’ancien animateur de télévision formait une véritable milice, sous ses ordres, chargée d’attaquer physiquement les foules ennemies lors de ses meetings. Promettant même de payer les éventuels frais de justice en cas de dérapage grave.

Nous savons qu’une course à la présidentielle est toujours un combat de boxe sur le ring des métaphores. Les candidats “enfilent les gants”, “s’affrontent”, s’envoient des “uppercuts”, “démolissent l’adversaire”. Pourtant, il y a huit ans, et sous la direction volontaire du milliardaire, les États-Unis sont passés de la théorie à la pratique. Le sang coulera, les citoyens seront hospitalisés, les voitures et les drapeaux brûleront, les émeutes seront quotidiennes.

WASHINGTON, DC - 20 JANVIER : Une limousine est incendiée avec

Washington DC, janvier 2016.Getty Images Amérique du Nord

Entre juin 2015 et novembre 2016, l’électorat latino-américain, les mouvements LGBT et pro-avortement, la communauté juive et une large partie de la jeunesse universitaire américaine s’est battu jusqu’au dernier souffle pour barrer la route à ce Donald Trump qui menaçait (déjà) la démocratie et les institutions. Ce qui a (déjà) déshumanisé l’immigration et le corps des femmes. Une guerre qui sera finalement perdue par Hillary Clinton, lors des urnes, à la grande surprise de nombreux observateurs politiques.

Où sont les anti-Trump ?

Aujourd’hui, après un premier mandat mouvementé, une défaite violemment contestée en 2020, la promesse d’une politique encore plus radicale et des menaces de revanche, Donald Trump est déterminé à reprendre le pouvoir. Et en huit ans, plusieurs événements vont aggraver durablement la polarisation du pays : la pandémie de Covid-19, l’agression de l’Ukraine par Vladimir Poutine, le conflit israélo-palestinien ou encore les déboires judiciaires d’un candidat républicain qui, depuis son récent procès criminel, conviction, n’a plus rien à perdre.

On pouvait donc raisonnablement s’attendre à des manifestations dans tout le pays, des appels au boycott, des émeutes, des pétitions, des expéditions punitives contre le retour aux affaires du bulldozer populiste. Or, pour l’instant, ce n’est pas le cas. C’est vrai, il arrive que des pancartes s’affichent timidement devant les tribunaux que Trump fréquente assidûment depuis plusieurs mois. Cette moquerie anodine le vise sur les réseaux sociaux. Mais rien de significatif. Rien n’est comparable aux soulèvements de 2016.

Qu’est ce qui a changé?

« En 2016, ça a été un choc, un désarroi. Ceux qui ont fait campagne contre Trump auraient pu s’attendre à l’apocalypse et ont sans doute compris depuis qu’ils avaient survécu.

Nicole Bacharian, historienne et politologue spécialiste des Etats-Unis, chez Watson.

En passant quelques coups de téléphone des deux côtés de l’Atlantique, on se rend compte qu’au-delà du constat, les explications ne sont pas toujours claires : « C’est une très bonne question et… je n’ai pas de réponse. Il est souvent difficile d’expliquer ce qui ne se produit pas », murmure un expert américain. D’autres se risquent néanmoins à esquisser des pistes, comme Anne Deysine : « C’est vrai que le contraste est saisissant. Alors que les démocrates sont toujours viscéralement opposés à Trump et s’inquiètent du danger qu’il fait peser sur la démocratie », analyse cet avocat français et américaniste de Watson.

« La stratégie des électeurs démocrates a changé : aujourd’hui, seule compte une victoire électorale »

Anne Deysine, américaniste et auteur de Les États-Unis et la démocratie (éd. L’harmattan)

Une théorie partagée par plusieurs grands médias américains, suggérant que les anti-Trump de 2016 auraient « changé de tactique ». Qu’ils seraient même « démoralisés », « fatigués » de combattre Trump dans la rue pendant une décennie. Et qu’ils se concentrent sur le taux de participation au 5 novembre. Le fait que le candidat républicain soit désormais publiquement qualifié de « délinquant » par Joe Biden lui-même ne semble pas changer la donne.

« On ne peut pas être partout et tout ne peut pas susciter la passion. La gauche américaine s’emploie aujourd’hui à faire payer à Joe Biden son soutien à Israël, qui n’est pourtant pas inconditionnel. Et certains iront jusqu’à voter pour Trump.

Nicole Bacharian, historienne et politologue

C’est une réalité: la frange progressiste de l’électorat américain ne perturbe plus les apparences du candidat républicain et a tourné sa colère contre le président démocrate : « Tous les gens qui protestaient contre Trump, beaucoup de ces gens et une grande partie de cette énergie se concentrent désormais sur la protestation contre un génocide à Gaza», a par exemple témoigné auprès de l’agence AP.

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La gauche en colère, devant le Radio City Music Hall de New York en mars dernier. À l’intérieur, Clinton et Obama ont soutenu Biden dans sa collecte de fonds pour sa campagne.Getty Images Amérique du Nord

De son côté, Anne Deysine avoue ne pas bien comprendre ce paradoxe, avant de faire peser une large part de responsabilité sur les épaules du clan Biden :

«Il est curieux que la jeunesse américaine ne se rende pas compte que Trump serait bien plus pro-israélien que le président. Ne pas pouvoir démontrer ce contraste et convaincre les jeunes est sans doute l’une des faiblesses des démocrates.

Une chose est sûre, le candidat démocrate ne parviendra jamais à satisfaire pleinement l’électorat américain pro-palestinien.

Une lassitude dangereuse

La perspective d’un nouveau duel Biden-Trump d’un autre temps et qui n’enthousiasme pas grand monde, explique aussi le calme ambiant, à cinq mois de l’élection présidentielle. Une « lassitude » qui pourrait s’avérer « dangereuse », nous avoue Nicole Bacharian.

« Les Américains se sont habitués à Donald Trump. Alors que le Parti républicain n’en voulait pas en 2016, il contribue aujourd’hui à le banaliser. Mais cette lassitude n’est pas spécifique aux Etats-Unis.»

Nicole Bacharian, spécialiste des Etats-Unis.

A quelques jours des élections européennes, la mainmise de l’extrême droite, notamment en France avec Jordan Bardella, ne suscite pas de vagues de révolte dans les rues de Paris. A l’inverse, l’interview de Benjamin Netanyahu par Darius Rochebin la semaine dernière a noyé le siège de TF1 sous la fureur des militants et élus pro-palestiniens français. Autrement dit, « la lecture des dangers du monde a radicalement changé depuis 2016 ».

Cette lassitude a également infecté le camp adverse. Les partisans de MAGA ne semblent pas nécessairement plus motivés que les progressistes lorsqu’il s’agit de descendre dans la rue. Alors que le milliardaire a appelé sa base à « manifester pacifiquement » devant le tribunal de Manhattan, les casquettes rouges ont été rares lors du procès. Pire encore, plusieurs groupes populaires de Telegram se sont retrouvés pleins de doutes, poussant certains militants à remettre en question les ordres de marche du patron :

– « Manifester OK, mais est-ce que ça veut dire concrètement ?
– « Il devrait être plus clair dans ses demandes. »
– « C’est une mauvaise idée de protester maintenant. »

« À moins que nous ne soyons prêts à mener une insurrection, en faisant prisonniers tous les oppresseurs (ou pire), cela ne sert à rien de protester devant les tribunaux. »

Un activiste MAGA sur Telegram

NEW YORK, ÉTATS-UNIS - 28 MAI : Un groupe de manifestants, qui prétendaient être venus de l'Arizona pour soutenir l'ancien président Donald Trump, jugé à New York, se joignent aux partisans de Trump et montrent...

Des pro-Trump devant le tribunal de New York le 28 mai.Image : Anadolu

Ali Alexander, l’un des principaux initiateurs pro-Trump de la théorie des « élections volées » en 2020, vient d’annoncer sa « retraite », a noté Le magazine Time. Bien entendu, le deuxième effet KissCool de l’attaque du Capitole en a aussi refroidi plus d’un, puisque trois ans après les émeutes, plus d’un millier d’agresseurs ont déjà été condamnés à des peines de prison très dissuasives.

À qui profitera ce vide ?

Déjà, rien ne nous dit que ce bâillement d’une grande partie de l’électorat démocrate durera jusqu’au 5 novembre. Sans oublier que l’agenda judiciaire de Donald Trump a encore les moyens d’en réveiller certains. Faut-il s’attendre à des manifestations ou à des émeutes dans les cinq prochains mois ?

«Trump continue de menacer le pays de violences et de représailles s’il n’est pas élu ou s’il finit en prison. Tout peut arriver. En revanche, pour l’instant, je n’ai pas le sentiment que les anti-Trump vont à nouveau rassembler leur colère dans les rues du pays. Même si l’engouement pour l’élection présidentielle augmente toujours à l’automne.»

« Cette élection sera très serrée. Et notamment parce qu’aucun des deux candidats n’enthousiasme les foules. Comme si le hasard était responsable de voter à la place du citoyen américain. »

Nicole Bacharian, historienne et politologue, spécialiste des Etats-Unis.

Nos deux interlocuteurs s’accordent sur une chose : cet état d’éveil passif ne sera pas sans conséquences et certains militants pourraient se réveiller avec une vilaine gueule de bois le 6 novembre.

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