Le 19 novembre 2021, une journée historique dont les Américains n’ont jamais entendu parler. Tôt le matin, Joe Biden a dû subir une coloscopie de routine qui a nécessité sa mise sous anesthésie générale. Durant l’opération, il n’a pas pu gérer l’affaire. Il a donc transféré ses pouvoirs à sa vice-présidente, Kamala Harris. Pendant une heure vingt-cinq minutes, le « leader du monde libre » a été une métisse. Une première.
Ce moment durera-t-il quatre ans ? Nous le saurons dans les jours à venir. Quelle que soit l’issue du vote, le simple fait que Kamala Harris soit devenue, par un concours de circonstances, la candidate du Parti démocrate a des allures de revanche.
Kamala Harris, une politicienne méprisée
Avant le débat catastrophique de Joe Biden, certains le décrivaient comme un fardeau pour le président sortant. Trois semaines avant le désastre cathodique auquel est confronté Donald Trump, un éditorialiste de Washington Post a même demandé qu’elle soit remplacée comme colistière par Hillary Clinton ! Il faut dire que Kamala Harris est l’une des personnalités politiques américaines les plus sous-estimées, avec Joe Biden. Métisse, née d’une mère indienne brahmane et d’un père jamaïcain versé dans le marxisme, elle a longtemps évolué dans des milieux blancs et masculins qui la méprisaient.
En 2003, peu de gens croyaient en ses chances lorsqu’elle s’est présentée aux élections du procureur du district de San Francisco, le « meilleur flic » de la ville. Connue à l’époque comme la petite amie du charismatique maire Willie Brown, marié mais séparé de son épouse, elle défie alors son ancien patron, le bouillant Terence Hallinan, un vétéran de la scène politique locale. Avec de l’énergie à revendre et l’aide d’importants donateurs locaux, elle a remporté une victoire surprise.
Lorsqu’en 2004, elle s’est aliéné les policiers de San Francisco après avoir refusé de requérir la peine de mort contre un homme qui avait tué l’un des leurs, elle a pu renouer avec eux en les cajolant pendant des années. Depuis sa première campagne, elle n’a perdu aucune élection à laquelle elle s’est présentée. Après avoir été réélue à San Francisco, elle est devenue la première femme procureur général de Californie au terme d’un vote serré, puis sénatrice de cet État, le plus peuplé du pays. pays et une puissance économique majeure.
Échec à la primaire démocrate de 2020
Seul revers dans cette ascension : la primaire démocrate de 2020. Celle décrite comme « l’Obama de Californie » se retirera avant le premier vote après plusieurs faux pas et une attaque directe de sa rivale, Tulsi Gabbard. Lors d’un débat télévisé, la députée d’Hawaï a brisé l’image de « procureur progressiste » que tentait de se donner Kamala Harris en l’accusant notamment d’avoir ignoré des preuves qui auraient permis la libération d’un innocent condamné à mort. Le sénateur a été assommé.
Mais encore une fois, elle a rebondi. Son sauveur : Joe Biden, qui l’a choisie comme colistière alors qu’elle l’avait accusé sans enthousiasme d’être raciste lors des primaires. Pour le candidat démocrate, il s’agissait de l’utiliser pour s’assurer le soutien des femmes noires, un électorat clé pour la gauche. Pari réussi.
En tant que vice-présidente, les articles négatifs dans la presse l’ont longtemps mise à mal. Il est vrai qu’elle a eu du mal à trouver sa place dans ce poste de conseillère-remplaçante, à la fois proche et éloignée du pouvoir. Ambiance de travail morose dans ses équipes, voyage raté en Amérique centrale au début de son mandat, sentiment d’être cantonnée par la Maison Blanche à des rôles ingrats : elle a affronté les défis les uns après les autres. Même les sièges de vice-président, auparavant occupés par des hommes, n’étaient pas adaptés à sa carrure…
Des dossiers prometteurs pour les démocrates
Au fil du temps, cependant, elle a réussi à trouver ses marques et à se préparer pour le prochain déménagement. Elle multiplie les rencontres avec les chefs d’État et de gouvernement, élargissant ainsi son expérience internationale. Elle cultive son carnet d’adresses, recevant à la Maison Blanche des militants venus d’horizons divers (droits civiques, avortement, LGBT, etc.) tout en participant à différentes « tournées » thématiques pour promouvoir les succès législatifs du gouvernement Biden dans des États charnières (États swing), facteurs déterminants dans la course à la Maison Blanche.
Elle s’occupe surtout de dossiers prometteurs électoralement pour les démocrates, comme la bataille sur l’avortement (interruption volontaire de grossesse) après la révocation en 2022 de l’arrêt « Roe vs Wade » par la Cour suprême à majorité conservatrice. Elle est notamment devenue en 2024 la première « VP » à se rendre dans une clinique d’avortement. Joel Goldstein, ancien professeur à l’université Saint-Louis (Missouri) et spécialiste vice-présidentiel, l’assure : « Elle a appris à voir le monde depuis la Maison Blanche. »