Connaissez-vous Charlie Kirk ? Quelle que soit notre opinion sur ses idées, c’est un phénomène. La formule derrière son succès est plutôt simple. Il se présente sur les campus américains, installe un chapiteau, installe deux micros, s’assoit et invite les gens à le challenger sur ses positions politiques. Car oui, Charlie Kirk est un républicain qui soutient Trump et qui défend des positions contre l’avortement, contre l’immigration, contre les communautés LGBTQ+, etc. Son équipe filme les débats et les partage sur les réseaux sociaux.
La formule est efficace. Regarder deux personnes se disputer est parfait pour une plateforme comme TikTok. Ensuite, il faut le lui donner, Charlie Kirk est un bon débatteur. Je ne dis pas qu’il a raison, je dis qu’il maîtrise l’art du débat. Du moins, cette version pseudosportive où le but n’est pas de pousser la réflexion plus loin, mais juste de marquer des points en arrêtant l’autre.
Je pense même que c’est pour ça qu’il m’énerve souvent. Ces panels ne poussent jamais le débat plus loin. Il n’y a pas d’échange d’idées. Aucune ouverture. Il ne marque des buts qu’en acculant des gens moins bien préparés que lui et qui maîtrisent moins bien la rhétorique que lui. C’est juste un montrer.
Sauf que c’est un montrer payer pour lui. Lorsqu’il a fondé Turning Point USA en 2012, une organisation qui vise à susciter le vote de droite parmi les jeunes, c’était une personnecomme on dit au sud de la frontière. Aujourd’hui, son compte TikTok compte 3,6 millions d’abonnés, il anime une émission de radio dans un média chrétien, il donne des conférences et est invité d’honneur des conventions républicaines. Il est devenu une personnalité publique.
Aujourd’hui, il posséderait trois propriétés d’une valeur de plus d’un million de dollars. Selon une enquête dePresse associéeen 2016, il aurait déclaré un revenu de 27 000 $, alors qu’en 2021, il aurait déclaré un revenu de 407 000 $. Le chiffre d’affaires de Tournant États-Unis était de 39 millions de dollars en 2020 et aurait accumulé plus de 79 millions de dollars en contributions en 2022. C’est un gros entreprise.
Pendant que Charlie Kirk devient millionnaire en s’attaquant aux droits des personnes trans, les organismes de défense des droits peinent à survivre, comme TransEstrie qui a évité la fermeture en 2022 grâce à un fonds d’urgence de 34 000 $ et un financement de 126 000 $.
Cela montre qu’il existe des idées plus rentables que d’autres à défendre.
Je pense
Oui, les débats sont tendus, mais parfois je me demande si le facteur le plus important est vraiment le changement de société ou simplement parce que certains ont tout à gagner à ce que le débat devienne incontrôlable. Dans notre société, la discorde est payante.
Le gain personnel ne doit pas nécessairement être financier. Parfois, c’est pour se faire réélire, augmenter ses abonnements sur les réseaux sociaux ou tout simplement par fierté. L’individualisme encourage la polarisation.
Lors d’un entretien avec DevoirLe professeur de littérature et essayiste Patrick Moreau déplore la « sacralisation de l’opinion individuelle ». Autrement dit, dans notre société capitaliste, nous avons tendance à « confondre la liberté d’expression avec la vérité ». En d’autres termes, un argument et une opinion ne sont pas la même chose.
Une argumentation « doit être cohérente, logique, fondée sur quelque chose d’objectif », ajoute le professeur. Alors qu’une opinion n’est qu’une opinion. Je trouve peut-être que manger un homard est dégoûtant, mais cela n’enlève rien au fait qu’il est comestible.
Dans une tribune publiée dans le magazine Les librairesLa professeure de philosophie et auteure Véronique Grenier a souligné à juste titre que la philosophie, par sa « nature dialogique », permet de « développer de l’empathie pour les idées des autres ».
Elle ajoute en outre que l’idée « n’est pas de tout accepter et de ne pas juger, mais de voir comment on peut en parler et aspirer à des conversations fructueuses au cours desquelles chacun peut se sentir vu, entendu, considéré ». Selon la Sherbrookoise, cette posture permettrait de contrecarrer la polarisation des idées.
Elle concède cependant que c’est exigeant. Stimulant. Déstabilisant. Cela peut même être frustrant. « Il semblerait que notre cerveau préfère la facilité et ce qui est confortable », souligne-t-elle. Oui, réfléchir est parfois épuisant.
Avec la popularité des marathons, on entend souvent parler de la joie et de la fierté d’avoir fait l’effort supplémentaire pour réussir à terminer la course, de s’être surpassé. La même joie existe lorsque l’on fait l’effort intellectuel supplémentaire qui permet d’aller jusqu’au bout et de se dépasser, de « se savoir plus capable qu’on ne le pense », comme le dit Véronique Grenier.
Pour revenir, après cette immense digression, à cette question que tout le monde se pose : comment réussir à se parler ? En refusant la facilité. En évitant les raccourcis. En arrêtant de faire passer votre égo avant le bien commun.
Il y a cette phrase que j’aime beaucoup : « nous sommes le trafic ». Nous ne sommes pas pris dans le trafic, nous en faisons partie, nous le nourrissons. De la même manière, nous sommes polarisés. C’est à nous de faire mieux.
Pour répondre à cette chronique, écrivez-nous à [email protected]. Certaines réponses pourront être publiées dans notre rubrique Opinions.