Quel avenir pour la santé au travail ? La chronique de Jean-Paul Thonier, consultant en gestion des risques/santé au travail

Le look réaliste pris lors du dernier salon PREVENTICA de Lyon.

PREVENTICA est un salon et un cycle de conférences dédiés à la santé et à la sécurité au travail qui s’est progressivement imposé comme l’événement incontournable sur ce thème, tant en qu’au Maghreb et en Afrique francophone. Depuis près de vingt ans, elle rassemble tous les acteurs de cet écosystème autour de deux expositions annuelles, en juin et octobre, dans deux grandes métropoles françaises, Paris et Lyon.

Sa dernière édition, qui s’est déroulée à Lyon du 8 au 10 octobre 2024, a réuni plus de 450 exposants sur 18 000 m2. Ses 11 000 visiteurs professionnels ont pu participer à 180 conférences et ateliers.

Parmi celles-ci, la table ronde qui depuis deux ans est devenue une référence importante : « Santé au travail, médecine du travail : problèmes, actualités et perspectives »

La santé au travail, un monde en révolution permanente

Discipline encore trop méconnue et sous-estimée, malgré son potentiel, la santé au travail passe encore régulièrement sous le radar des décideurs du système de santé, sans doute en raison de son positionnement dans la galaxie du système de santé.

Ébranlé par cette quête de sens et par la baisse continue du nombre de médecins du travail, il a connu quatre réformes en vingt ans : 2004, 2011, 2016 et 2021.

Tout le monde était globalement d’accord sur les résultats, mais personne n’est parvenu à apporter une réponse globale durable et pleinement satisfaisante.

Le «der des ders» ?

Plus de six ans se sont écoulés depuis que le Premier ministre Edouard Philippe a lancé début 2018 une grande réforme du système de santé au travail. Cette démarche proactive avait initialement l’immense ambition de revoir en profondeur l’architecture générale du système, en intégrant dans son périmètre l’ensemble des nombreux acteurs publics et privés qui le composent.

Force est désormais de constater qu’il ne s’agissait que des Services Interentreprises de Santé au Travail, rebaptisés SPSTI. C’est le statu quo qui prévaut pour les autres intéressés, notamment pour les nombreux acteurs publics, coincés dans « mille feuilles », dont la France semble détenir – et garder jalousement – ​​le secret.

Ce long processus de réforme a été marqué par quelques étapes particulièrement significatives :

  • D’abord, le premier « big bang » constitué par la publication, fin août 2018, du « rapport Lecocq », intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée ».

  • Elle a été rapidement suivie par la mobilisation des Services Interentreprises de Santé au Travail (SSTI), qui ont décidé de contribuer activement à cette réflexion en élaborant, sous l’égide de leur organisation professionnelle, PRESANSE, un document fondateur : le cahier des charges pour la prestation de soins. services de médecine du travail, qui ont servi de base aux travaux des partenaires sociaux sur la notion d’« offre de base ».

  • Un processus bloqué par la longue période de Covid, qui a clairement mis en évidence le lien entre travail et santé des salariés et a permis d’accélérer l’expérimentation in vivo de nouvelles pratiques de télémédecine en matière de santé au travail.

  • Quatrième étape, génitrice, la signature par les partenaires sociaux, le 9 décembre 2020, de l’Accord national interprofessionnel (ANI), relatif à « une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et de conditions de travail ».

  • Cinquième et dernière grande étape, la loi du 2 août 2021 « renforçant la prévention en matière de santé au travail », qui intègre l’ANI dans une très large mesure et l’intègre sur certains aspects, suivie des décrets d’application y afférents.

A l’heure où la santé au travail est sortie du cadre réglementaire étroit dans lequel elle a longtemps été enfermée, pour représenter désormais un enjeu stratégique pour les entreprises et la collectivité ; où l’actualité a placé la santé des travailleurs au centre du débat public sur la fatigue, l’usure professionnelle, le réchauffement climatique, l’allongement du temps de travail, l’âge de la retraite et, tout récemment, sur le niveau des accidents du travail, peut-on espérer que cette réforme est finalement la bonne et surtout la dernière ?

Dans sa dernière édition lyonnaise, PREVENTICA a fait le point, avec clarté et sérieux, sur la mise en œuvre des nouvelles mesures introduites par la loi du 2 août 2021 par les intéressés. Il s’est également intéressé aux difficultés auxquelles ils sont confrontés et, plus généralement, à la capacité du système de santé au travail, ou plus précisément à la capacité de son principal acteur en la matière, le réseau SPSTI, le véritable « guichet unique » dans le domaine pour les entreprisesrépondre aux nouvelles attentes des partenaires sociaux et des pouvoirs publics tout en ouvrant la porte à une réflexion sur les voies de l’innovation.

La réforme de 2021 a apporté plusieurs réponses aux difficultés rencontrées par le système de santé au travail.

  • Le premier d’entre eux concerne le domaine de la gestion de la santé au travail. La forte implication des partenaires sociaux, employeurs et salariés laisse entrevoir une réelle volonté d’appropriation et de prise en charge de la gestion de la santé au travail, qui se traduit par la création au sein du COCT (Conseil d’Orientation des Conditions de Travail) d’un comité dédié, il CNPST (Comité National de Prévention et de Santé au Travail).

  • Deuxième axe fort, l’accent mis sur la prévention primaire : le SSTI devient SPSTI : Services de Prévention et de Santé au Travail. Leurs missions ont été clarifiées en matière de prévention, à travers un “offre de base” qui s’articule autour de trois piliers :

    1. Prévention et notamment analyse des risques à travers le DUERP (Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels) et le plan d’actions de prévention qui en découle,

    2. Suivi individuel des salariés,

    3. Maintenir l’emploi et prévenir la désinsertion professionnelle.

Révolution culturelle, la fourniture de ces services sera vérifiée à travers la mise en place d’une procédure de « certification SPSTI » délivrée par un organisme tiers, chargé de garantir l’efficacité et l’homogénéité des services sur tout le territoire national. Il s’agit d’un grand pas, d’une ouverture vers le monde entrepreneurial pour des structures habituées depuis des décennies à fonctionner de manière souvent monopolistique, sans réelle évaluation du service rendu.

L’accent est également mis sur l’utilisation des outils numériques, notamment sur les logiciels d’entreprise et leur interopérabilité, sur l’archivage numérique des DUERP, sur le recours – toujours prudent – à la téléconsultation, etc.

Timide avancée dans la bonne direction, un début d’ouverture vers la santé publique a été initié par le recours à des médecins citoyens sous certaines conditions et par l’interopérabilité avec « l’espace numérique de santé ».

Mais des progrès restent à portée de main pour compléter le dispositif et maximiser son efficacité, afin de mieux répondre aux besoins des entreprises, des secteurs professionnels et du pays dans son ensemble.

Voici les principaux axes :

1er hache : Passer du modèle « artisanal » actuel de santé au travail à un modèle « industriel » efficace largement soutenu par les innovations, tant organisationnelles que technologiques.

Ceci repose sur un certain nombre d’évolutions à portée de main si l’écosystème fait l’effort de sortir de son ornière :

  • Promouvoir la création de SPSTI de dimension nationale, sur le même modèle que les associations sans but lucratif de la loi 1901, fondées sur l’agrément national, aptes à prendre en compte les besoins et les attentes des entreprises multi-implantations et des branches professionnelles en leur offrant un offre de qualité homogène, sur tout le territoire et au-delà.
    De tels acteurs existaient déjà en Allemagne il y a 15 ans (par ex.Groupe IAS). Il existe aujourd’hui 110 centres dans toute l’Allemagne ; 15 000 entreprises clientes (de la PME aux très grands groupes) ; 13h00 collaborateurs de haut niveau : médecins, ingénieurs, psychologues, sociologues, ergonomes, spécialistes de l’organisation ; les utilisateurs de matériel d’imagerie médicale (scanners, échographes, radiologie conventionnelle) et de matériel de laboratoire de pointe.

  • S’appuyer fortement sur les nouvelles technologies telles que la téléconsultation, les appareils connectés et l’intelligence artificielle, afin de garantir à tous les collaborateurs un accès égal à des services de qualité.

2° cul : revisiter la supervision des pouvoirs publics dans une vision ouverte, dans une dynamique d’innovation.

Le changement de perspective et d’attitude de l’autorité de tutelle est une condition essentielle à la réussite de la réforme de 2021 et de ses souhaitables prolongations. Elle se caractérise aujourd’hui par une approche majoritairement juridique.

Axée sur la maîtrise des ressources et le fonctionnement quotidien des services, elle doit évoluer vers une attitude de plus grande exigence d’objectifs et d’atteinte de résultats, favorisant l’homogénéité des pratiques professionnelles sous l’égide de la HAS., ainsi que l’homogénéité et la cohérence des pratiques des directions régionales du ministère du Travail.

Faciliter les tests et la mise en œuvre de nouvelles technologies. L’utilisation de nouvelles technologies, ainsi que de nouvelles méthodes d’organisation, se heurte à plusieurs reprises à divers blocages ou divergences de direction, souvent inexplicables.
De manière générale, aucune orientation claire et homogène ne se dégage sur l’ensemble du territoire, ce qui pénalise et paralyse les initiatives, rendant leur mise en œuvre et leur pérennité incertaines selon les sujets concernés. C’est bien plus une question de mentalité, de comportement individuel et collectif, que de contraintes strictement normatives inscrites dans les textes.
L’élaboration de protocoles encadrés d’expérimentation des innovations, tant technologiques qu’organisationnelles, telles qu’elles existent dans de nombreux domaines d’activité (art. 51 du PLFSS pour la santé), permettrait de mettre en valeur le potentiel latent de nombreux nouveaux acteurs attirés par le monde de la santé. être libéré du travail et frapper à sa porte.

3° cul : d’une manière générale, intégrer structurellement le système de santé au travail dans le système général de santé.

Élargissons un instant l’approche !

Dans un système de santé repensé et réorganisé autour des thématiques de santé publique et de prévention – « One Health » – porté par un nombre toujours croissant d’institutions (OMS), d’experts et de spécialistes de santé, ainsi que par le gouvernement français, les acteurs de la santé au travail peut jouer un rôle important en tant qu’acteur opérationnel central décisif.

Pour ce faire, elle dispose d’un ensemble d’atouts uniques parmi tous les acteurs du système de santé :

  • Il est susceptible de soutenir l’ensemble de la population active du pays sur le long terme, plus de 40 ans, de l’entrée sur le marché du travail jusqu’à la retraite.

  • Elle dispose déjà d’un réseau extrêmement dense, qui couvre l’ensemble du territoire avec une grande granularité, au point de constituer, dans certains déserts sanitaires, le premier point d’accès au système de santé.

  • Sous réserve d’une meilleure organisation collective – notamment par la création d’acteurs à l’échelle nationale – elle est susceptible de générer des marges de manœuvre financières considérables en réalisant d’importantes économies d’échelle et en optimisant la gestion des acteurs.

Cette évolution repose sur la volonté politique de dépasser le corporatisme et la rigidité administrative, d’ouvrir, de « déghettoiser » la santé au travail pour l’intégrer pleinement au sein du système de santé mondial, en tant qu’acteur de premier plan au service des priorités définies par les pouvoirs publics. en termes de prévention, de dépistage, de maintien dans l’emploi et de suivi de santé.

Cela permettrait également de redonner du sens à une spécialité en déclin, la médecine du travail, en valorisant son rôle et ses missions.

La santé au travail possède un potentiel très fort qui peut se résumer en une équation simple mais ambitieuse :

Santé des travailleurs = santé des citoyens = performance des entreprises = performance collective du pays

Jean-Paul Thonier
Consultant en gestion des risques/santé au travail

 
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