Michel Foucault au procès Donald Trump-Stormy Daniels

Michel Foucault au procès Donald Trump-Stormy Daniels
Michel Foucault au procès Donald Trump-Stormy Daniels

L’« Histoire de la sexualité » de Michel Foucault et son premier volume « La Volonté de savoir », publié en 1976, peuvent éclairer les enjeux du procès en cours de Donald Trump contre l’ex-actrice X Stormy Daniels, estime Pierre Azou, doctorant à Littérature française à l’Université de Princeton.

Tout dans le monde tourne autour du sexe, sauf le sexe. Le sexe est une question de pouvoir « . Après l’affaire Clinton-Lewinsky, le procès de Donald Trump, en cours à New York, atteste une nouvelle fois de la justesse de la célèbre formule d’Oscar Wilde – du moins aux États-Unis. Alors que l’ancien président doit répondre « seulement » des accusations de falsification de documents comptables en lien avec sa campagne de 2016, le témoignage de l’ex-actrice X Stormy Daniels (de son vrai nom Stephanie Clifford) vient rappeler que le véritable enjeu est ailleurs : dans le sexe, au pouvoir.

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Certes, ce témoignage était attendu, puisque c’est bien la prétendue relation sexuelle entre Clifford et Trump qui aurait donné lieu à la falsification en question. Mais, selon le journaliste de New York Times couvrant le procès, c’était d’autant plus étonnant et explosif. Ce à quoi personne ne s’attendait, en fait, c’était un tel déballage, des détails aussi minutieux – des positions sexuelles préférées au préservatif qui aurait ou non été utilisé. Et surtout pas les avocats de Trump qui, arguant que les jurés ne pouvaient plus juger impartialement après avoir entendu cela, ont tenté d’obtenir l’annulation du procès (annulation du procès). Qu’il leur ait été refusé par le juge n’a fait que donner plus de force au témoignage de l’actrice, contribuant ainsi, au moins pour le public, à déplacer l’objet du jugement vers de toutes autres questions que celle de l’accusation principale : non plus ” Trump a-t-il falsifié des documents comptables ? », mais « Trump a-t-il couché avec Stephanie Clifford ? Pour quoi ? Comment ? Qu’est-ce que cela signifie ? Un ancien/futur président ne devrait-il pas faire cela ? »

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Ces questions peuvent être résumées par un titre, celui du premier volume duHistoire de la sexualité de Michel Foucault, publié en 1976 : La volonté de savoir. Oui, ce que nous voulons savoir, avec ce procès, c’est aussi la réalité, ou la vérité, du sexe. En témoigne notamment cet échange entre un avocat de Trump et Clifford lors du contre-interrogatoire de ce dernier (contre-interrogatoire) – et surtout le fait qu’elle ait été exagérée par de nombreux journaux et commentateurs américains : « Vous avez beaucoup d’expérience pour donner l’impression que de fausses histoires sexuelles sont réelles. », lance l’avocat. ” Le sexe dans ces films est très réel, comme ce qui s’est passé dans la chambre [de Trump] », rétorque Clifford.

Arracher la vérité du sexe

Mais quelle est la raison de cette « réalité » du sexe aujourd’hui ? Justement aussi, nous dit Foucault, lors de son réquisitoire ! En effet, à l’ère de la transparence démocratique, le sexe » comporte des dangers illimités » parce que ” son fonctionnement est obscur, parce que son énergie et ses mécanismes sont cachés, parce que son pouvoir causal est en partie clandestin. : autant de caractéristiques qui justifient, depuis le XVIIIe siècle, « le caractère exhaustif de l’inquisition à laquelle il est soumis » – et à quoi ne fait que répondre l’exhaustivité du témoignage de Clifford. On le voit bien : le scandale au cœur du procès n’est pas le sexe qu’elle expose à travers ses paroles (ni d’ailleurs celui qu’elle a si longtemps exposé dans ses films), mais celui que Trump a voulu cacher. L'” aveux », ce que Foucault nous dit est le « technique » privilégié pour « extraire la vérité du sexe », c’est donc celui qu’elle nous donne ainsi que celui que l’on tente en vain d’extraire de Trump. Parce que ” rituel où la vérité s’authentifie par l’obstacle et la résistance qu’elle a dû surmonter pour se formuler » – les obstacles et les résistances que Clifford met en avant dans le documentaire Orageuxlibéré peu avant le procès – « l’énonciation unique produit des modifications intrinsèques chez celui qui l’articule : elle l’innocence, elle le rachète, elle le purifie, le soulage de ses fautes, le libère, lui promet le salut « . Ainsi, là où Trump, qui refuse de se confesser, reste désespérément le même, Clifford, par ses aveux, devient une nouvelle femme : une combattante pour la démocratie.

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Ou du moins c’est ainsi qu’elle se présente dans son documentaire, et ainsi qu’elle est généralement considérée parmi les démocrates anti-Trump. Mais tout le problème, qui rend le procès complexe, c’est bien sûr que les républicains pro-Trump ne voient pas les choses de cet oeil. À l’instar des avocats de Trump, leurs efforts visent plutôt à redonner à Clifford ce qu’elle était Avant l’aveu, c’est-à-dire son passé soi-disant infâme d’actrice X avide de profit, pour discréditer son témoignage. L’hypocrisie est bien sûr flagrante, et on est à juste titre étouffés : comment ces soi-disant défenseurs de la morale conservatrice peuvent-ils soutenir un homme à la sexualité débridée, infidèle, bref bafouant tous leurs principes ? Mais pour eux, le scandale, ce n’est pas le sexe ! C’est le fait que nous en parlons. Leur hypocrisie est celle de ceci » Régime victorien » dont Foucault montre qu’il n’a jamais été qu’illusoire, où la sexualité doit être » retenu, muet »… quand ça arrange les puissants.

Donc ça va bien avec le « aveux » de Clifford comme il le dit : il n’est pas seulement « rituel où la vérité est authentifiée »mais aussi ” rituel qui se déroule dans un rapport de pouvoir : parce qu’on ne se confesse pas sans la présence d’un partenaire qui n’est pas simplement l’interlocuteur, mais l’autorité qui requiert l’aveu, l’impose, et intervient pour juger, punir, pardonner « . Maintenant, dans ce procès, quel est cet exemple ? Il ne peut s’agir du juge, ni des jurés, puisqu’ils n’auront qu’à se prononcer en définitive sur la falsification des documents comptables ; incapables de saisir directement le « sexe », ils nous rappellent que notre régime de sexualité » ne s’articule plus autour d’un système de règles définissant ce qui est permis et ce qui est interdit, ce qui est prescrit et ce qui est illégal, dans lequel les interdictions étaient fondamentalement de nature juridique « .

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Non, l’autorité ultime en la matière est bien le pouvoir – ou, pour le dire plus précisément chez Foucault que chez Wilde, c’est un « dispositif de sexualité » insaisissable car, comme en témoigne le procès de Trump, il n’est régi par aucune loi précise et unanimement reconnue, mais seulement par « techniques de pouvoir mobiles, polymorphes et conjoncturelles » « . Sur la même base, dans ce système mouvant, on peut condamner Clifford et disculper Trump, ou l’inverse. Et c’est pourquoi, quelle qu’en soit l’issue, ce procès n’aura d’autre effet que d’alimenter le conflit entre pro et anti-Trump. Il pourra trancher sur la vérité du différend, mais devra toujours trouver la vérité sur le sexe – et donc sur le pouvoir.

 
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