En lice pour le Prix de l’inventeur européen, ces Français produisent de l’énergie à partir de l’eau salée

En lice pour le Prix de l’inventeur européen, ces Français produisent de l’énergie à partir de l’eau salée
En lice pour le Prix de l’inventeur européen, ces Français produisent de l’énergie à partir de l’eau salée

EEt si 15 % de l’énergie totale française en 2050 était produite dans les estuaires ? C’est ce que veulent croire l’ingénieur Bruno Mottet, docteur en physico-chimie des surfaces, et le physicien Lydéric Bocquet, médaillé d’argent du CNRS et professeur au Collège de France. Ils ont développé une technologie permettant d’exploiter l’énergie provenant de la différence de concentration en sel entre les courants d’eau douce et celle de mer.

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Pionniers dans un secteur encore émergent, ils figuraient déjà dans notre liste des inventeurs en 2023, dans la catégorie greentech. Ces chercheurs espèrent, avec leur start-up Sweetch Energy, pouvoir imposer cette nouvelle Source d’énergie électrique naturelle, non carbonée et renouvelable dans le futur mix énergétique mondial, aux côtés du solaire et de l’éolien, comme alternative aux énergies fossiles.

Aux côtés d’une équipe finlandaise et polonaise, ses chercheurs sont finalistes dans la catégorie PME du Prix de l’inventeur européen 2024, organisé par l’Office européen des brevets (OEB), et souvent décrit comme « l’Eurovision » de l’innovation. En attendant le verdict final, le 9 juillet, Bruno Mottet, co-fondateur et directeur de l’innovation de la start-up, a accordé une interview à Indiquer pour revenir à cette invention.

Indiquer : Vous travaillez sur l’énergie osmotique, aussi appelée énergie bleue. Qu’est-ce que c’est ?

Bruno Mottet : Cette énergie est relativement peu connue, même si les premiers travaux sur le sujet datent des années 1950. Lorsque l’eau salée rencontre l’eau douce, elle libère une forme d’énergie appelée énergie de mélange. On le trouve dans tous les estuaires et on en produit de l’électricité.

C’est une énergie douce, non carbonée, 100% renouvelable car issue uniquement du flux des rivières vers les océans et les mers. C’est une ressource énorme à l’échelle planétaire, elle représente 30 000 térawattheures par an, et elle n’est pas du tout valorisée aujourd’hui. L’énergie osmotique pourrait contribuer à réduire la dépendance aux combustibles fossiles en augmentant l’offre mondiale d’énergie renouvelable.

Comment se produit l’énergie de cette rencontre entre eau salée et eau douce ?

L’eau de mer contient du sel, qui contient des ions, eux-mêmes contenant des électrons, qui produisent de l’électricité. Nous avons donc développé une membrane qui permet de sélectionner des ions pour générer un courant ionique, que nous transformons en courant électrique grâce à un système d’électrodes.

C’est comme si nous fabriquions les premiers panneaux solaires.Bruno Mottet

Tout part d’une publication scientifique de Lydéric dans la revue Nature, en 2013, où il évoquait les prémices de cette révolution. Je l’ai donc contacté pour que nous puissions essayer de transformer sa découverte en science fondamentale en recherche appliquée. C’est ainsi qu’est née Sweetch Energy. Nous développons des générateurs osmotiques dans lesquels nous faisons couler de l’eau douce et de l’eau de mer de chaque côté de nos membranes pour produire de l’électricité.

Aucun système ne tire-t-il aujourd’hui profit de cette énergie naturelle à grande échelle ?

Aucun. C’est comme aux débuts de l’énergie solaire, comme si on fabriquait les premiers panneaux solaires, on développait la première centrale osmotique. Aucune technologie ne parvient aujourd’hui à récupérer cette énergie, car elle est assez complexe à capter.

Pourquoi n’avons-nous pas exploité davantage cette ressource auparavant ?

D’autres technologies avaient déjà été développées pour exploiter cette ressource naturelle, mais avec des rendements très faibles et des opérations complexes. Notre nouvelle technologie, qui n’existe que grâce aux découvertes scientifiques de Lydéric, est bien plus performante. Nous avons déjà déposé une dizaine de brevets sur notre innovation.

Votre objectif est de créer un système industrialisable. Où êtes-vous aujourd’hui?

Il y a encore trois ans, nous produisions des membranes de quelques centimètres carrés seulement. Aujourd’hui, ils sont fabriqués à une échelle continue sur des centaines, voire des milliers de mètres carrés, comme des rouleaux de papier.

Nous sommes également en train d’installer notre premier démonstrateur de production d’électricité osmotique, sur l’écluse de Barcarin, à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône), avec la Compagnie nationale du Rhône. Cela démarrera à la fin de l’année. Dans un premier temps, sa capacité de production sera limitée à quelques dizaines de kilowatts par heure ; ce sera le premier démonstrateur en milieu naturel ; il prouvera l’efficacité de cette technique de production d’électricité.

Ensuite, bien sûr, nous développerons cela à plus grande échelle, car le potentiel est énorme. Si l’on prend notre exemple de Barcarin, c’est un petit bras du Rhône, mais, si l’on détournait seulement 10 % du débit total de ce fleuve pour le faire passer par une station osmotique – que l’on rétablit sans aucun impact – on pourrait installer environ 400 mégawatts de capacité de production, ce qui correspond à la consommation électrique de l’ensemble de la population de la métropole marseillaise. En termes d’échelle, nous sommes dans la même catégorie que les centrales nucléaires !

Un avantage non négligeable de cette Source d’énergie est qu’elle est continue, contrairement à l’éolien et au photovoltaïque…

En effet, l’eau douce s’écoulera toujours vers l’eau de mer, même si les débits peuvent varier. Mais c’est avant tout une Source d’énergie contrôlable : notre technologie ressemble un peu à une batterie naturelle dans laquelle on peut intégrer un robinet en amont : si on le coupe, il arrête la production d’électricité et, quand il coule, on relance simplement la production. . Ceci est d’un grand intérêt par rapport à l’évolution de la demande du réseau électrique. Ce n’est pas la nature qui nous impose si l’énergie fonctionne ou non, comme c’est le cas pour l’énergie éolienne ou solaire ; là, on peut tout gérer, produire en continu, répondre à un pic, etc. C’est beaucoup plus flexible.

Vos centrales électriques prennent de la place ?

Notre technologie est très compacte et nos systèmes ressemblent à des serveurs informatiques. Ils sont comme des boîtes empilables les unes sur les autres. Nous avons donc besoin de très peu de terrain pour installer ces appareils. C’est infime comparé aux éoliennes par exemple, qui doivent être séparées de 300 mètres les unes des autres pour ne pas dévier le vent, ou encore aux panneaux solaires, qui ne peuvent pas être empilés. C’est un réel avantage, surtout lorsqu’il faut le placer dans des estuaires, qui sont des zones commerciales convoitées. Nous envisageons même de créer des systèmes osmotiques sous forme de barges à mettre en mer.LIRE AUSSI Électricité : la Guadeloupe mise sur le 100% renouvelable

Quels défis restent-ils à relever aujourd’hui pour passer à l’échelle ?

Notre technologie fonctionne et nos résultats le prouvent. Pour poursuivre la comparaison avec les panneaux solaires du passé, nous continuerons à optimiser la production d’énergie à grande échelle grâce à nos membranes. Mais le principal défi est de construire une filiale industrielle qui n’existe pas. Nous avons mené un gros travail de lobbying à l’échelle européenne et en France pour que l’énergie osmotique soit reconnue comme une énergie fiable et intégrable dans le réseau. Aujourd’hui, c’est reconnu, donc on peut le produire, ce qui est déjà une grande avancée.

Le principal problème, comme nous sommes les seuls sur le marché et que nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes, est d’avoir accès à tous les chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire trouver des fabricants pour fabriquer nos membranes, des robots pour assembler ces batteries et, bref, construire des super-usines utilisant des technologies totalement nouvelles. De nombreux partenaires industriels français travaillent déjà avec nous, mais il faut désormais développer cette chaîne de production à l’échelle française et européenne, puis mondiale.

Sommes-nous pionniers en France dans la recherche scientifique sur l’énergie osmotique ?

Les Américains y travaillent très peu, mais cela suscite beaucoup d’intérêt en Asie, notamment en Corée et en Chine. Nous considérons que notre entreprise rennaise a entre trois et cinq ans d’avance sur ce qui se fait ailleurs. Et surtout, nous sommes les seuls au monde à fabriquer nos membranes à partir de matériaux biosourcés, et non issus de produits pétroliers.

D’ici 2050, on estime qu’elle pourrait représenter plus de 15 % du mix énergétique total !

Cette nouvelle piste peut-elle apporter un peu d’espoir face à la demande galopante d’électricité à l’échelle mondiale ?

C’est urgent. A l’heure du développement des voitures électriques, la demande mondiale en électricité va exploser et devrait atteindre près de 30 000 térawattheures (TWh) d’ici 2025, selon l’Agence internationale de l’énergie… Il est indispensable de trouver d’autres sources d’énergie non carbonées éolienne et solaire.

A terme, l’énergie osmotique pourrait-elle prendre une grande part du mix énergétique en France ?

D’ici 2050, on estime qu’elle pourrait représenter plus de 15 % du mix énergétique total !

 
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