« L’important pour nous, c’était de voir les gens heureux. » 60 ans après leur titre de champion de France de rugby, les anciens de la Section Paloise remontent le temps (2/2)

Après avoir évoqué hier dans ces mêmes colonnes les mois précédents le titre et la phase finale, nous revenons aujourd’hui sur les jours et les années qui ont suivi, dans la vie de ces hommes liés depuis par une amitié indéfectible.

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Le 24 mai 1964, vous battez Béziers en finale du championnat et devenez des héros. Comment ça se passe à votre retour à Pau ?

Roger « Nino » Lhande (RL) : C’est très très difficile de raconter et de faire comprendre ce qui s’est passé (silence). Nous sommes arrivés en bus à Soumoulou depuis Toulouse. Et déjà, depuis Soumoulou, il y avait du monde au bord des routes. Du lycée Saint-Cricq à la préfecture, voilà…

Jean-Baptiste Doumecq (J.-BD) : Le bus ne roulait plus. Nous étions immobiles !

R.L. : C’était surchargé de supporters, on se demandait comment on allait revenir.

Henri « Riquet » Cazabat (HC) : Et pour s’approcher du Champagne (NDLR la brasserie de la place Royale), il a fallu appeler la police. Les gens montaient dans les voitures, les serveurs ne pouvaient pas se déplacer avec la vaisselle, c’était affreux. En plus, pour accéder au restaurant, ils ont dû nous laisser entrer par l’arrière.

R.L. : Et c’était pire le lendemain (rires). C’est ce que nous avons vu sur le chemin du retour. Nous avons eu du mal à retrouver le chemin du retour.

HC : Après le titre, nous avons eu des invitations de partout. Les restaurants ont invité toute l’équipe. Nous étions une quinzaine à y aller, mais il y avait cinquante, soixante personnes qui venaient manger au restaurant pour nous voir, ça leur faisait beaucoup de publicité.

R.L. : Et puis on n’a pas seulement mangé ! Mais l’important pour nous c’était de voir les gens heureux, ça nous rendait heureux aussi.


Le bonheur était intense à la fin de la finale.

Archives PP

A cette époque, on était encore loin du rugby professionnel, vous aviez tous des métiers à côté.

J.-BD : Pour nous, dimanche, c’était une journée de plaisir et de détente car derrière, le lundi matin, même quand nous rentrions de voyage de Lyon ou de Grenoble dans un lit superposé et que nous arrivions à 7 heures du matin, tout le monde se mettait directement au travail. L’un à EDF, l’autre en institut, l’autre à la ville. J’étais agriculteur.

Bernard Vignette (BV) : J’ai travaillé dans les usines Laprade à Arudy. J’étais aussi marchand de vin.

R.L. : J’étais au lycée, j’étais jeune. J’ai remonté le moral des personnes âgées.

HC : J’ai travaillé à la Ville de Pau. Je pensais remplacer le maire, mais je ne pouvais pas (rires).

B.V. : La ville est belle grâce à toi, Riquet.


« La République des Pyrénées » du mardi 26 mai 1964.

Archives PP

Henri, vous avez fait toute votre carrière sportive à la Section, et même après, êtes-vous resté dans le monde du rugby ?

CH : La Section est une famille pour moi. J’ai commencé en 1952, en tant que junior, parce qu’il n’y avait pas de cadets. Et j’ai quitté le label en 1996. J’ai entraîné les cadets, les juniors, l’équipe première. Et puis quand j’ai arrêté, le comité m’a proposé de faire des délégations sportives pour la fédération.

R.L. : Vous avez dû acheter des cigares !

HC : Pendant six ou sept ans – je ne me souviens plus très bien – je me déplaçais tous les dimanches pour superviser les matchs. Et lundi, nous avons fait le rapport.


Henri « Riquet » Cazabat.

Alban Laffitte

J.-BD : Il faut dire une chose à propos de Riquet. Talonneur de formation, champion de France de troisième ligne. Il fallait le faire, c’est beau.

B.V. : Ce n’est pas pour tout le monde.

R.L. : Et même un demi de mêlée de remplacement.

HC : Titulaire !

J.-BD : C’était un joueur complet.

HC : C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de remplacement. Les responsables étaient donc heureux d’avoir un joueur polyvalent.

R.L. : Tu ne m’as pas remplacé sur l’aile aussi ?

HC : Oh, j’étais content le jour où on m’a dit d’aller à l’aile (rires). Et puis quand on nous disait « tu joues là-bas », tu n’avais pas le choix. Nous avions un patron.

Jean-Baptiste, tu as la particularité d’avoir été champion de France en première division, mais aussi en deuxième et troisième avec Figeac (Lot), parle-nous-en.

J.-BD : Je faisais partie des juniors d’Oloron. Nous avons atteint les finales, Crabos et Reichel, tous perdus. Battu. Je vais faire 28 mois de service militaire. Je suis incorporée à Cahors. C’était une équipe de géants avec beaucoup d’internationaux. J’ai donc signé dans un club de troisième division, Figeac, qui vient de monter. Nous sommes champions de France deux ans plus tard, troisième et deuxième division (1961 et 1962). Je me retrouve ensuite en Algérie. Et au retour, les Palois m’ont fait signer. J’y ai passé quatre ans.

Jean-Baptiste Doumecq.


Jean-Baptiste Doumecq.

Alban Laffitte

R.L. : Comme je n’avais pas de permis quand j’ai commencé, c’était mon chauffeur, mon taxi (il se tourne vers Doumecq). Tu as bien fait de venir !

J.-BD : Son père l’a amené d’Aramits (NDLR d’où est originaire Nino Lhande) et je l’ai emmené à Oloron.

R.L. : Nous avons introduit le covoiturage avant tout le monde. Le seul problème était que nous rentrions parfois un peu tard.

.J.-BD : Nous ne sommes pas rentrés rapidement, nous étions en 2CV. Il fallait revenir lentement et sûrement.

R.L. : J’étais copilote, j’avais le temps de voir les virages.

Depuis le titre, vous avez pris l’habitude de vous retrouver chaque année autour du 24 mai. De quoi parlez-vous dans ces moments-là ?

R.L. : On parle surtout de nous !

Les anciens ont même pris le temps de faire quelques passages à la Croix du Prince.


Les anciens ont même pris le temps de faire quelques passages à la Croix du Prince.

Alban Laffitte

Et un peu un ballon ovale, non ?

HC : Oui, mais le rugby a beaucoup changé. En 1964, la Section était une équipe nationale. Il n’y avait que des Béarnais. Aujourd’hui, il y a trop d’étrangers.

J.-BD : C’était une équipe béarnaise, béarnaise. Il y avait des Palois, des Oloronais, des gars de Monein, de Barétous et de la vallée d’Ossau.

R.L. : Chaque vallée avait son représentant. Nous n’étions pas racistes, mais c’était comme ça dans tous les clubs.

Bernard Vignette.


Bernard Vignette.

Alban Laffitte

Les effectifs ont également évolué avec les profils recherchés. Comment voyez-vous l’évolution actuelle du rugby ?

R.L. : On a vu l’évolution que prenait le physique dans le jeu. Mais nous aussi, nous n’étions toujours pas mauvais. Nous n’avions pas d’entraîneurs paresseux.

J.-BD : Personnellement, je le trouve trop dur, trop physique. C’est un rugby qui est envahi – attention, je les respecte – par les gars des îles. Ce sont des forces de la nature. Quand on voit des joueurs qui pèsent 140, 150 kg… C’est un métier, c’est tout ce qu’ils font, mais c’est un rugby qui détruit les hommes. Une blessure dure 10 mois, un an.

HC : Les règles ont également beaucoup changé. Avant, on jouait au rugby à 15, aujourd’hui, on joue à 23. Les joueurs, ils sortent, ils reviennent… Les mêlées, on les attaquait, il fallait les gagner. Maintenant, on se bat : « mets-toi dans une bonne position », « positionne bien ta tête », boh.

J.-BD : Heureusement, aujourd’hui nous sommes assis sur la chaise, l’écran devant nous.

R.L. : C’est bien aussi d’être spectateur.

Bernard Vignette, Roger Nino Lhande, Jean-Baptiste Doumecq et Henri Cazabat faisaient tous quatre partie de l'équipe championne de France 1964.


Bernard Vignette, Roger Nino Lhande, Jean-Baptiste Doumecq et Henri Cazabat faisaient tous quatre partie de l’équipe championne de France 1964.

Alban Laffitte

Vous avez réalisé vos exploits dans un stade, la Croix-du-Prince, dont il ne reste aujourd’hui que le terrain et une petite tribune. Qu’est-ce que ça fait de voir les choses comme ça ?

R.L. : Ça m’énerve un peu qu’ils aient démoli les tribunes (NDLR en 2019).

Roger « Nino » Lhande.


Roger « Nino » Lhande.

Alban Laffitte

J.-BD : Je m’en souviens comme d’un stade boueux, ce n’était pas un terrain. On ne pouvait pas s’en sortir, il nous fallait des crampons comme ça pendant longtemps. C’était l’une des pires pelouses de France. Riquet, il n’a joué que là-bas, il peut dire ça, non Riquet ?

HC : On garde encore de très bons souvenirs de ce stade.

R.L. : Et certains moins bons aussi. Nous aurions pu jouer avec des échasses.

 
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