la psychiatrie, mal-aimée des étudiants en médecine

la psychiatrie, mal-aimée des étudiants en médecine
la psychiatrie, mal-aimée des étudiants en médecine

La psychiatrie est de plus en plus délaissée par les étudiants en médecine, dont plus d’un tiers déclarent avoir « peur » de cette spécialité. Stigmatisation, manque de moyens, méconnaissance de la discipline… Les professionnels alertent sur le manque d’attractivité du secteur, alors que le gouvernement de Michel Barnier a érigé la santé mentale comme « Grande cause nationale à l’horizon 2025 ».

Lorsqu’il a commencé ses études de médecine, Ali-Kemal, 26 ans, était prédestiné à la neurologie. « Quand j’ai finalement annoncé à mes amis que j’avais choisi la psychiatrie, certains ont ri un peu ou m’ont gentiment fait quelques blagues… » Pourtant, l’étudiant à Paris l’assure : son choix pour cette spécialité était totalement « volontaire ».

Ali-Kemal fait partie des quelque 424 étudiants en France qui ont opté, à la rentrée 2024, pour cette spécialité. A noter que 65 postes restaient vacants, soit un chiffre en hausse de 13,3% par rapport à l’année dernière, comme le souligne le Collège national des psychiatres universitaires (CNUP). “On constate un certain désamour pour cette discipline, lié notamment à son manque de connaissances”déplore Olivier Bonnot, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et président du CNUP.

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Une incompréhension de la discipline perceptible dans la population générale, alors que plus de six Français sur dix jugent le monde de la psychiatrie « anxiogène », selon le baromètre réalisé par l’institut CSA pour le CNUP, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) et l’Association nationale des internes en psychiatrie (AFFEP).

Encore plus inquiétant pour les professionnels du secteur : “Les étudiants sont globalement d’accord avec cette affirmation”déplore Olivier Bonnot. En fait, 37% d’entre eux sont “avoir peur” de cette spécialité, qui reste cantonnée dans le top 4 des derniers choix des étudiants, à l’issue des épreuves du classement national, avec la santé publique, la médecine du travail et la biologie.

“On s’accroche à nos préjugés”

Et la méthode d’enseignement, durant les premières années d’études de médecine, n’a en rien dissipé les nombreux préjugés des étudiants : « On nous donne une simple liste de symptômes et les cours ne sont pas assez approfondis par rapport à d’autres disciplines. En effet, il y a un manque d’informations à ce sujet, notamment en ce qui concerne le suivi des patients. Nous nous accrochons à nos préjugés et certains continuent de penser que la psychiatrie se résume à donner des antidépresseurs. »regrette Dahlia, étudiante en césure entre sa troisième et sa quatrième année de médecine, qui n’a pas encore fait son choix sur sa future spécialité.

Une chose est sûre : la jeune femme de 20 ans souhaite faire un stage en psychiatrie pour tenter de dépasser la théorie qu’elle a survolée sur les bancs de sa faculté de Creil (Oise) pour s’essayer à la pratique. Car, si certains stages sont obligatoires comme en chirurgie ou en médecine générale, celui de psychiatrie reste facultatif – au grand désarroi des professionnels qui tiennent, depuis de nombreuses années, à l’imposer dans le cursus des étudiants.

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Ce manque de considération contribue à la stigmatisation d’une discipline que beaucoup continuent de ne pas reconnaître comme une spécialité médicale à part entière. « Les praticiens ne considèrent pas leurs confrères psychiatres comme de « vrais médecins », ce qui s’illustre notamment par l’absence très fréquente de lettres médicales qui leur sont adressées »confirme la psychiatre Déborah Sebbane, dans un article publié dans la revue Informations psychiatriques en 2015.

Grande cause nationale pour 2025

Il est en outre considéré comme “moins prestigieux” que les autres spécialités par pas moins de 62% des étudiants. Opaque, angoissant, synonyme de confinement… « C’est la mal-aimée des disciplines cliniques »constate, avec lassitude, Ali-Kemal, qui regrette également les idées reçues concernant les patients en psychiatrie, ainsi que les professionnels. “On a l’impression que tous les psychologues ont des problèmes psychiatriques”note l’élève avec un rire jaune.

En effet, selon les données rapportées par la revue Informations psychiatriques56 % des internes, toutes spécialités confondues, pensent qu’un étudiant en psychiatrie a probablement des antécédents psychiatriques personnels ou qu’il est « bizarre ». Les psychiatres sont considérés comme « des gens confus, complexes et difficiles à comprendre ». Résultat, la profession tombe en désuétude… et comme il n’y a pas assez d’étudiants optant pour cette spécialité, le renouveau démographique est loin d’être assuré. Rappelons qu’en 2023, un quart des psychiatres avaient plus de 65 ans.

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Mais dans le même temps, les troubles psychiatriques sont devenus un enjeu prioritaire de santé publique, en constant déclin depuis la pandémie de Covid-19. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un Français sur cinq sera touché au moins une fois dans sa vie par de tels troubles ou par une maladie mentale. Face à ce constat, le Premier ministre Michel Barnier a érigé la santé mentale comme « Grande Cause nationale » pour 2025, lors de son discours de politique générale du 1er octobre.

Un soulagement pour les professionnels du secteur, qui attendaient cette annonce depuis de nombreuses années. « Il va désormais falloir informer la population générale sur ce que sont les troubles psychiatriques. Par exemple, lorsqu’une personne se casse une jambe, elle sait qu’elle devra consulter un orthopédiste. En revanche, lorsqu’une personne entend des voix ou souffre de dépression, il n’est pas évident qu’elle se rende automatiquement chez un psychiatre.observe Olivier Bonnot, qui prône une vaste campagne médiatique en la matière.

Interrogé pour son part sur ses attentes à l’égard du gouvernement Barnier, Ali-Kemal s’est montré catégorique : « Nous avons besoin d’un financement durable. » Et l’interne en psychiatrie complète : « Le secteur souffre de grandes difficultés pour prendre en charge les patients en raison d’un système à genoux. » Des difficultés qui, avoue-t-il, l’ont longtemps fait hésiter à choisir cette discipline.

 
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