“Je parle avec humour de la mort”, a-t-il confié dans une interview

“Je parle avec humour de la mort”, a-t-il confié dans une interview
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Fondateur de Lire en 1975, Bernard Pivot, décédé ce lundi 6 mai, savait mettre la littérature à la portée de tous. Son départ de la rédaction en 1993 ne l’empêche pas de témoigner d’un attachement et d’une attention très fidèles à la première revue littéraire de France. En 2011, il nous reçoit chez lui, dans son appartement parisien. Il se présentait alors avec pudeur et malice, s’enthousiasmait en parlant de littérature et d’écrivains et nous régalait en trouvant toujours le mot juste… Pièces choisies.

Vous écrivez dans Les mots de ma vie : «Je suis un homme devenu public grâce à une succession de clins d’oeil fortuits. ” Vraiment ?

BP En tout cas, le hasard a dominé ma vie depuis que j’ai été embauché comme stagiaire chez Figaro littéraire par Maurice Noël alors que je n’étais pas du tout un lecteur enthousiaste mais tout simplement parce que, au cours de la conversation, je lui ai dit que mes parents faisaient du Beaujolais, et plutôt bons, et qu’il souhaitait avoir un caquillon. Je venais de Lyon, je sortais du Centre de Formation des Journalistes, je cherchais une place et on m’a envoyé au Figaro. Mais si on m’avait dit Le Monde ou surtout L’Equipe, j’aurais pris… Je ne savais absolument pas ce que je voulais faire de ma vie. Mais j’ai senti que c’était ma chance, et j’ai alors eu une sorte d’entêtement, de fougue, d’énergie, qui m’a fait réagir avec la volonté de réussir.

C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à lire comme un fou. Pour rattraper le temps perdu. Au bout de trois mois, Maurice Noël m’a engagé, non seulement parce que le Beaujolais de mes parents était bon, mais aussi parce qu’il jugeait sans doute que j’étais un journaliste prometteur. C’est un miracle ! Tu réalises ? Je n’avais jamais entendu parler des noms qu’il évoquait, à commencer par cette énigmatique Marguerite Yourcenar que j’irais voir chez elle, aux Etats-Unis, trente ans plus tard pour un tête-à-tête. Si j’ai une qualité, c’est que je sais exactement ce que je peux ou ne peux pas faire. Quand mon nom a été évoqué pour diriger une chaîne de télévision ou une maison d’édition, j’ai immédiatement dit non, je n’ai aucune qualification pour cela.

En vous lisant, on découvre que vous avez aimé les mots avant d’aimer les livres…

BP Oui, c’est vrai. Mais encore une fois, c’est à cause des circonstances. À cause de la guerre. J’habitais un petit village du Beaujolais et je n’avais à ma disposition que deux livres : une édition du Petit Larousse datant des années 30 et les Fables de La Fontaine. J’ai vraiment aimé me promener Le Petit Larousse, écrivant des mots dans le misérable cahier que j’avais toujours avec moi. Et j’ai repris des mots des Fables de La Fontaine, dont j’ai recherché le sens dans le Larousse et que j’ai aussi noté dans ce cahier. J’ai donc aimé lire des dictionnaires avant de lire des romans. À cet âge-là, pendant la guerre, je ne lisais pas du tout de romans. Je n’ai commencé à lire qu’à douze ou treize ans.

Vous êtes favorable à l’utilisation de l’expression « calculer quelqu’un ». Il est largement utilisé par les jeunes qui ont déformé le sens initial du verbe. Dans quelle mesure faut-il laisser les mots évoluer et désigner autre chose que ce que fixe la définition du dictionnaire ?

BP Jusqu’à ce qu’il y ait une logique. Lorsqu’une fille dit d’un garçon : « Il m’a calculé », elle comprend très bien ce qu’elle veut dire : cela a un sens plus large, ce n’est pas seulement « il m’a admiré » ou « il m’a regardé », mais aussi « il a demandé lui-même les questions : ai-je une chance de lui plaire ou que cela irait un peu plus loin ? » Mais il existe d’autres mots dont le sens évolutif n’est pas pris en compte par les dictionnaires actuels. Le mot « canaille », par exemple. Canaille est un mot affreux pour commencer. Un scélérat est un bandit, un tueur. Maintenant, aujourd’hui, nous utilisons ce mot avec un peu d’humour – j’ai même fait Apostrophes coquines, où l’on discutait avec malice et enjouement de choses coquines… J’aime que les mots évoluent, qu’ils ne restent pas enfermés dans leur sens originel. Colette avait par exemple créé « fragonarde » pour désigner une femme voluptueuse, qui possède des courbes, comme celles que l’on peut admirer dans les tableaux de Fragonard. Je reviens à votre question sur le hasard : peut-être que si j’avais eu toute une bibliothèque à ma disposition, je n’aurais pas lu Le Petit Larousse. Mais par hasard, c’était le premier livre dont je disposais et, par conséquent, je n’ai jamais oublié les dictionnaires.

Un écrivain doit-il créer des néologismes ?

BP Non, un écrivain fait ce qu’il veut, il ne doit rien. Il a toute liberté de créer ou de ne pas créer. Ce n’est pas ce que j’attends d’un écrivain. Je ne crois pas que Modiano, que j’aime beaucoup, ait créé beaucoup de néologismes. Mais tant mieux si certains auteurs les créent. San Antonio, ou plutôt Frédéric Dard, avait un génie pour les néologismes.

Alors, quel est le rôle d’un écrivain ?

BP Tout écrivain ambitieux veut probablement changer le monde, mais je n’y crois pas vraiment, sauf aux sciences humaines. Marx ou Freud ont en effet changé le monde. Je pense que la plupart des écrivains écrivent d’abord parce qu’ils ressentent le besoin de traduire ce que leur sensibilité, leur expérience, leurs joies et leurs peines leur ont appris sur la vie. A partir de là, le rôle d’un écrivain consiste à apporter au lecteur de quoi nourrir sa sensibilité, sa réflexion, ses rêves, sa colère.

Comment reconnaît-on un grand écrivain ?

BP A son propre style. Les grands écrivains font évoluer le langage et la syntaxe. Prenez Proust ou Céline : cinq vers de l’un des deux, et on le reconnaît tout de suite ! Même chose avec Modiano, Echenoz, Le Clézio, Sollers… C’est aussi pour cela que je dis que je ne suis pas écrivain : je n’ai pas de style. J’essaie d’être un bon journaliste. Les bons écrivains ont une syntaxe particulière, un choix de mots grâce auxquels on les reconnaît, une musique.

Quels sont les écrivains qui vous ont le plus marqué ?

BP Il est compliqué de répondre à cette question car le style cohabite avec la façon dont on lit. Pour le style, je dirais Paul-Louis Courier et Voltaire. Je suis ébloui par leur style. Pamphlets du Courrier et lettres de Voltaire. Même chose avec Céline, Proust, Flaubert, Stendhal, mais aussi Rimbaud, Verlaine, Baudelaire. J’aime toujours beaucoup Blondin et Aragon, Vialatte, Félicien Marceau. Parmi les auteurs de cette année, le roman dont le style m’a le plus marqué est Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal, que j’ai trouvé extraordinaire et nouveau.

Avec le recul, comment analysez-vous le succès deApostrophes ?

BP Pourquoi Apostrophes a si bien fonctionné ? C’est compliqué. Il y a bien sûr l’admiration, qui est centrale. Nous ne pouvons pas faire de critique littéraire ou d’émissions littéraires sans une admiration profonde et sincère. Mais ce n’était pas seulement cela, car j’étais parfois capable de formuler des critiques assez sévères. Je me souviens très bien d’une émission avec Roger Peyrefitte qui avait écrit un livre intitulé Propos…

 
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