Claudine Galea, une présence dans le monde

Claudine Galea, une présence dans le monde
Descriptive text here

Jusqu’au 08/05, Trois fois Ulysse est la deuxième pièce de Claudine Galea à l’affiche de la Comédie-Française. Qu’elle écrive des romans, pour le théâtre ou pour la jeunesse, son langage ne cesse de s’aventurer hors des sentiers battus. Rencontre avec un auteur qui ne renonce ni à la poésie ni à l’utopie. Un écrivain attentif au monde, à l’humanité.

Marie-José Sirach : Laëtitia Guédon, qui réalise Trois fois Ulysse, dit que tu as accepté «pour entrer dans le grand poumon lyrique» de tragédie. Ce est-à-dire ?

Claudine Galéa : Je parle d’un lyrisme brisé, pas de celui de la tragédie tel qu’il a été écrit il y a plusieurs siècles. Ce n’est plus possible aujourd’hui. D’abord parce qu’il n’y a plus de transcendance, parce que mon écriture a sa propre logique, sa propre cohérence et, en relisant l’Odyssée, que j’ai relu dans trois traductions différentes pour pouvoir le comprendre autrement, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est la guerre, les massacres, l’épopée d’un héros qui n’a jamais cessé de détruire le monde. Depuis lors, il fallait briser la poétique, terme que je préfère au lyrisme. Il y a beaucoup d’humour dans ce que j’ai écrit, indissociable de la distance nécessaire que je ressens avec ce grand mythe.

MJ.S. : Nous avons l’habitude de vous lire dans des monologues, des dialogues intérieurs très intimes. , vous explorez plusieurs registres de l’écriture, chanson, récit, poème… Était-ce une sorte de défi ?

CG : C’était une vraie question. Pendant six mois, j’ai lu, je me suis laissé immerger et je savais que je trouverais ce que j’avais à raconter dès qu’Ulysse m’apparaîtrait différemment. Un jour, j’ai compris qu’il se dirigeait vers la mort. Cette vulnérabilité le rendait touchant, humain. Du côté des femmes, Calypso et Penelope sont très peu présentes dans l’Odyssée. Pénélope n’a droit qu’à quelques lignes ; rien n’est dit sur Calypso, qui partage pourtant sa vie pendant sept ans avec Ulysse. Ce que vit Hécube est incroyablement violent. Elle apparaît à peine dans l’Iliade, ses six enfants ont été assassinés. Ils m’apparaissent tous comme des fantômes… Nous avons toujours regardé Ulysse uniquement sous l’angle du héros, du surhomme, du vainqueur. Que pouvaient ressentir ces figures féminines ? Nous n’avons jamais pris le temps de les regarder…

“Les trois femmes ne sont que des comparses d’Ulysse”

MJ.S. : Votre approche d’Ulysse est-elle une manière de déconstruire ce héros de la mythologie ?

CG : Je ne cherche ni à démystifier ni à déconstruire. Je regarde juste, j’essaie de comprendre ce qui s’est passé, sachant que c’est Homer qui écrit. L’évidence est évidente : les trois femmes ne sont que des comparses d’Ulysse. Ils n’ont aucun sentiment, aucune émotion, aucun destin, aucun avenir et tout tourne autour de lui. Maintenant, ce sont ceux-là qui m’intéressent. Il s’agit bien d’une forme de déconstruction nécessaire. Il y a la manière critique de regarder un grand mythe, puis il y a le langage que nous lui donnons. Il faut trouver un langage qui ne soit pas seulement un langage de déconstruction qui serait descriptif ou agressif, ça ne m’intéresse pas. On peut nier la figure du super-héros mythologique mais on ne peut nier le pouvoir du langage d’Homère.

MJ.S. : Votre pièce est une commande. Est-ce que cela a eu un impact sur votre écriture ?

CG : Le défi le plus important était de trouver la langue. Il s’agissait de mesurer le lyrisme tout en le rendant contemporain. J’avais des contraintes et il s’agissait d’avancer parmi elles, de tracer un chemin. J’ai exploré la langue dans des lieux qui ne m’étaient pas encore familiers, un mélange de trivialité et de poétique, une friction de registre, une friction de temporalité. Je l’ai compris en écrivant.

« Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur, il y a de la beauté. »

MJ.S. : Pourquoi dit-on que les mythes, les contes séculaires façonnés par le temps, par les hommes, par les guerres, font écho à notre présent ?

CG : C’est le présent qui fait écho au passé, c’est le futur qui fait écho au présent… Quand j’ai commencé à écrire, j’entendais ce qui se passait en Ukraine, puis en Palestine. Les histoires mythologiques ne s’inscrivent pas dans l’actualité. Ils parlent de la relation entre les hommes. Ulysse est une figure guerrière masculine que l’on retrouve aujourd’hui sous la figure du pouvoir, de la domination., qui ne cesse de vouloir réduire le monde pour se l’approprier, tout détruire sur son passage pour posséder ce qu’il ne possède pas. Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur il y a de la beauté. Les mythes sont d’une beauté vertigineuse et d’un abîme d’horreur.

MJ.S. : Comment voyez-vous l’arrivée de l’intelligence artificielle dans votre vie d’écrivain ?

CG : Je ne suis pas sûr que l’IA soit un langage, c’est-à-dire une possibilité d’inventer, de transgresser, une possibilité artistique. Je suis écrivain, d’autres sont peintres, compositeurs, nous créons des œuvres sensibles. L’art ne peut être remplacé par le savoir-faire, la fabrication, des . Pourtant, l’art n’est pas le lieu du consensus mais de l’inattendu. L’art est une rébellion envers tout. Je ne pense pas que l’IA occupe cette place. En revanche, ce lieu doit être défendu car il est constamment menacé comme si nous n’avions plus besoin de l’art. Et c’est terrifiant parce que c’est une question de civilisation, au-delà d’une question de culture. Que serait une société sans écrivain, sans musicien, sans artiste ? Un monde où l’on ne pourrait dépasser les règles, les habitudes, les usages, un monde sans invention ? L’IA peut être utile dans de nombreux endroits, mais tout dépend de la manière dont vous l’utilisez. Il y a l’usage que le pouvoir en fait et l’usage qu’en font les êtres vivants.

« Nous avons autant besoin d’art que de pain »

MJ.S. : Le budget de la culture va diminuer de 200 millions d’euros. Parmi les « économies » annoncées, moins 6 millions pour l’Opéra et moins 5 millions pour les Français. Comment réagissez-vous ?

CG : C’est une fuite en avant des gouvernements successifs face aux besoins de l’art et de la culture. Aujourd’hui, ce sont les institutions qui sont touchées et, symboliquement, ce n’est pas rien comparé à la place qu’elles occupent dans le monde de la culture. Frapper les institutions à cette hauteur annonce un démantèlement de notre trésor culturel français. C’est extrêmement grave mais il ne faut pas oublier que cette politique a commencé il y a longtemps. Les compagnies qui font vivre le théâtre dans tout le pays ont été les premières touchées. Il faudrait un soulèvement, un mouvement pour renverser cette politique. Nous sommes dans une situation qui met le monde de la culture à la même place que les salariés, les travailleurs. Nous sommes tous en danger par rapport à ce dont nous avons besoin dans la vie : manger, se loger, lire, voyager, aller au théâtre, aux concerts. Nous avons autant besoin d’art que de pain. Ce sont les mêmes combats. Réduire le budget culturel témoigne d’une volonté politique de nuire à l’art et à la culture. Propos recueillis par Marie-José Sirach

Trois fois Ulysse est joué à la Comédie-Française, Salle du Vieux-Colombier, jusqu’au 8/05. Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris (Tél. : 01.44.58.15.15). Le texte est publié aux éditions Espaces 34.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Deborah Meyer (Iron Dames) recevra le prix Spirit of Le Mans
NEXT l’essence et le diesel plus chers aujourd’hui