« Je crains que nous assistions aux débuts d’une guerre civile »

L’aube se lève sur Jérusalem. Non loin des murs de la vieille ville, une quinzaine d’Israéliens de tous âges partagent un café sur un parking puis montent à bord d’un minibus. Dirigez-vous vers les collines au sud d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. La petite troupe fait partie de l’association Taayoush (« vivre ensemble » en arabe), fondée au début des années 2000. L’ONG déploie ses volontaires israéliens dans les villages palestiniens afin d’opposer une « présence protectrice » aux attaques des colons.

Théophile Simon

Collaboration spéciale

Depuis l’attentat terroriste du Hamas et le début de la guerre à Gaza le 7 octobre, ceux-ci ont connu une véritable explosion. En un an, selon l’ONU, les colons de Cisjordanie ont attaqué 1 360 fois les Palestiniens de Cisjordanie.1faisant au moins 120 blessés et 10 morts2.

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Guy Batavia, ONG Taayoush

Avant la guerre à Gaza, nous avions entre dix et quinze villages menacés par les colons chaque semaine. Ce chiffre a plus que triplé. On ne sait plus où donner de la tête.

Guy Batavia, l’un des dirigeants de Taayoush

Après avoir sillonné les franges endormies du désert de Judée, le minibus s’arrête non loin du village sauvage de Mitzpe Yair, où une quinzaine de familles ultra-orthodoxes vivent dans des préfabriqués perchés au sommet d’une colline. Ci-dessous, un petit village palestinien se profile dans la brume matinale. Le lieu, presque totalement abandonné, n’est habité que par Jibrin Abu Ranem, un berger de 62 ans.

Les annexions sont à nouveau en hausse

Ce Palestinien aux yeux bleus accueille les volontaires israéliens avec du pain chaud, du zaatar (une poudre à base de thym), de l’huile d’olive et du thé. Grâce à ses invités, le berger pourra désormais faire paître ses brebis sans craindre d’être attaqué.

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Jibrin Abu Ranem fait paître ses moutons.

J’ai perdu la moitié de mon bétail à cause de la violence des colons. Depuis un an, les violences se sont accélérées : ils ont empoisonné ma Source, détruit mes enclos, abattu mes moutons et m’ont battu à plusieurs reprises. Je suis le seul berger de la région à ne pas avoir fui.

Jibrin Abou Ranem, 62 ans

Accompagné de Haïm, Zuraya et Avishay, trois volontaires de Taayoush, le berger lâche bientôt son troupeau sur le versant de la colline. « Je veux montrer aux Palestiniens que tous les Israéliens ne leur souhaitent pas du mal. Au contraire. Les colons déshonorent Israël et mettent en danger notre légitimité aux yeux du monde », explique tristement Haïm, architecte à Jérusalem, marchant après Jibrin. Une camionnette surgit soudain de Mitzpe Yair et se précipite vers le petit groupe. Les volontaires de Taayoush dégainent une caméra et sautent à la rencontre du véhicule. La machine tourne sur elle-même dans un nuage de poussière.

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Le berger palestinien Jibrin Abu Ranem et Zuraya, militants pacifistes israéliens de l’ONG Taayoush

Au loin, derrière une oliveraie, les ruines de l’ancienne bergerie de Jibrin, détruite par les colons, s’étendent sous un ciel cotonneux. Si le berger cède et fait ses valises, les colons auront gagné. Sa partie de la colline tombera à l’abandon et pourrait, un jour, être déclarée « domaine domanial ».3 » par l’État israélien en invoquant une loi ottomane de 1858 qui indiquait qu’un champ laissé vacant revenait à l’Empire. Ainsi annexées, ses terres seront finalement cédées par l’État aux colons, ouvrant la voie à la construction de routes et d’habitations permanentes. Environ un sixième de la Cisjordanie a été annexé selon cette méthode depuis qu’Israël a pris le contrôle de la Cisjordanie en 1967. Après les accords d’Oslo en 1993, les annexions ont connu un relatif répit.

L’attaque du 7 octobre les a relancés : 2400 hectares4 des terres ont été annexées par l’État juif depuis mars, ainsi qu’entre 1993 et ​​2023.

Au-dessus de la loi

L’écrasante majorité de ces nouvelles annexions ont lieu dans la vallée du Jourdain, moins peuplée que le reste de la Cisjordanie. Les Palestiniens y sont encore plus vulnérables. Les habitants d’Ein al-Hilwa, un camp de bergers non loin du Jourdain, en savent quelque chose.

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Ce qu’il reste du camp d’Ein al-Hilwa, déserté suite à une attaque de colons mi-août

Le 11 août, tôt le matin, les cinq familles du camp dormaient paisiblement dans leurs tentes lorsque le bruit du moteur a soudainement noyé le chant du coq. Une cinquantaine de colons israéliens juchés sur des motos dévalent la pente d’une colline voisine. Armés de revolvers et de bâtons, ils commencent à lapider les tentes, à effrayer les moutons et à insulter les Palestiniens. « Nous nous abritions sous les tentes, paralysés par la peur. Les enfants criaient. C’était abominable», se souvient Nabeel Abu Faras, l’un des bergers d’Ein al-Hilwa, rencontré quelques jours après le drame.

En partant, les colons crient un dernier avertissement : « Sortez d’ici avant qu’il ne soit trop tard ! » »

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Nabel Abou Faras

Les familles ont paniqué. Le soir même, tout le monde a plié sa tente, chargé les moutons dans des camions et s’est enfui vers la ville la plus proche. En un jour, nous avons franchi la barre des 12 ans d’existence.

Nabeel Abu Faras, dernier berger d’Ein al-Hilwa

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PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Après leur attaque, les colons ont planté un drapeau israélien avant de prendre la fuite.

Un drapeau israélien a été planté par les colons au sommet de la colline.

Par orgueil ou par courage, le berger jure de ne pas quitter le camp. Il vit désormais seul au milieu d’un amas de tentes déchirées, de meubles abandonnés, de bergeries vidées à la hâte. Selon lui, la plupart de ses agresseurs n’étaient que des adolescents. Mais aucun des adultes du camp n’a opposé la moindre résistance.

Toucher les cheveux d’un colon, même lorsqu’il vous attaque, est la garantie de la mort ou de la prison. Ils sont armés jusqu’aux dents, mènent leurs attaques déguisés en militaires et ont la police dans leur poche. La loi ne protège pas les Palestiniens.

Nabel Abou Faras

“C’était une véritable opération militaire”

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PHOTO SERGEY PONOMAREV, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Affiche à la mémoire de Rachid Seda, 23 ans, tué lors d’une attaque de colons contre le village de Jit.

Les Palestiniens de Cisjordanie vivent sous un régime d’occupation militaire. Les colons passent sous le contrôle du pouvoir civil israélien. Cependant, les juges semblent de plus en plus impuissants à faire respecter la loi.

Là encore, la date du 7 octobre a accéléré la tendance. Le village palestinien de Jit, situé non loin de Naplouse, vient de fournir un exemple. Quatre jours après l’attaque d’Ein al-Hilwa, une centaine de colons, tous vêtus de noir et lourdement armés, sont sortis d’une oliveraie pour incendier des voitures et des maisons. Certains tirent au niveau des toits pour effrayer la population. Un habitant a été tué par balle, un autre a été grièvement blessé.

« Nous étions 15 dans la maison, on pensait qu’on allait mourir », tremble encore le docteur Ibrahim Seddeh devant sa maison noircie par les flammes. « Ce n’était pas une attaque perpétrée par des enfants radicalisés. C’était une véritable opération militaire. Je soupçonne qu’ils venaient de plusieurs colonies. Celui d’en face est trop petit pour approvisionner à lui seul autant de fanatiques. » Son voisin, Rabah Erman, a vu sa voiture partir en fumée. « Le 7 octobre a tout changé. Il n’y a plus de limites. Je crains que nous assistions aux prémices d’une guerre civile», grogne-t-il depuis son balcon. Seuls quatre des agresseurs de Jit ont été arrêtés.

1. Consulter « Le point sur la situation humanitaire » (En anglais)

2. Lire « Le bureau des droits de l’homme de l’ONU critique Israël pour la mort de 500 Palestiniens en Cisjordanie » (en anglais)

3. Voir « Qu’est-ce qu’une déclaration de terres domaniales ? » ” (En anglais)

4. Lisez « Le gouvernement déclare 12 000 Dunams dans la vallée du Jourdain comme terres de l’État »

 
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