“Il est urgent d’aider les soignants”

“Il est urgent d’aider les soignants”
“Il est urgent d’aider les soignants”

A l’occasion de la Journée nationale des aidants, dimanche 6 octobre, le Dr Nicolas Valinducqmédecin généraliste et consultant santé sur TF1, se confie à Medscape édition française l’urgence d’aider les soignants. Soignant lui-même pendant 14 ans sa mère, décédée en 2022, il a raconté cette expérience dans un livre*. Elle multiplie les conférences pour donner de la visibilité et mieux accompagner ce « maillon essentiel du système de santé ».

Docteur, vous avez l’habitude de prendre soin des autres. Devenir soignante auprès de votre mère malade pendant 14 ans, était-ce une évidence ?

Dr Vincent Valinducq : On devient soignant sans vraiment le savoir, c’est insidieux. Les premiers symptômes de la maladie de ma mère sont apparus alors qu’elle avait à peine 50 ans. Ses petits oublis cachaient une maladie liée à la maladie d’Alzheimer. A l’époque, j’avais 26 ans, j’étais en 3e année de médecine, ayant commencé mes études tardivement. Je n’avais pas toutes les connaissances que j’ai aujourd’hui en tant que médecin. Au début, l’aide consistait simplement à mettre du détergent dans la machine à laver ou une capsule dans la cafetière. Le niveau de soutien a augmenté petit à petit, sans que je m’en rende compte.

Un soignant vit au jour le jour, il lui est difficile de se planifier et de se projeter

Quand avez-vous réalisé que vous remplissiez ce rôle d’aidant ?

Dr Vincent Valinducq : Je l’ai découvert un jour en regardant un reportage à la télévision. J’ai enfin compris ce que je vivais. Mon sacerdoce avait un nom, j’étais soignant. J’ai réalisé que j’avais fait beaucoup de choses pour ma mère. Je pensais que c’était normal de l’aider, étant son fils. En réalité, c’était au-delà de toute aide, cela nécessitait une implication totale et le niveau d’aide a augmenté de manière très sournoise en 14 ans. Certaines personnes deviennent soignantes du jour au lendemain après un accident ou un accident vasculaire cérébral soudain chez un proche. Nous avons vécu une situation avec mon père et mon frère qui s’est étalée dans le temps.

Au début de la maladie de votre mère, vous avez fait serment à votre père et à votre frère de tout faire pour la garder à la maison. Avez-vous réalisé que cet engagement allait changer votre vie ?

Dr Vincent Valinducq : Quand on fait cette promesse, au début c’est jouable. Nous ne savons pas combien de temps cela va durer et comment la maladie va évoluer. Un soignant vit au jour le jour, il lui est difficile de se planifier et de se projeter. Au bout de quelques années, notre tâche est devenue très compliquée. Nous avons réussi à tenir notre promesse, au prix de nombreux sacrifices. Je ne voyageais plus, je ne sortais plus, je ne voyais presque plus mes amis, c’était compliqué pour moi de continuer à travailler (NDLR : le Dr Valinducq effectuait à l’époque des travaux de remplacement à Paris). Mon père a complètement mis sa santé de côté. Nous avons réussi à tenir notre promesse et je ne le regrette pas. Mais parfois, lorsqu’il n’y a pas d’autre solution, il ne faut pas hésiter à recourir à l’institutionnalisation. La culpabilité est énorme mais elle permet à l’aidant de voir la personne institutionnalisée dans de bonnes conditions. Cela préserve un échange de qualité, quelque chose de plus compliqué quand on est ensemble 24h/24 à la maison.

Dans votre livre, vous racontez votre parcours du combattant pour savoir vers qui vous tourner pour obtenir du soutien. Est-ce une des raisons pour lesquelles vous vous mobilisez pour les soignants ?

Dr Vincent Valinducq : Absolument. Quand j’ai écrit mon livre, je ne voulais pas seulement raconter notre histoire, je voulais mettre en lumière les soignants. Même si j’étais médecin, il y avait beaucoup de choses que je ne savais pas. Comment aider un soignant ? En tant que médecin, j’ai également été confrontée à plusieurs difficultés, quel organisme contacter, quelle aide mettre en place… Je vois des soignants complètement perdus face aux différentes aides existantes. Parfois, ils n’ont pas le temps de prendre les mesures nécessaires. Certains services ne sont ouverts que quelques heures par semaine, y accéder est parfois un enfer. Il existe beaucoup d’acronymes entre PCH, APA, MDPH, CLIC, CCAS… Dans cet ouvrage, j’ai voulu mettre en avant les difficultés des soignants et la nécessité d’une simplification administrative pour permettre à chacun de mieux s’en sortir. trouvez de l’aide dans cette jungle tentaculaire.

Avec votre frère, avez-vous eu beaucoup de mal à faire accepter à votre père que vous aviez besoin d’aide, pour votre mère et pour vous aussi ?

Dr Vincent Valinducq : Les soignants considèrent le plus souvent qu’il est normal de faire tout ce qu’ils font. Ils se disent qu’en tant que mari ou femme, fils ou proche, c’est l’ordre naturel des choses. Aider, c’est avant tout aimer. Les soignants ont souvent du mal à accepter de l’aide pour plusieurs raisons. Ils peuvent être dans le déni et avoir du mal à accepter leur statut d’aidant. Ils ne veulent peut-être pas être aidés parce qu’ils considèrent que s’ils acceptent de l’aide, c’est comme s’ils aimaient un peu moins leur proche. La culpabilité ronge beaucoup les soignants. Pendant des années, j’ai dit à mon père que nous avions besoin d’aide, mais pendant longtemps, j’ai commis l’erreur de mettre l’accent sur les avantages d’obtenir de l’aide. Alors que les bénéfices pour la personne aidée auraient dû être soulignés. Mon père a fini par comprendre que ma mère devait préférer qu’une soignante fasse sa toilette.

Je plaide pour que les soignants soient mieux reconnus et mieux valorisés

C’est ainsi que Sandrine « Mary Poppins », aide-soignante, vient à votre secours. Cela vous aide à tenir le coup. Êtes-vous préoccupé par le manque de reconnaissance de ses professionnels, le plus souvent des femmes ?

Dr Vincent Valinducq : Je plaide pour que les aides-soignants soient mieux reconnus et mieux valorisés car c’est un métier difficile à recruter. Ils ont des conditions de travail difficiles, commençant tôt le matin et finissant tard le soir. Ils courent entre les patients pendant la journée et accomplissent un travail difficile. Il est crucial de mieux les rémunérer pour rendre ce travail plus attractif et éviter le turnover. Il a fallu voir passer 5 ou 6 soignants avant de croiser « Mary Poppins ». Il faut tenir bon pour trouver la personne qui vous convient. Aujourd’hui, les soignants s’occupent du malade 24h/24. Nous devons les aider là où ils vont se retrouver à l’hôpital ou en médecine générale. C’est grâce aux aides-soignants que l’on peut optimiser les soins à domicile.

Vous citez une statistique selon laquelle « en moyenne, un soignant sur trois décède avant son proche ». ».

Dr Vincent Valinducq : Oui, quand on est soignant, on met sa santé en danger, on ne fait plus ses dépistages, on passe 24h/24 avec la personne. Mon père nourrissait ma mère pendant une heure et demie chaque soir. Il a dû se lever, couper en petits morceaux, nourrir à la cuillère, réchauffer le plat… Résultat : au bout d’une heure et demie, il n’avait plus faim. À long terme, cela peut déclencher une malnutrition. Mon père avait des problèmes de sommeil, étant toujours hypervigilant la nuit et s’assurant que ma mère allait bien. Et si elle avait un « petit accident nocturne », il se levait pour changer les draps. Il souffrait également de problèmes musculo-squelettiques en portant ma mère pour la repositionner sur sa chaise. Au-delà des dommages physiques, il y a les dommages psychologiques de voir votre proche diminué. Tout cela affecte l’aidant avec le risque de le voir partir avant le soigné. Ma mère est décédée en avril 2022 à 64 ans, mon père est décédé six semaines plus tard à 67 ans…

Depuis le décès de vos parents, avez-vous écrit un livre et avez-vous participé à de nombreuses conférences sur la prestation de soins ? Pourquoi êtes-vous si actif sur ce sujet ?

Dr Vincent Valinducq : Suite à la disparition de mes parents, je me suis demandé quoi faire de ce que j’avais vécu. J’ai appris beaucoup de choses en 14 ans, c’est pourquoi j’ai écrit ce livre qui sortira en septembre 2023. Je ne m’attendais d’ailleurs pas à ce qu’il se vende aussi bien – (plusieurs milliers d’exemplaires). Je ne prétends pas représenter la voix des 11 millions de soignants en France car nous avons tous des histoires différentes. D’un autre côté, nous avons aussi des points communs : nous sommes tous confrontés à un parcours du combattant pour obtenir de l’aide, et un grand nombre ont du mal à remplir le rôle d’aidant en même temps que leur travail. C’est compliqué pour un salarié attentionné de s’absenter du travail pour s’occuper d’un proche. Aujourd’hui, j’ai un peu de visibilité médiatique et je souhaite contribuer à faire connaître le rôle d’aidant. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais d’ici 2030, un travailleur sur quatre sera soignant.

L’une des premières priorités aujourd’hui est d’identifier les soignants afin de pouvoir les aider.

Notre société est-elle suffisamment consciente du fardeau qu’elle fait peser sur les soignants ?

Dr Vincent Valinducq : Je ne pense pas. Elle peut faire mieux. Il est urgent d’aider les soignants. C’est pourquoi je m’implique et donne de nombreuses conférences. J’apporte mon témoignage, je sensibilise le plus grand nombre. Plusieurs associations tentent de soulever des problèmes et de mieux accompagner et accompagner les soignants. Mais c’est compliqué, j’ai l’impression qu’on parle de ce problème chaque année le 6 octobre mais que ça ne bouge pas assez.

Vous faites quelques propositions pour adapter la loi : maintenir le salaire pendant les périodes d’arrêt des aidants, leur accorder des trimestres supplémentaires pour la retraite, etc.

Dr Vincent Valinducq : Il y a beaucoup de choses à faire. On commence à se rendre compte que les soignants peuvent être un plus dans une entreprise. Des études ont montré que les soignants développent effectivement des compétences, des « soft skills ». Ils ont des capacités relationnelles, d’adaptation et d’organisation, étant habitués à gérer un emploi du temps fou et à gérer leur famille, leurs proches et leur travail dans la même journée. Mais il faut agir pour ne pas se réveiller trop tard. Car la situation du système de santé est fragile. On ne peut pas tout mettre sur les épaules des soignants. L’une des premières priorités aujourd’hui est d’identifier les soignants pour pouvoir les aider.

« Je suis devenu le parent de mes parents », extrait :

« Prendre soin d’une personne qui perd progressivement son autonomie est épuisant. La charge de travail et l’attention constante portée à la personne aidée demandent beaucoup d’énergie et augmentent avec le temps. […] Lorsque la maladie de ma mère a commencé, vers l’âge de 50 ans, l’aide que nous lui avons apportée était relativement légère. Il s’agissait par exemple d’un petit morceau de papier laissé sur la table du salon pour qu’elle puisse s’orienter dans les télécommandes. […] Après quatre ans de progression de la maladie, alors que suivre une recette devenait difficile pour ma mère, mon père commença à l’aider, avant de reprendre le contrôle, se découvrant des talents cachés de cuisinier. […] Devenu cuisinier, il développe des compétences d’aide-soignant. Le matin, il a commencé à l’aider à s’habiller. Au début, il n’a mis que ses chaussettes, puis sa jupe, son pull… et, au bout de quelques années, a fini par l’habiller complètement. […] La perte d’autonomie était un marqueur flagrant de l’évolution de la maladie, elle-même proportionnelle à la charge de travail de mon père, qui ne faisait qu’augmenter. Même s’il était très fatigué, il prenait toujours soin de ma mère avec beaucoup de patience et d’attention. Pour soulager mon père, mon frère s’est concentré sur l’entretien de la maison, en plus de son travail et de sa vie personnelle. Il l’a nettoyé du sol au plafond. […] Durant la semaine, depuis Paris, je gérais l’aspect médical, qu’il s’agisse d’un simple rendez-vous chez le médecin, d’un renouvellement de médicaments, d’une observation clinique des symptômes, d’une prise en charge d’une fièvre ou encore d’une urgence lors d’une chute, sans oublier les démarches administratives importantes. aspect concerné. J’avais l’impression d’être de garde vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je n’ai jamais quitté mon téléphone, de jour comme de nuit. […] Cette toute nouvelle organisation s’est imposée à nous insidieusement, sans que nous en soyons réellement conscients. »

« Je suis devenu parent de mes parents », paru en septembre 2023 aux éditions Stock, 224 pages, 19,50 euros.

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