Pourquoi l’expansion de notre Univers s’accélère-t-elle ? Vingt-cinq ans après sa découverte, ce phénomène reste aujourd’hui l’un des plus grands mystères scientifiques. Pour y parvenir, il faut tester les lois fondamentales de la physique, y compris la relativité générale d’Albert Einstein.
Selon la théorie d’Einstein, notre Univers se déforme sous l’influence de la matière qui s’y trouve, un peu à la manière d’une grande feuille flexible. Ces déformations, provoquées par la gravité des corps célestes, sont appelées « puits gravitationnels ». Lorsque la lumière traverse cette trame faite d’irrégularités, sa trajectoire est déviée par ces puits, comme sous l’effet d’une lentille de verre.
Mais ici, c’est la gravité et non le verre qui courbe la lumière. C’est ce que nous appelons l’effet « lentille gravitationnelle » (explications vidéo). L’observation de cet effet fournit des informations sur les composants, l’histoire et l’expansion de l’Univers. Sa première mesure, en 1919, lors d’une éclipse solaire, confirma la théorie d’Einstein, qui prévoyait une déviation de la lumière deux fois plus grande que celle d’Isaac Newton.
Le temps déforme
Cette différence s’explique par l’ajout d’un nouvel « ingrédient » par Einstein : la distorsion du temps, en plus de la distorsion de l’espace, pour obtenir la courbure exacte de la lumière.
Mais aux confins de l’Univers, ces équations fonctionnent-elles ? C’est la question que se posent de nombreux scientifiques qui cherchent à quantifier la densité de matière dans le cosmos et à comprendre l’accélération de son expansion. Grâce à une utilisation inédite des données du Dark Energy Survey (programme international d’enregistrement de la forme de centaines de millions de galaxies), une équipe des universités de Genève (UNIGE) et Toulouse III – Paul Sabatier apporte de nouvelles réponses dans « NatureCommunications .»
« Jusqu’à présent, les données du Dark Energy Survey étaient utilisées pour mesurer la répartition de la matière dans l’Univers. Dans notre étude, nous les avons utilisés pour mesurer directement la distorsion du temps et de l’espace, et ainsi comparer nos résultats avec les prédictions d’Einstein », explique Camille Bonvin, professeure agrégée au Département de physique théorique de la Faculté des sciences. de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.
Les données du Dark Energy Survey permettent de regarder très loin dans l’espace, et donc très loin dans le passé. L’équipe franco-suisse a ainsi pu réaliser des analyses sur 100 millions de galaxies, à quatre époques différentes de l’histoire de l’Univers : il y a 3,5, 5, 6 et 7 milliards d’années. Ces mesures ont permis de connaître la croissance des puits gravitationnels au fil du temps, sur une période qui couvre plus de la moitié de l’histoire du cosmos.
Puits gravitaires moins profonds que prévu
« Nous avons découvert que, très loin dans le passé, il y a 6 et 7 milliards d’années, la profondeur des puits est tout à fait conforme aux prédictions d’Einstein. En revanche, dans une période plus proche d’aujourd’hui, il y a 3,5 et 5 milliards d’années, ils sont un peu moins profonds que ce que prédisait Einstein”, révèle Isaac Tutusaus, astronome assistant à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse, premier auteur. de l’étude. C’est également dans cette même période « proche » d’aujourd’hui que l’expansion de l’Univers a commencé à s’accélérer.
Il est donc possible que la réponse à ces deux phénomènes étranges (l’accélération de l’Univers et la croissance plus lente des puits gravitationnels) soit la même : la gravitation pourrait répondre, à grande échelle, à des lois physiques différentes de celles d’Einstein. Suffisant pour invalider Einstein ?
« Nos résultats montrent que les prédictions d’Einstein présentent une incohérence de 3 sigma avec les mesures. Dans le langage de la physique, un tel seuil d’incompatibilité suscite notre intérêt et appelle des investigations plus approfondies.
La théorie n’est pas encore réfutée
Mais cette incompatibilité n’est pas suffisamment grande, à ce stade, pour réfuter la théorie d’Einstein. Pour cela, il faudrait atteindre un seuil de 5 sigma (Si l’on obtient un résultat avec une significativité statistique de cinq sigmas, cela veut dire qu’il est quasiment certain que la différence observée est due à un phénomène nouveau et non à une fluctuation statistique, NDLR).. Il est donc essentiel de disposer de mesures plus nombreuses et plus précises pour confirmer ou infirmer ces premiers résultats, et savoir si cette théorie reste valable dans notre univers, à très grande distance », souligne Nastassia Grimm, chercheuse postdoctorale au Département de physique théorique de UNIGE, co-auteur de l’étude.
L’équipe se prépare à analyser de nouvelles données du télescope spatial Euclid, lancé il y a un an. En observant l’Univers depuis l’espace, ses mesures de lentilles gravitationnelles sont bien plus précises. De plus, Euclide observera un nombre phénoménal de galaxies : environ un milliard et demi après six années d’observation. Cela permettra de mieux mesurer les distorsions spatio-temporelles, de remonter encore plus loin dans le temps et de tester davantage les équations d’Einstein.