« L’addiction aux smartphones ou aux écrans n’existe pas. Les addictions sont liées à ce qui se passe derrière les écrans »


Laurent Karila est psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif et enseigne à l’université Paris-Saclay.

Astrid di Crollalanza

LLes addictions sont-elles un problème de santé publique ? Indéniablement pour Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (94) et enseignant à l’université Paris-Sarclay. « Cela a un coût social, médical, psychiatrique… », estime-t-il. Porte-parole de l’association SOS Addictions, intervenant régulier de l’émission « Ca Commence Aujourd’hui », sur France 2, et animateur du podcast à succès Addiktion, il multiplie les chaînes dans le but de sensibiliser le grand public à ce sujet.

Il réitère cette fois par écrit avec « Docteur : addict ou pas ? » (1), son dernier livre qui ne parle pas tant des addictions que de tous ces petits comportements du quotidien qui posent parfois question : mon adolescent passe son temps sur les réseaux sociaux ; Je ne peux pas terminer un repas sans un petit goût sucré ou même, je bois un (petit) verre d’alcool dès que je suis débauché. Avec des clés pour comprendre le point de bascule entre plaisir et danger. Entretien.

Qu’entend-on par dépendance ?

Pour comprendre facilement, on parle des 5C. (Perte de) contrôle, consommation ou envie de fumer, compulsion, (utilisation) continue, conséquences… Pour parler d’addiction, il faut y avoir depuis douze mois : perte de contrôle d’un comportement ; le craving, terme anglais qui correspond à l’envie irrépressible de consommer ; activité compulsive; usage continu et chronique, malgré les conséquences sur la vie mentale, psychologique, physique, sociale, etc., le dernier des C. Vous pouvez avoir en un, comme une envie irrépressible de consommer, mais si vous ne l’avez pas avec les autres, vous n’êtes pas accro.

Selon vous, réduire la dépendance à un manque de volonté est un non-sens. Pour quoi ?

Il ne faut pas penser à cela : la dépendance n’est pas un manque de volonté. Si ce n’était que cela, nous gérerions la volonté. Toutefois, la dépendance est une maladie beaucoup plus complexe. Cela affecte la récompense, la gratification, la mémoire, l’apprentissage, la motivation… C’est une perturbation à la fois du plaisir et de ces éléments… C’est sur tout cela que nous essayons d’agir avec les traitements.

Vous dites que l’addiction isolée n’existe pas et qu’il y a toujours plusieurs causes. Ce est-à-dire ?

Il faut imaginer un arbre. Quand vous regardez un arbre, vous voyez un tronc et des branches. Ces branches représentent les drogues, les comportements : une branche est le tabac, une autre les écrans, une autre le sucre, une autre l’alcool ou encore le sexe… Cet arbre a aussi des racines dans lesquelles il y a plein de choses : notre histoire personnelle, des traumatismes pourquoi pas, des psychologiques. troubles, troubles physiques, notre histoire génétique. Si vous traitez uniquement la substance ou le comportement, c’est-à-dire que vous coupez la branche de l’arbre, elle repoussera si vous ne traitez pas les racines. C’est ce que je veux dire. L’addiction est toujours concomitante d’un trouble psychologique, cognitif, social ou autre…

Y a-t-il eu une évolution dans la manière dont nous envisageons le phénomène de dépendance ?

Des progrès globaux ont été réalisés, mais ils restent insuffisants. Quant à la question de l’alcool en France, elle reste encore très, très compliquée avec la puissance des lobbies. Le mois sans alcool du mois de janvier n’est par exemple pas validé par le gouvernement. Des progrès ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut surtout davantage d’argent pour les soins, la recherche et l’enseignement.

Il n’y a pas de dépendance aux smartphones ou aux écrans. Il s’agit plutôt d’une utilisation problématique »

Après tout, aujourd’hui, ne sommes-nous pas tous accros à quelque chose ?

Non, c’est vraiment le but de mon livre. Je ne parle pas tant d’addictions que de nos comportements : comment s’amuser, comment nos comportements peuvent changer. Si vous êtes accro, vous êtes malade et heureusement, tout le monde n’est pas malade. Par exemple, la dépendance aux smartphones ou aux écrans n’existe pas. Il s’agit plutôt d’une utilisation problématique. Les addictions sont liées à ce qui se passe derrière les écrans. On peut être accro aux paris en ligne, à la sexualité en ligne, au shopping, aux jeux vidéo… On confond parfois les choses.

La société actuelle produit-elle plus de dépendances que par le passé ?

Oui et non. La société participe, notre environnement participe mais pas seulement, car, pour l’addiction, il existe cinq facteurs de risque. Il y a notre développement personnel, lié à notre histoire et à notre genre. Facteurs psychologiques : est-ce que j’aime les choses nouvelles, est-ce que je n’ai pas peur du danger, suis-je hyperactif… La génétique qui explique 40 à 70 % des choses. Il y a aussi le cerveau qui termine sa « puberté » vers 20/25 ans, tout ce qui se passe avant est à risque. Le dernier grand facteur, et cela nous ramène à votre question, est l’environnement. Cela correspond aux produits disponibles, à l’éducation que nous avons eu, à la tolérance des parents face à la consommation par exemple… C’est là que rentre l’idée que notre société est potentiellement addictive, mais pour être addict, il faut que ces cinq facteurs soient déséquilibrés. Il n’y a personne pour tout expliquer.

L’Allemagne vient de légaliser le cannabis, quelle est votre position sur le sujet ?

Je suis à 100% favorable à une légalisation contrôlée du cannabis. Ce que l’Allemagne a fait constitue un pas en avant notable en Europe. Cette légalisation encadrée peut permettre beaucoup de choses : générer de l’argent pour la prévention auprès des jeunes, la recherche, les soins. Le point fort de cette légalisation est qu’elle ne concerne absolument pas les jeunes, les malades psychiatriques, la conduite automobile, etc.

Que pensez-vous du CBD pour arrêter le cannabis ou de la vape pour arrêter le tabac ?

Le CBD, qui possède des propriétés anxiolytiques et apaisantes, n’est pas un traitement de remplacement du cannabis. Certains patients l’utilisent pour changer de consommation, ils disent que cela les aide un peu, sachant qu’on ne développe pas d’addiction au CBD. Il s’agit d’une mesure de réduction des risques. Tout comme vapoter du tabac. Mais en général, il faut faire attention à tous les produits que vous fumez.

Comment attirer davantage de jeunes médecins vers la psychiatrie ?

C’est l’un de nos grands combats avec le Collège universitaire national de psychiatrie. Nous essayons de sensibiliser le plus possible les étudiants en médecine. La psychiatrie sauve des vies, c’est important de le dire et de le retenir.

(1) « Médecin : toxicomane ou pas ? », éd. HarperCollins, 600 p., 19,90 €.

 
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