HUMEUR – Les clubs français ont remporté les quatre dernières éditions d’une compétition qui n’a cessé de changer de format depuis la crise du Covid-19. La logique sportive et économique pose question.
Depuis sa création en 1995-1996, juste après le passage au professionnalisme, la Coupe d’Europe de Rugby – devenue Coupe des Champions avec l’intégration des franchises sud-africaines en 2022 – a toujours fait débat. Une compétition dont l’intérêt sportif et économique est régulièrement remis en cause. Censée être un niveau entre les championnats nationaux et le rugby international, la Champions Cup est en fait la cible de critiques régulières. Et parfois justifié.
Cette saison, l’impression d’assister à une compétition à deux, voire trois vitesses, est significative. Les scores se succèdent, les lourdes défaites se succèdent. A l’image des Anglais d’Exeter, sacrés en 2020 face au Racing 92, qui ont subi ces dernières semaines la loi (à domicile !) des deux meilleurs clubs français actuels : Toulouse (21-64) puis Bordeaux-Bègles (17-69). Des routes qui défient. Touchées par une grave crise financière suite à la crise sanitaire du Covid-19 (endettement massif et généralisé, faillites de clubs, élite réduite à 10 clubs), les équipes de Premiership traversent une (très) mauvaise passe et sont loin de rivaliser sur la scène continentale, après avoir réussi à glaner 10 titres (contre 12 contre la France et 7 pour l’Irlande). L’année dernière, six clubs anglais s’affrontaient en phases finales, cette année c’est la déroute…
Boudjellal : « La Champions Cup, c’est le Top 14 avec le Leinster invité »
En face, Toulouse et La Rochelle ont remporté les quatre dernières éditions de la Champions Cup. Une maîtrise quasi totale qui a fait dire à Mourad Boudjellal, ancien président de Toulon, seul club à avoir réalisé un triplé entre 2013 et 2015 : “La Champions Cup, c’est le Top 14 avec le Leinster invité.” Cinglant, mais finalement juste. Aujourd’hui, hormis la province irlandaise, quatre fois titrée – qui a disputé cinq finales en sept éditions depuis 2018 et s’est imposée au Stade Rochelais lors de la dernière journée –, peu de gens sont capables d’arrêter les équipes françaises.
L’arrivée des provinces sud-africaines – si l’on met de côté l’aberration évidente en termes d’écologie et de logistique pour les transferts à l’autre bout du globe – était censée apporter un nouveau souffle sportif. De nouvelles confrontations, face à des adversaires bien plus robustes que les Gallois et les Italiens, qui peinent traditionnellement à exister dans cette compétition. Le président de La Rochelle, Vincent Merlining, s’est montré catégorique : “Laissez-moi être clair, je ne suis pas du tout, du tout, favorable à l’arrivée de l’Afrique du Sud dans le championnat d’Europe.” Une position largement partagée. Pourtant, depuis 2022-2023, les équipes sudistes ont réussi à se hisser jusqu’au tableau final, mais elles n’ont jamais dépassé le stade des quarts de finale (Sharks et Stormers en 2022, Bulls en 2023).
Si les Sud-Africains veulent continuer à exister dans cette compétition, il faudra vraiment réfléchir au rythme du calendrier
Ugo Mola, entraîneur de Toulouse
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Dans ces conditions difficiles, gagner en Afrique du Sud a longtemps semblé impossible, mais ce n’est plus le cas : La Rochelle en huitièmes l’an dernier contre les Stormers, puis Toulon (contre cette même équipe) et Toulouse face aux Sharks, en poules. lors de cette édition, revenu victorieux du pays des Springboks. Après le succès de son équipe face aux Durban Sharks, l’entraîneur toulousain Ugo Mola a déclaré : « Je pense que si les Sud-Africains veulent continuer à exister dans cette compétition, nous devons vraiment réfléchir au rythme du calendrier. Ce n’est pas forcément approprié… Ou cela fausse la concurrence. Cette saison, le rugby sud-africain – contraint de disputer chaque été des saisons prolongées avec le Rugby Championship dans l’hémisphère sud – marque clairement le pas, avec les lourds revers des Stormers contre les Harlequins (53-16) et des Sharks à Leicester (56- 17). La Champions Cup ne semble déjà plus être un objectif…
Pour ne rien arranger, cette compétition a perdu en cohérence et en visibilité en changeant de formule quasiment à chaque saison depuis la crise du Covid-19. Avec même la mise en place d’un système de huitièmes de finale aller-retour en 2021-2022, avant de revenir à une confrontation en un seul match. Difficile de s’y retrouver avec un format éphémère de deux poules de 12 équipes puis un retour à quatre poules de quatre.
L’aspect financier de la Champions Cup n’est cependant pas négligeable pour les clubs français concernés. En 2022, les équipes participant à la « grande » Coupe d’Europe ont reçu 900 000 euros, avec une prime de 300 000 euros en cas de victoire en finale, ce qui était le cas de La Rochelle. Des finances qui, désormais, peuvent être plombées par l’organisation de voyages en Afrique du Sud. Nous y revenons. Mais on est loin du football et du Real Madrid qui a reçu, la même année, une prime de 20 millions d’euros pour son 14e sacre en Ligue des champions, plus les primes de participation et celles accumulées à chaque match.
La compétition a perdu de sa magie ces dernières années. C’est très triste parce que c’était quelque chose de spécial
Nigel Owen, ancien arbitre international
Que reste-t-il de la notoriété de la Champions Cup ? Toulouse a certainement bâti une partie de sa gloire grâce à ses six couronnes continentales. La Rochelle s’est fait un nom en triomphant deux fois. Clermont (2013, 2015, 2017) et le Racing 92 (2016, 2018, 2020) sont passés tout près d’inscrire le leur au palmarès. Mais la magie de cette compétition, qui s’appelait initialement la « H Cup » (ou « Heineken Cup » dans les pays anglo-saxons) s’est perdue au fil des années. Ce que le célèbre ancien arbitre international Nigel Owens a admis sur X : « La Heineken Cup était la compétition à laquelle tout le monde voulait jouer et arbitrer, ainsi que celle à laquelle tout le monde voulait assister. Malheureusement, il a perdu de sa magie ces dernières années. C’est très triste parce que c’était quelque chose de spécial. Vraiment spécial.
Et le Gallois d’ajouter : « Il ne s’agit pas de dire ‘c’était mieux avant’ car j’avais l’impression que la compétition perdait de son intensité bien avant ma retraite. Oui, il y a encore de très bons matches et les phases finales sont intéressantes, mais ce n’est plus tout à fait comme avant… » On se souvient évidemment des trois dernières finales épiques, mais il faudra évidemment se creuser un peu la tête pour retrouver d’autres bons souvenirs.