Les artistes sont aussi la somme des œuvres qui les ont façonnés. L’actrice et auteure Sonia Cordeau, à l’affiche de la pièce Cheval Blancà Duceppe, jusqu’au 15 décembre, et créateur de la série Inspirez, expirez (sur Crave et Noovo), parle de ceux qui l’ont marquée à notre chroniqueur Marc Cassivi, dans le cadre de notre rubrique Sous influences.
Marc Cassivi : Y a-t-il une œuvre qui vous a particulièrement marqué étant enfant ?
Sonia Cordeau : Je n’écoutais pas beaucoup de trucs destinés aux enfants quand j’étais jeune ! Je me souviens avoir vu le cinéma télé Albertine en cinq étapes [à -, en 2000, dans une réalisation d’André Melançon]. Guylaine Tremblay jouait Madeleine, il y avait Élise Guilbault, Macha Limonchik. Je l’ai enregistré et retranscrit le texte dans un cahier. Ma mère a fini par m’acheter le livre !
Je voulais apprendre les lignes par cœur. J’ai adoré voir cette rage des femmes. Cela me parlait, même si j’étais jeune. Il y avait des lignes tellement bien écrites, drôles, mais aussi dramatiques. Michel Tremblay m’a vraiment marqué.
Il est apparu dans Annexeswhen you were doing “Les rois de la Main” with Anne-Élisabeth (Bossé).
C’est 100% un hommage à Tremblay. Ça vient de là. Je le lis depuis si longtemps et je l’adore, j’aime cette poésie et cette musique.
Voir Albertine en cinq étapes à la télé vous a donné envie d’aller au théâtre ?
Je n’en voyais pas beaucoup quand j’étais jeune. Je n’y avais pas vraiment accès à Saint-Jean-sur-Richelieu. J’étais dans une école publique et on ne faisait pas ce genre de sorties. Je suis allé au théâtre pour la première fois à 17 ans. Je regardais beaucoup la télévision. Sous un ciel changeant J’y suis retourné récemment et j’ai tout revu. Romans et séries télé comme Scoop a eu un grand impact sur moi quand j’étais petite. Mes parents ont vu que j’aimais beaucoup ça, j’ai donc eu le privilège de les regarder.
Même s’il y avait des scènes de sexe dans Scoop !
(Rires) Cela a suscité beaucoup de discussions ! Mon père était très impliqué dans la fiction. J’ai compris que cela pouvait créer ce genre d’engagement.
J’ai commencé par danser. Être sur scène, faire un show, se préparer, l’odeur de la loge, tout ça m’a très vite charmé. Au lycée, je faisais de l’improvisation et j’ai réalisé que j’aimais faire rire les gens.
Avez-vous beaucoup lu ?
Oui. Avec ma mère, un soir par semaine, nous allions à la bibliothèque. C’était très important. J’ai tout lu The Short Scale, j’ai lu Aurore, l’enfant martyre très jeune. Une autre chose très importante pour moi est Les filles de Calebque j’ai lu et regardé plus d’une fois.
je regardais Les filles de Caleb religieusement lorsque j’étais au cégep. J’avais l’impression de voir du cinéma à la télévision québécoise pour la première fois.
Tout ce qui évoque cette époque, j’ai beaucoup aimé ça. J’ai adoré aller dans le village d’antan de Drummondville.
Vos goûts étaient-ils très québécois ?
Très québécois! Pour ma mère, c’était important. Encore aujourd’hui, les nouveaux romans québécois sont ceux que je lis le plus.
Quand on parle de pérennité de notre culture et qu’on s’inquiète de Netflix, il est rassurant de voir que le réflexe collectif est encore de lire des romans québécois. Personne ne craint qu’il y ait trop de romans américains ou français en librairie.
On entend parler du livre québécois et pas seulement au Salon du livre. Il y a plus d’inquiétude à la télévision et au cinéma.
C’est une question de moyens, j’imagine. Écrire un livre coûte beaucoup moins cher que réaliser un film.
Vous écrivez ce que vous voulez dans un livre. Quand vous écrivez pour le cinéma, vous êtes limité dans vos budgets, dans votre imagination, dans votre nombre de personnages. C’est ridicule, mais on coupe tout ! C’est dur pour la création.
Nous n’avons même plus aujourd’hui les budgets que nous avions à l’époque de Filles de Caleb.
C’est ridicule ! Ce serait amusant d’avoir les moyens de nos ambitions. Qu’on puisse s’exporter et se projeter hors de notre petite bulle. Nous réfléchissons encore à des émissions destinées au public de la télévision traditionnelle. Sauf que les gens qui regardent la télé traditionnelle ont aussi Netflix !
Mes parents écoutent Cinquième rangmais aussi Ripleyqui est en noir et blanc et a un rythme différent. Tout est possible à la télévision, mais il semble que nous ne soyons pas sûrs que le public nous suivra dans ce que nous faisons de plus en plus spécialisé.
La télévision traditionnelle devra s’adapter. On n’en consomme plus comme avant. Je n’ai plus de rendez-vous à la télévision. Je rattrape ce que je veux rattraper.
Moi aussi. C’était sympa, les rencontres, cela dit. Quand nous nous sommes tous retrouvés lundi à 19h30 pour regarder La petite vieune autre grande influence de mon enfance. J’attendais avec impatience lundi soir. Nous n’avons plus cela.
Vos goûts musicaux étaient-ils également québécois lorsque vous étiez jeune ?
Oui, j’ai adoré Céline, Johanne Blouin, Lara Fabian. J’adorais les chanteurs vocaux. Mais j’ai deux frères aînés qui m’ont présenté Björk, Smashing Pumpkins et Travis quand j’étais au lycée. Après, j’ai eu une passe très folk avec Neil Young, qui est restée. J’écoute sans casque. Mais je me rends compte que je découvre beaucoup moins de choses. Je suis vraiment moins intéressé par les nouveautés.
Tu sais qu’il y a des études qui montrent qu’il y a un âge où on arrête d’écouter de la nouvelle musique [vers 33 ans] ?
C’est mon copain qui me l’a dit ! Je remarque que j’ai moins de curiosité et je m’en veux. J’écoute plus des podcasts que de la musique, sauf lorsque j’écris et que j’écoute de la musique instrumentale. Alexandra Stréliski ou la musique de film d’Ennio Morricone. J’ai découvert Flore Laurentienne, que j’aime beaucoup.
J’aime aussi la vieille musique country : Skeeter Davis, Patsy Cline, Dolly Parton. J’ai commencé à composer de la musique avec Raphaëlle Lalande, pour notre duo Joli-Bois, et on était dans ces eaux-là, du country-folk.
Quand j’étais jeune, Dolly Parton représentait pour moi le faste et le ringard. Mais j’ai découvert au fil du - que c’était une femme vraiment intéressante. Ce n’est pas une icône pour rien.
Elle a défoncé les portes ! Elle a assumé qui elle est, ce qu’elle est et comment elle se présente. Je l’aime beaucoup.
Et au cinéma, qu’est-ce qui vous a influencé ?
Depuis que j’ai deux frères aînés, j’ai regardé beaucoup de films d’action quand j’étais jeune. Nous avons regardé des films avec Stallone, comme La falaise de la mort. Mourir dur est arrivé très tôt dans ma vie ! J’ai adoré.
Votre film de Noël est Mourir dur ?
Vraiment ! Mon copain et moi écoutons Mourir dur chaque Noël. Je sais que c’est extrêmement violent, mais c’est aussi extrêmement bien écrit. C’est une leçon d’écriture de scénario. Un film qui m’a vraiment marqué quand j’étais petite était Les quatre filles du docteur March. J’ai aussi beaucoup aimé ce que Greta Gerwig en a fait. Et puis assez vite, il y a eu les frères Coen, adolescents, encore grâce à mes frères. Le Grand LebowskiJe n’avais jamais rien vu qui m’ait fait autant rire.
L’humour noir des frères Coen était très important chez mon cinéphile.
Ce sont toujours mes cinéastes préférés. Brûler après la lectureJe trouve que c’est l’un de leurs films sous-estimés. Dans le cinéma québécois, quand Stéphane Lafleur est arrivé avec Continental, un film sans armeça m’a fait beaucoup de bien. Comme The Invincibles de François Létourneau à la télé. J’étais au Conservatoire et avec ma bande, on avait l’impression d’un appel d’air. L’espoir de pouvoir peut-être créer quelque chose qui nous ressemble. Ce genre de plaisir qu’on voyait moins avant.
Cela ne m’étonne pas que l’humour décalé de Lafleur et Létourneau résonne en vous. Il y a là une communauté d’esprit, me semble-t-il.
En même -, j’aime beaucoup parfois juste un bon film de Noël ! (Rires) Je revois souvent des séries télé. C’est comme une couverture réconfortante. Le bureaupar exemple, ou Fillesce qui était important pour moi. Cela m’a donné le goût de parler de la condition des femmes, des enjeux féministes, ce que je fais en Inspirez, expirez. Parfois, il s’agit de détails dont on ne parle pas ailleurs, mais dans lesquels on se reconnaît.
La deuxième saison de la série Inspirez, expirez sera diffusé l’été prochain sur Crave.