On s’attendait à le voir arriver couronné de son bob de rappeur old school. En fin d’après-midi, Philippe Katerine a opté pour une casquette bleue. “Je porte le bob pour rester dans ma bulle. Le bouchon est encore plus ouvert »,analyse, sourire narquois, l’auteur-compositeur-interprète, également acteur, dessinateur, plasticien, chroniqueur radio sur France Inter depuis la rentrée… Sans oublier l’interprète iconoclaste, comme il l’a démontré avec panache lors de la cérémonie d’ouverture des JO en bleu et Dionysos bedonnant pour interpréter de la manière la plus simple son hymne au naturisme ( Pas).
Une performance suivie d’un buzz national et mondial vertigineux. Depuis, la fièvre est retombée et le Vendéen de 55 ans revient en pleine forme avec Zouzou treizième album d’une carrière riche en ruptures radicales, camouflets et réinventions audacieuses : dandy britannique à ses débuts, hurleur fou du hit disco Louxor j’adore,devenu un classique des fêtes de village, zazou dadaïste ou délicat interprète de ballades piano-voix… Rencontre.
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LA TRIBUNE DIMANCHE — Dans Zouzouon entend ta mère, tes enfants qui te narguent à propos de ta calvitie, on est invité à ton anniversaire… On a l’impression d’écouter un disque réalisé à la maison. Était-ce le cas ?
PHILIPPE KATERINE — Zouzou c’est une aventure dans un salon, devant une cheminée, les pieds en peau de chèvre. C’est mon expérience depuis trois ans. Je voyageais très peu, je ne voulais pas aller en boîte ou en concert. Je restais beaucoup à la maison avec ma famille sans avoir envie de partir. Je pourrais presque qualifier cette parenthèse de bonheur, c’est terrible à dire, j’en ai presque honte dans ce monde de chaos, mais bon… je me suis dit : « Il est peut-être important de se rappeler que le bonheur existe sans bouger. »On ne prend pas l’avion, on n’a pas de grandes ambitions, on reste confiné… En fait, je crois que je suis resté un peu confiné depuis le Covid. Eh bien, j’ai quand même quitté la maison pour enregistrer Zouzou notamment dans le studio du groupe Air à Paris, un lieu à la fois accueillant et à la pointe de la technologie.
Vous parliez de confinement. Zouzoua été écrit pendant cette période ?
J’avais écrit des chansons, mais je les trouvais horriblement stupides. Aucun n’a survécu. Alors, spontanément, je me suis tourné vers le dessin, les collages, la peinture à l’huile d’olive… A la base je viens de là-bas, j’ai étudié les arts visuels à l’université de Rennes. J’adore écrire et composer des chansons, mais je ne suis pas toujours musicien. Faire des films et dessiner sont des respirations nécessaires pour revenir à la musique avec encore plus d’appétit. Alors j’ai sorti un livre, La gentillesse en 2022, a monté une exposition au Bon Marché qui voyage désormais à Montréal, en Suède et en Chine. Une chose est sûre, je n’aurais pas fait ce disque sans cet esprit de « cuteisme », je l’ai beaucoup utilisé. Alors, est-ce que Zouzouest-ce qu’un disque est mignon ? Je pense que oui…
Comment pourriez-vous décrire ce mouvement artistique ?
C’est gérer des sentiments de frustration, de tension et de violence, mais sous une forme légère et qui tire vers le haut, sans naïveté, car je suis tout sauf naïf. C’est mon ambition avecZouzouqui parle beaucoup du temps qui passe, de la vieillesse, de la finitude. C’est sans doute l’influence de Charles Trenet. Avec Gainsbourg, il m’a donné envie d’écrire en français. Il m’a toujours touché par son jeu de contrastes entre thèmes souvent douloureux et mélodies lumineuses. Derrière la candeur et une certaine insouciance, ses chansons portaient beaucoup de noirceur. Il y a aussi Souchon dans ce disque, qui est aussi un enfant de Trenet.
A plusieurs reprises dans l’album, vous nous rappelez notre condition de simples mortels. Est-ce une anxiété existentielle ?
Non, pas vraiment. Je pense surtout au compte à rebours. Je l’aborde sereinement, mais c’est vrai, j’en parle souvent, ma fille me l’a fait remarquer récemment. Elle trouve que j’ai un humour plutôt noir sur le sujet. Il faut dire que j’ai été très jeune au contact de la mort. Quand j’avais 8 ans, j’ai subi une opération au cœur, une opération à cœur ouvert à cause d’un trou de la taille d’une pièce de cinq francs, comme on disait à l’époque. Et ils m’ont fermé avec une peau de porc… Quand je suis revenu après l’opération, c’était comme une seconde naissance, mais cette prise de conscience précoce de la fragilité de la vie m’a profondément marqué. En fait, je ne me souciais de rien. A la fin de mon adolescence, je ne me lavais plus, j’étais en passe de devenir sans-abri, puis j’ai rencontré l’art. J’ai réalisé qu’en dessinant mes petits camarades, qu’en interprétant des petits refrains, j’avais un impact, une place. Et si je continuais à ne pas me laver, ça ne m’irait pas très loin, l’histoire serait même un peu lugubre.
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Avez-vous déjà imaginé vos funérailles ?
J’ai même écrit le scénario d’un film documentaire pour décrire en détail mes funérailles. Son nom est Le film qui donne envie de mourir . L’action se déroule au cimetière de Chantonnay, en Vendée, où j’ai grandi. On me verra rencontrer les autorités cléricales, la mairie, les architectes, les marbriers pour faire construire mon monument funéraire, tout humble, mais différent des autres : un pied immense. Le pied est ce qui relie la terre. C’est aussi ma grande faiblesse, car j’ai beaucoup de fissures aux pieds, au point que je peux lire l’avenir… Je déplore que toutes les tombes se ressemblent dans les cimetières, c’est terrible. Aucune loi n’existe pour restreindre les tombes à trois couleurs, noir, gris ou blanc. J’opte pour le rose et le bleu. Rose parce que c’est un mélange de sang et de lait ; bleu parce qu’il est azur. Tout le monde aura évidemment le droit de pleurer, mais avec joie. Les récitants liront des poèmes, notamment Montparnassede Guillaume Apollinaire, des improvisations musicales seront prévues, sans oublier un concert de clavecin pour jouer un prélude de Bach, la musique incontournable pour moi. Ce qui me fascine chez Bach, c’est le mouvement d’horlogerie, comment les mathématiques de la musique sont un mécanisme irréfutable au service de l’émotion pure et de l’élévation spirituelle vers le ciel. Cette dichotomie me rend fou.
De votre album piano-voix Le filmen 2016, tu n’avais jamais parlé de toi de cette manière si direct et intime. Tu voulais rompre avec cette certaine excentricité Qui vous caractérise ?
Je n’ai aucun problème à être qualifié de « chanteur décalé ». Si je n’ennuie pas les gens, ce n’est pas mal. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer un angle différent, décalé, même si on ne retient que le côté fantaisiste ou clownesque. On peut oublier ma musique, se contenter de l’image d’un bonhomme bleu sous une cloche, ça me va très bien. Mais c’est vrai, sur cet album, je me cache moins derrière le fantaisiste. Quand je joue mes nouvelles chansons, je me dis souvent : « Mon pauvre Philippe, tu es trop malin… » Là, j’agis moins malin.
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Philippe Katerine a participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris le 26 juillet 2024. (Crédits : LTD/apture France TV via Bestimage Philippe Katerine)
Comment avez-vous vécu la surexposition médiatique liée à votre performance ?
lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ?
Chanter pour 2 milliards de personnes dans le monde est la chose la plus folle de ma carrière. Et bien après ma prestation d’une minute vingt secondes, nous sommes partis en famille comme des voleurs à travers la France. Les JO ont repris leurs droits, et les athlètes leurs trônes. Mais, durant notre voyage, j’ai quand même ressenti une ferveur, soit d’un côté, soit de l’autre. J’entre dans un bistro, les conversations s’arrêtent. Je parle à une dame, elle commence à rougir. Il semblerait que je sois même devenu une pâtisserie toute bleue très populaire en Asie. C’est un futur idéal à déguster avec gourmandise et avec un grand sourire.
Dans ta chanson Sous la couette tu dis : “C’est vrai, je ne suis pas Mbappé / J’ai tendance à avoir les pieds carrés ! / Joe Biden pourrait me perdre.Êtes-vous en colère contre le sport?
Au contraire, j’ai suivi les JO avec passion devant ma télé. J’aime le sport, vraiment. Durant mon adolescence, les sports d’équipe, notamment le basket-ball, étaient très importants. J’ai même été professeur d’éducation physique dans un lycée agricole. Je pratique moins que par le passé, mais je pratique toujours un sport que j’ai inventé, le freeball. Il se joue sur un terrain de volley mais sans filet. Les règles sont simples : pas de gestes agressifs, pas d’écrasement, mais chacun peut utiliser toutes les parties de son corps pour envoyer le ballon toujours plus haut vers le ciel. C’est mon sport préféré.
Allez-vous le faire approuver pour les Jeux olympiques ?
J’aimerais bien! Compte tenu des dimensions modestes du terrain et de l’absence de filet, il s’agirait du premier projet mixte, intergénérationnel etadapté aux personnes handicapées.Ce serait… une révolution.
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Une belle Zouzou (4⭐/4)
Le temps qui passe, nos vies en sursis, la vieillesse et l’inévitable finitude… Ainsi dit, le contenu du nouvel album de Katerine pourrait paraître lourd, voire déprimant. C’est exactement le contraire. AvecZouzoule chanteur explore sa condition de simple mortel pour mieux célébrer l’urgence de vivre. Au menu, dix-sept titres invitant à la danse (le groove imparable deSous mon bob), des ballades piano-voix jusqu’à l’os (Que deviens-tu ?), des embardées émouvantes ( Frère) et la bossa-nova (Sous ma couette). Soutenue par le multi-instrumentiste Adrien Soleiman et Victor Le Masne, Katerine livre un opus à la fois profond et léger, porté par des mélodies accrocheuses sans vantardise, et une finesse d’écriture baignée d’une fantaisie enfantine dénuée de toute naïveté, au sens délicieux. d’autodérision. On l’écoute converser avec sa verge, lui avouer ses angoisses daroniques (Père), célèbre ses racines vendéennes (Total Ouest), chantons la nostalgie d’un bistrot et d’une jeunesse disparue (le poignantChez Philou). L’art de se mettre nu, sans une once d’exhibitionnisme.
Zouzou, Philippe Katerine, Cinq7/Wagram Music.