Imprévisible, fantaisiste, économiquement agressif… L’arrivée de Donald Trump fait craindre un bouleversement des équilibres géopolitiques, même chez ses alliés. Des rebondissements qui ne devraient cependant pas affecter trop violemment le monde très secret des services de renseignement extérieurs français.
« Les États-Unis sont notre allié. Avec leurs services de renseignement, la coopération est particulièrement intense car elle renforce notre sécurité mutuelle », assurait fin novembre dans les colonnes de Indiquer Nicolas Lerner, directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). En effet, les relations entre services de renseignement, notamment entre deux pays alliés, sont construites pour rester imperméables aux aléas politiques.
Des relations immuables même dans la pire tempête
« Même en 2003, au pire moment des relations entre les Etats-Unis et la France [sur fond de tensions sur la guerre en Irak]le froid diplomatique n’a eu aucun impact sur la coopération des services », rappelle Raphaël Ramos, historien, chercheur associé à l’université Paul-Valéry de Montpellier et auteur du site Intelligence Online. Soulignant que lors du premier mandat de Donald Trump, le partenariat stratégique “n’a pas souffert”, Nicolas Lerner ne peut “imaginer qu’un virage politique fragilise la coopération bilatérale qui remonte à la Seconde Guerre mondiale”.
Quant à nos espions (dans l’imaginaire collectif) ou agents de renseignement (dans le jargon professionnel), là encore, cela ne changera pas grand chose. « J’ai connu beaucoup d’alternances de gouvernance en quarante ans de travail, chez moi ou ailleurs, les services ont tendance à adoucir les changements de régime, on travaille dans la durée et les vagues politiques ne nous affectent guère, même quand c’est une grosse vague. comme Donald Trump», affirme Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE.
Certaines situations peuvent néanmoins conduire les renseignements français à plus de prudence. Dans un article publié sur le site Rubicon, Clément Renault, historien des relations internationales et chercheur « renseignement, guerre et stratégie » à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem) rappelle « la gestion très problématique et désinvolte des informations sensibles ou classifiées ». » de Donald Trump. Comme lorsque ce dernier a révélé des informations sur une source d’un partenaire au sein de l’Etat islamique au ministre russe Sergueï Lavrov lors de son dernier mandat. Ou encore les 325 documents « classifiés » problématiques retrouvés dans sa résidence de Mar-a-Lago et pour lesquels il était poursuivi jusqu’en novembre 2024.
Une politisation potentiellement déstabilisante
Outre ce manque de conscience envers les informations sensibles, sa méfiance à l’égard de ses propres services de renseignement pourrait changer la donne. Donald Trump n’a jamais caché son aversion pour les services secrets et ce qu’il appelle « l’État profond ». Il a également placé John Ratcliffe à la tête de la CIA, un homme « peu expérimenté en la matière, fidèle et dévoué à Donald Trump », et « qui pourrait avoir un impact à long terme », souligne Raphaël Ramos.
-Sa nomination fait craindre une politisation du renseignement qui pourrait conduire à des purges, des démissions ou encore « des retards, une incapacité à s’engager, à obtenir des arbitrages », imagine Clément Renault. A plus long terme, « les services alliés pourraient être tentés d’être plus prudents dans le partage d’informations avec les Etats-Unis de peur qu’elles soient utilisées à des fins politiques », prévient Raphaël Ramos. Pire, la relation de confiance entre les services de renseignement pourrait être mise à rude épreuve en raison des agissements de l’exécutif américain.
Intérêts mutuels communs
Le « précédent des armes de destruction massive irakiennes de 2002 » [mensonge qui sera le déclencheur de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis] a eu un impact durable sur la crédibilité du renseignement américain », nuance néanmoins l’historien, s’interrogeant ainsi « sur les répercussions qui pourraient résulter d’un renseignement déclassifié par une équipe Trump » sur des sujets sensibles comme celui de la Chine par exemple.
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Mais dans l’ensemble, les États-Unis restent notre allié. Pour que les relations en matière de renseignement soient véritablement modifiées, il faudrait que l’Amérique de Donald Trump « entre en confrontation économique, technologique et militaire avec la France ou l’Europe et nous aurions alors affaire à un pays hostile et cela changerait la donne ». », pousse Alain Chouet qui écarte cette hypothèse car « l’administration américaine a besoin d’échanges apaisés avec les Européens ».