Le Dr Diane Purper-Ouakil coordonne pour la France une étude européenne qui étudie la manière dont les jeunes surfent sur Internet. Le CHU de Montpellier et le collège du Jeu de Mail y participent.
Chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Montpellier, le Dr Diane Purper Ouakil coordonne pour la France une étude européenne de trois ans destinée à mieux comprendre le rapport des jeunes aux écrans.
Pourquoi une telle étude ?
C’est déjà l’occasion de sensibiliser sur l’usage problématique d’internet qui préoccupe de nombreux jeunes. Cette étude vise à développer des outils de prévention et permettre aux jeunes de mieux maîtriser l’usage des écrans.
Quels sont les principaux comportements ?
En résumé, il existe deux grandes catégories d’utilisation problématique d’Internet chez les jeunes. Usage impulsif d’abord, plutôt ludique, où il y a une vraie difficulté à interrompre la consommation. Et puis une consommation compulsive, où on ne peut pas se déconnecter, de peur de rater une information sur les réseaux sociaux par exemple. Dans les deux cas, il est difficile d’abandonner, mais pour des raisons différentes.
“C’est difficile de fixer une limite à nos adolescents”
“On est un peu perdus dans ce monde, on n’a pas grandi avec internet”soupire une mère. “Mon fils ne joue plus au ballon avec ses amis”en regrette un autre. “Quand il est sur son écran, mon ado ne partage plus avec nous, et c’est difficile de lui fixer une limite”témoigne un papa.
“La limite dépend de l’enfant et de son utilisation d’Internet, répond le Dr Purper-Ouakil. Il faut déjà se demander s’il existe des facteurs indiquant que sa consommation est nocive. Tik Tok n’est pas le réseau social le plus toxique. C’est Instagram qui induit le plus d’effets négatifs, notamment sur l’image que les adolescents ont d’eux-mêmes et la difficulté à se déconnecter.
Une soixantaine de personnes étaient présentes au collège du Jeu de Mail jeudi dernier pour la conférence-débat sur les addictions numériques. Une question récurrente dans de nombreux foyers, et par conséquent dans les écoles.
« Les étudiants sont habitués à vivre avec des écrans, et c’est aussi un défi pour nous, enseignants, explique l’un d’eux. Cela nous oblige à réengager leur attention et à proposer des contenus plus diversifiés.
« Pour contrer Internet, on peut augmenter l’attractivité d’autres activités »confirme le Dr Purper-Ouakil. « On joue à des jeux de société ou on fait des sorties en famille »poursuit un étudiant.
Certains font un choix plus radical. “Ma fille est en 6ème et elle ne participera pas à l’étude car elle n’a pas de téléphoneexplique une mère. C’était aussi le cas de sa grande sœur et ça s’est bien passé car elle avait des amis dans la même situation et on en parlait entre parents.
“Envoyer des alertes aux jeunes”
Quels sont les objectifs de cette étude européenne ?
L’objectif de la première année est de récolter des informations sur la façon dont les jeunes consomment sur internet. Ces données seront envoyées de manière anonyme aux chercheurs et scientifiques. La deuxième année correspondra au lancement d’une étude pilote auprès de collégiens. L’objectif sera de développer une application capable d’envoyer des alertes aux jeunes suite à leur consommation. L’idée n’est pas de s’immiscer dans leur vie privée, mais de les sensibiliser à travers des messages d’information ludiques. En troisième année, lorsque le dossier sera prêt, nous définirons trois groupes de collégiens auxquels nous adresserons trois types de messages. On pense que ceux correspondant à une intervention personnalisée seront les plus efficaces en matière de maîtrise de soi.
Pourquoi est-il important d’impliquer les jeunes dans ce processus ?
Que l’on soit parents, enseignants ou médecins, nous sommes un peu dépassés par les usages que les jeunes font d’Internet, d’autant qu’ils évoluent très vite. Mais ce que j’observe, c’est que les adolescents se posent déjà des questions sur leur consommation. Il est plus judicieux de les responsabiliser et de les soutenir. Participer à cette étude les met également en valeur.
-« Penser ensemble »
Sophie Larmaillard est la référente santé mentale collégiale du Jeu de Mail.
Pourquoi votre collège participe-t-il à cette étude ?
J’ai trouvé enrichissant de participer à cette étude européenne sur l’usage problématique des écrans chez les adolescents. J’en ai parlé à tous les collégiens et près de 70 d’entre eux sont déjà inscrits. Cette rencontre leur permet également d’en parler avec leurs parents qui peuvent au départ se montrer méfiants. Le but est de leur montrer que nous travaillons avec le CHU et les scientifiques. Nous souhaitons créer une dynamique avec le plus de partenaires possible. On voit déjà qu’il est enrichissant de réfléchir ensemble à un sujet où se joue la santé de nos adolescents.
Comment allez-vous les gérer ?
Des représentants en santé mentale seront formés au sein du collège. L’objectif est que les adolescents réfléchissent à leur consommation internet. Nous avons créé une équipe numerik pour déployer des actions et des projets à destination des étudiants et de leurs familles. Concernant l’étude Bootstrap, les étudiants qui participeront devront installer une application sur leur téléphone avant de se rendre au CHU le 28 janvier.
Avez-vous rencontré d’autres étudiants européens ?
Oui, nous sommes allés à Porto l’année dernière avec deux étudiants ambassadeurs de cette étude et un professeur d’anglais. Nous avons rencontré des collégiens de neuf pays européens participant à l’étude Bootstrap.
“Le défilement est le comportement le plus problématique”
Quelle est la chose la plus difficile dans la mise en place de cette étude ?
C’est le développement d’applications ! Il faut beaucoup d’allers-retours avec Google et Apple pour bien faire les choses. Il faut aussi convaincre les collégiens et leurs parents du bien-fondé de cette étude. Cela nous permettra également d’agir en tant que citoyens au niveau politique européen.
Qu’avez-vous remarqué ces dernières années lors de vos consultations ?
Contrairement aux idées reçues, je constate que les jeunes sont de plus en plus critiques à l’égard de leur utilisation d’Internet, au moins il y a plus de quatre ou cinq ans. Ils sont plus conscients de la logique commerciale et leur réflexion est meilleure. Ils sont moins passifs, et c’est important, car le défilement est le comportement le plus problématique.
Conseil : deux programmes TV et un livre
Quels usages d’internet pour les jeunes ? Deux émissions de télévision (à voir en replay), citées par Sophie Larmaillard, et un essai, cité par la mère d’un élève, peuvent aider à y voir plus clair.
“Dopamine” (sur Arte.tv) : cette websérie composée d’épisodes de sept minutes (qui ont donné lieu à un doc de 52 minutes) montre comment les applications piègent notre cerveau.
« Influence numérique » (sur France TV) : une émission avec un documentaire retraçant le combat de cinq femmes contre cinq géants du numérique, suivi d’un débat.
« L’usine à crétins numérique »: un essai (Editions Seuil) de Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, qui décrypte les dangers des écrans pour nos enfants.