Les fléaux du technosolutionnisme – Le Courrier

Les fléaux du technosolutionnisme – Le Courrier
Les fléaux du technosolutionnisme – Le Courrier

Les décisions du gouvernement pendant la période Covid nous semblent avoir eu un impact durable sur notre façon de faire des affaires. En effet, les nouvelles technologies de l’information et les biotechnologies étaient présentées comme la panacée pour la société, même si elles étaient utilisées à des fins de ségrégation et de surveillance sociale. Enfin, cette fois-ci a permis de constater qu’avec une dose de peur bien distillée, la société était prête à adhérer aveuglément au discours transhumaniste et à son techno-solutionnisme au service de la maîtrise illusoire de la vie.

Nous vous proposons le point de vue aiguisé de l’anthropologue Daniela Cerqui, professeur à l’Université de Genève, qui étudie depuis vingt-cinq ans les évolutions technologiques et technoscientifiques. Elle questionne notamment ce que la doxa appelle les « bonnes pratiques » afin de révéler la société sous-jacente. (Moins!)

Comment la période covid a-t-elle influencé le dogme de la « maîtrise » de la vie ?

Recherche Daniela : La période covid arrive comme un cheveu dans la soupe dans une sorte de linéarité qui tend vers une « maîtrise » toujours croissante du vivant et de l’humain où il s’agit de réparer, d’augmenter voire de prolonger la vie. En effet, on se rapproche de plus en plus de cette « maîtrise » avec les biotechnologies et les technologies dites de l’information qui tendent à définir l’humain comme imparfait. Dans cette logique, l’humain semble n’avoir jusqu’à présent attendu que la grâce de ces nouvelles technologies pour accroître ses performances.

La période covid l’a mis en évidence. À la fin de l’hiver 2020, on aurait pu croire à un point de rupture de type « prise de conscience » par rapport au fait qu’il est impossible de tout contrôler, notamment la vie. Puis, très vite, le triomphe de la promesse biotechnologique a pris le dessus avec les discours sur les vaccins et leur commercialisation quelques mois plus tard.

Que reste-t-il de l’expérimentation d’une médecine sans médecin, qui remplace par des tests le diagnostic issu de l’expertise du médecin et de sa relation avec son patient ?

La période covid n’a fait qu’accélérer certaines tendances déjà présentes à l’état embryonnaire. Par exemple, la télémédecine augmente la distance entre le médecin et le patient. Elle conforte une transformation de la médecine particulièrement visible en radiologie : celle de la médecine du toucher vers une médecine de la vue. Les mesures gouvernementales prises face au covid ont contribué à réduire radicalement la résistance à la numérisation.

L’acceptation sociale de devoir « montrer ses identifiants »

En effet, la preuve a été apportée qu’il était possible de rester en vie en étant simplement un numéro à un examen et en téléchargeant une application sur son smartphone, ce qui permettait à ceux qui respectaient les règles d’être contrôlés et d’accéder à des lieux de sociabilité. En fin de compte, l’acceptation sociale de devoir « montrer la main blanche » ainsi que celle d’intervenir dans de plus en plus de domaines de la vie par le biais du numérique – comme l’enseignement par exemple – a été encouragée.

Cela n’a-t-il pas pour corollaire aussi une certaine violence ?

Oui, l’utilisation de ces technologies va de pair avec une multiplication des sources d’exclusion et de discrimination pour ceux qui ne peuvent répondre aux critères d’accès ou qui résistent à leur utilisation. Dans le cas particulier, la résistance s’est fondée sur la défense de la liberté individuelle face à la mainmise de la Santé publique. En revanche, ces technologies permettent d’obtenir des services immédiatement, sans besoin de déplacement ni de contact physique. L’expérimentation qui a eu lieu pendant la période covid est un argument fort pour faire progresser ce type de société et, de fait, légitimer ces instruments d’exclusion et de discrimination.

C’est très paradoxal, car toutes ces technologies – biotechnologies et technologies de l’information – sont vendues et promues sous l’angle de l’égalité non seulement par leurs concepteurs mais aussi et surtout par le monde politique qui, hormis quelques voix critiques, semble véritablement convaincu de leur impact nécessairement positif sur la société. Ce discours vante qu’une fois que tout le monde sera connecté, il y aura un accès égal à la connaissance, à la prospérité et à la santé. Ainsi, chaque invention technologique se charge à son tour de promouvoir cette idéologie. Actuellement, l’intelligence artificielle est le porte-drapeau.

Durant cette période covid, comment a évolué la définition de la santé ?

La définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé se compose de deux aspects : l’absence de maladie ou d’infirmité et le bien-être physique, mental et social. Cela me plaît, car le transhumanisme y est déjà inclus. En ce sens que, dans notre société qui crée constamment des besoins et qui associe le « plus » au « mieux », le bien-être s’ajoute sans cesse de nouveaux éléments de confort.

Durant la période covid, ces deux aspects ont été mis en avant en deux temps. Au début de la crise, la maladie nous rappelle notre condition de mortel et nous renvoie, bon gré mal gré, à une définition sobre de la santé où se révèlent tous ces aspects du confort que nous avons ajoutés petit à petit comme étant essentiels. . n’être rien d’autre que des gains en capital. L’État a voulu que nous restions en vie et, dans une société où rationalité et transhumanisme font office de dogme, cette fin se traduit par une restriction des libertés. Cette vision étriquée de la santé a suscité des résistances.

Les conditions de participation sociale profondément transformées

Deuxièmement, les vaccins apparaissent et toutes les restrictions sont levées. Selon les autorités, être vacciné, et donc adhérer à la technoscience, c’est pouvoir à nouveau vivre en société. Et ceux qui ne veulent pas se faire vacciner sont accusés à tort de ne pas tenir compte des autres. Les conditions de participation sociale se sont donc profondément transformées.

Quelles sont les conséquences d’une société dont la sociabilité se construit sur l’utilisation d’outils technologiques (biomédicaux ou technologies de l’information) ?

Cela pose la question des fondements de l’inclusion sociale et de la vie en société. Lorsque les critères d’inclusion se limitent à être le « bon petit soldat » de la technoscience et que ce fait est soutenu par des mesures coercitives gouvernementales, c’est la définition de l’humain en tant qu’homo œconomicus qui transparaît. Une menace pour la vie physique se traduit donc par une menace pour l’économie exprimée par l’argument « l’individu doit rester vivant et en bonne santé pour continuer à consommer et à produire ». Ce raisonnement serait remis en cause si notre choix de société reposait sur un autre critère que la rationalité, comme par exemple sur la sociabilité.

Que dit le soutien de la population à une technologie OGM non testée, comme le « vaccin » contre le covid ?

Le soutien au vaccin a été massif, cela montre que ces gens étaient prêts à se faire imposer un vaccin de cette nature et qu’ils avaient une foi aveugle dans les promesses scientifiques. Cela s’est produit en quelques étapes : la conscience de ne pas avoir tout sous contrôle, lorsque le covid est arrivé, a provoqué une panique qui a été rapidement apaisée par le discours technoscientifique promettant un vaccin. Ensuite, le mettre sur le marché sans les quinze années de recul habituelles apporte un soulagement.

En fin de compte, le vaccin résout le dilemme créé par la panique du non-contrôle. De plus, adhérer au discours technoscientifique permet l’absence de remise en question du scientisme et le renforcement de sa foi. C’est ainsi que la grande majorité des gens se font vacciner. Notez que le scientisme est un système de croyance fort puisqu’il avance sous couvert scientifique, ce qui véhiculerait neutralité et positivité.

N’y a-t-il pas eu de voix critiques ?

Oui, de petites poches de résistance ont été entendues et peut-être même renforcées. Cette médiatisation a sans doute permis à certains de s’interroger pour la première fois sur la vaccination des enfants face au risque que représente la maladie ou les effets secondaires des produits pharmaceutiques par exemple. Normalement, il est très difficile de remettre en question le discours technoscientifique omniprésent.

 
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