L’avenir du Québec sans lunettes roses

« L’avenir ne sera pas la continuation de ce que nous vivons actuellement. Nous nous dirigeons vers des transformations majeures, non pas des transitions, mais des transformations majeures que nous n’avons peut-être pas choisies, mais que nous subirons certainement », ajoute Joëlle Vincent, également associée chez Coboom.

Pourtant, personne n’est prophète, pas même Jean-Pierre Dubé ou Joëlle Vincent. Face à l’avenir, nous allons bien et nous avons tous tort. Mais les partenaires de la firme-conseil se mettent quand même à l’épreuve afin de mettre en lumière les variables qui pourraient influencer le Québec d’ici 2040.

Pour ce faire, ils ont fait preuve de prévoyance. Cette approche d’anticipation, développée en et aux États-Unis, explore différents futurs possibles pour aider à orienter les choix présents. La CIA utilise également cette méthode pour identifier les grandes tendances de l’environnement politique, militaire, économique et social.

« Si le gouvernement du Québec avait fait preuve de prévoyance, je ne suis pas sûr que le projet Northvolt aurait vu le jour. Et s’il était né, le gouvernement n’y aurait pas mis sept milliards de dollars», dit M. Dubé à Soleil.

Jean-Pierre Dubé est convaincu que le gouvernement du Québec n’aurait pas investi sept milliards de dollars dans Northvolt s’il avait fait preuve de prévoyance. (Christinne Muschi/Archives de la Presse Canadienne)

Ce dernier mentionne que Ford et BMW, entre autres, prévoient que le parc automobile mondial devrait être réduit de moitié environ d’ici 2050.

«Si le gouvernement avait regardé davantage les tendances, il aurait dit : ‘Merde, si le parc automobile est réduit de moitié, est-ce qu’on construit trop d’usines de batteries ?’ La réponse est oui», poursuit-il.

L’équipe Coboom — suivant la méthode prospective et après avoir consulté universitaires et experts d’ici et d’ailleurs — a mis sur papier ce à quoi pourrait ressembler le Québec dans 15 ans, « sans petites lunettes roses ». Il soutenait certains futurs possibles, plus pessimistes qu’optimistes.

« L’avenir étant imprévisible, les scénarios ne prétendent pas couvrir tous les futurs. Il est possible qu’aucun d’entre eux ne se réalise, mais l’avenir sera probablement un mélange d’éléments issus de ces scénarios », estime Joëlle Vincent.

Montez à bord de la DeLorean, il est grand temps de voir ce que l’avenir pourrait nous réserver.

Austérité et décroissance

D’emblée, l’exercice Coboom suggère que l’économie du Québec, tout comme celle du Canada, pourrait suivre une trajectoire descendante, à l’instar du Japon.

« Le taux de croissance du PIB canadien est en déclin depuis plus de 60 ans. Vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, le taux de croissance du PIB se situait dans une fourchette de 5 %, alors qu’aujourd’hui, la fourchette se situe plutôt autour de 1 %. Jean-Pierre Dubé.

Statistique Canada indique notamment que le PIB réel a augmenté de 1,1 % en 2023, soit son taux annuel le plus faible depuis 2016, mis à part la baisse liée à la pandémie de COVID-19 en 2020.

« Dans la décennie actuelle, nous nous retrouverons probablement dans une situation négative, comme le Japon l’a été depuis dix ans. Il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en économie pour s’en rendre compte.

— Jean-Pierre Dubé, associé de la firme-conseil Coboom

Si ce constat peut paraître alarmiste, le consultant mentionne que la gestion stricte des dépenses, dans laquelle se lance le gouvernement du Québec pour réduire la dette, ralentira encore davantage l’économie. Notamment parce que les trois niveaux de pouvoir (fédéral, provincial et municipal) représentent 45 % du poids du PIB, entre autres à travers les salaires et les projets d’envergure.

« Comprenez-vous que près d’un dollar sur deux de l’activité économique est causé par la présence de l’État ? Alors si l’Etat a une politique d’austérité, même s’il appelle cela du respect budgétaire, on peut jouer sur les mots comme on veut, on n’aura pas une croissance de 2,8% comme le prédit le ministre des Finances. Il rêve en couleurs », affirme Jean-Pierre Dubé, tout en soulignant que Coboom est un peu « de gauche ».

Il ajoute que les coupes budgétaires entraînent souvent des pertes d’emplois et des gels des embauches, ce qui réduit la consommation, ce qui réduit ensuite la production et, en fin de compte, diminue le PIB.

Dépendant des États-Unis

Mais la plus grande vulnérabilité du Québec, selon Joëlle Vincent, est probablement sa dépendance à l’égard des États-Unis, dont les plus belles heures sont aussi derrière elles, comme le titre Denys Arcand dans son film La chute de l’empire américain.

Et la dépendance des entreprises québécoises envers le marché américain fait que nous allons probablement chuter avec nos voisins du Sud, indique la prévision réalisée par Coboom.

Depuis la menace de tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens par Donald Trump, environ 46 % des entreprises manufacturières québécoises pourraient délocaliser leur production aux États-Unis, selon un sondage des Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ).

«C’est une tragédie, c’est une catastrophe pour le Québec», s’exclame Jean-Pierre Dubé. Le secteur manufacturier est ici un moteur important de l’économie. Après, pour les entreprises, c’était le bon choix à faire si elles veulent survivre.»

Depuis la menace de tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens par Donald Trump, environ 46 % des entreprises manufacturières québécoises pourraient délocaliser leur production aux États-Unis. (Carolyn Kaster/Archives AP)

Ce dernier anticipe cependant qu’il n’y aura pas de taxe de 25 %, mais que cela fera quand même mal aux Québécois pour les années à venir.

« Trump nous fait peur avec 25 %, puis quand nous négocierons pour descendre à 10 %, nous le remercierons. Mais c’est quand même dramatique puisque le Conference Board du Canada nous a dit qu’une taxe de 10 % représente probablement 30 000 pertes d’emplois dans le secteur manufacturier canadien, principalement concentré au Québec et en Ontario», affirme M. Dubé.

Ce qui, encore une fois, sera un coup dur pour l’économie québécoise. Ses effets pourraient se faire sentir jusqu’en 2040 et au-delà.

Assez d’énergie pour nos ambitions ?

Il y a peu de chances que les voitures volent dans une quinzaine d’années, mais il sera interdit de vendre des véhicules neufs à essence au Québec. La province s’est lancée dans une transition énergétique majeure, mais aussi dans une transformation numérique majeure.

Jean-Pierre Dubé et Joëlle Vincent craignent que le gouvernement québécois n’ait pas les moyens de ses ambitions.

« Hydro-Québec anticipe déjà que nous serons à court d’énergie dans un avenir rapproché. C’est pourquoi la société d’État réalise de grands projets et tente de sécuriser l’électricité à Terre-Neuve. Le numérique a une demande énergétique plus importante que prévu », affirme M. Dubé.

François Legault et Andrew Furey, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, lors de l’annonce de Churchill Falls, le jeudi 12 décembre 2024. (Paul Daly/Archives de la Presse Canadienne)

“Quand le ministre de l’Économie doit autoriser que de l’énergie supplémentaire soit donnée aux entreprises, il y a un problème qui se profile à l’horizon”, ajoute-t-il.

Selon lui, l’économie ne repose pas sur l’argent, mais sur l’énergie.

« Le PIB mondial est corrélé à 98,5 % au pétrole. Mais ce n’est pas une ressource infinie et nous la surconsommons depuis cent ans. On va en manquer un jour ou l’autre», affirme Jean-Pierre Dubé.

Il estime que la rareté des ressources énergétiques entraînera une inflation chronique.

L’agriculture plus difficile, la pêche aussi

Si les variables prévisionnelles du Coboom indiquent un ralentissement de l’économie québécoise dans les années à venir, aucun ralentissement des changements climatiques ne se profile à l’horizon.

« L’Accord de Paris est rompu depuis longtemps. Et pour éviter d’augmenter la température moyenne de la planète de 2°C, il faudrait réduire les émissions de CO2 d’environ 5 % par an jusqu’en 2050. Mais pour l’instant, les émissions de GES ne font qu’augmenter. avance Joëlle Vincent.

« La question sur toutes les lèvres est : jusqu’où va-t-on aller avant de se rendre compte qu’il est trop tard ? », ajoute Jean-Pierre Dubé.

Il souligne que les effets du changement climatique se font déjà sentir dans le secteur agricole et que les choses ne vont pas s’améliorer.

La production céréalière pourrait pâtir de conditions de croissance plus chaudes et le réchauffement climatique pourrait favoriser l’apparition et la prolifération de certaines maladies.

Certaines cultures seront toutefois favorisées, comme le soja et le maïs. La zone de production de ces deux types de céréales pourrait également s’étendre vers le nord.

Le secteur de la pêche sera également fortement impacté. La crevette de Matane est également au bord de l’effondrement. C’est en voie de disparition. En 2022, 14 500 tonnes de crevettes pourraient être pêchées dans le golfe du Saint-Laurent, alors qu’environ 30 000 tonnes pouvaient être pêchées il y a plus de dix ans.

Le nouveau visage de notre pays

Les instituts de statistiques fédéraux et provinciaux font également des prévisions sur notre évolution, si les tendances se maintiennent. Ceux-ci peuvent évoluer au gré des aléas de la vie et de la politique, mais les chiffres restent tout de même un bon indicateur pour dresser un portrait démographique de notre société dans quelques années.

Statistique Canada estime que nous serons près de 48 millions au pays en 2041. Et plus d’une personne sur deux serait des immigrants ou des enfants d’immigrants nés au Canada, soit environ 25 millions de personnes. En 2016, il y a eu environ 14,4 millions de nouveaux arrivants.

Les projections suggèrent que l’immigration demeurera le principal moteur de la croissance démographique au Canada et au Québec. Et de loin.

La province a également franchi le cap des neuf millions d’habitants en janvier 2024, principalement grâce aux immigrants qui représentent la majorité des 800 nouvelles personnes par jour au Québec.

La mosaïque culturelle de notre pays, comme de notre province, continuera donc de se diversifier. Chaque année, de nouvelles parcelles venues des quatre coins du monde s’inviteront dans notre société.

 
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