Deux forces, à la fois alliées et concurrentes, sont à l’offensive depuis jeudi 28 novembre. Il y a d’abord une coalition de groupes réfugiés à Idlib, dernière région qui a échappé à la reconquête en 2018 des bastions rebelles (Ghouta, Deraa, etc. ) par la dictature de Bachar al-Assad. A la tête de cette coalition se trouve Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le groupe le plus puissant avec 15 000 combattants, dirigé par Abou Mohammed al-Jolani.
Cet islamiste radical de 40 ans est un ancien leader d’Al-Qaïda en Syrie, qui a rompu il y a huit ans avec le groupe terroriste et l’idée d’un jihad transnational contre l’Occident, pour se concentrer sur un agenda purement syrien. HTS mène une guerre contre les cellules clandestines d’Al-Qaïda ou du groupe État islamique, qui ont tué l’un de ses proches, Abu Maria al Qahtani, le 4 avril 2024.
À Idlib, Jolani a installé une administration civile et a ajouté du « vin à l’eau » à son programme radical pour concilier une population qui s’était rebellée à plusieurs reprises.
Et l’autre force offensive ?
L’Armée nationale syrienne (SNA) est une autre coalition de groupes, allant des islamistes aux « laïcs ». Fondée en 2017, placée directement sous le contrôle de la Turquie, de son armée et de ses services spéciaux, l’ANS occupe les régions frontalières du nord de la Syrie. Plus que le régime Assad, son objectif est la lutte contre les YPG, la version syrienne du PKK, les séparatistes kurdes de Turquie. Depuis la chute du « califat » du groupe État islamique en 2019, les YPG occupent l’est de la Syrie avec le soutien des Occidentaux, notamment des États-Unis.
Où sommes-nous?
À la surprise générale, la coalition HTS s’est emparée d’Alep, la deuxième ville de Syrie, en moins de 48 heures. Simultanément, le HTS attaquait vers le sud, poursuivant l’armée régulière d’Assad jusqu’à Hama, sur la route de Homs et de Damas.
Montés sur des 4×4, très mobiles, les combattants HTS n’ont pas pu tenir Hama, faute de moyens lourds. Depuis, l’armée d’Assad a réussi à stabiliser le front. Les renforts affluent, notamment des miliciens chiites arrivant du Liban ou d’Irak à la demande de l’Iran, principal allié du régime syrien. L’autre allié, la Russie, multiplie les sorties aériennes.
La bataille pour Hama s’annonce cruciale. Pour Assad, mais aussi pour Téhéran et Moscou, il n’est pas question de perdre cette région et celle de Homs. Ils relient la capitale Damas à la côte méditerranéenne, où se trouvent les bases aériennes (Hmeimim) et maritimes (Tartous) russes, ainsi que le fief alaouite de Lattaquié. Branche du chiisme, l’alaouisme est la confession des Assad qui ont tout fait pour transformer la contestation populaire de 2011 en guerre civile sur des bases ethniques et religieuses.
Et les Kurdes ?
Surpris par l’offensive du HTS, les YPG, qui contrôlaient le quartier kurde d’Alep et les villages au nord de la ville, ont tenté de leur venir en aide. Les combattants des YPG ont avancé depuis l’est de la Syrie, mais la manœuvre a échoué. Le HTS et surtout l’ANS, au service des Turcs, ont pris le contrôle des enclaves kurdes.
Jolani, qui a lancé un appel solennel à ses troupes au respect des minorités (chrétiens, Kurdes, etc.), a négocié une évacuation des combattants kurdes vers l’Est. Mais cela n’a pas empêché l’ANS et les services spéciaux turcs d’assassiner plusieurs responsables kurdes.
Pourquoi cette explosion après cinq années de calme relatif ?
La coalition d’Idlib dirigée par HTS n’a jamais abandonné la lutte contre un régime détesté. Elle peut d’autant moins renoncer que les deux tiers des trois millions d’habitants sont des réfugiés qui souhaitent rentrer chez eux. A Atmeh, près de la frontière turque, un immense camp de toile, l’un des plus grands au monde, accueille des dizaines de milliers de déplacés. Un pool de combattants.
Dans ce contexte, la guerre à Gaza et surtout au Liban offrait une opportunité. Les bombardements israéliens en Syrie, contre le Hezbollah libanais et les milices sous ordre de l’Iran, ont profondément désorganisé le soutien au régime d’Assad. Téhéran avait la tête au Liban, Moscou avait d’autres chats à fouetter en Ukraine…
Le facteur décisif a été le feu vert tacite de la Turquie à l’offensive HTS.
Pourquoi la Turquie a-t-elle accepté ?
Le président turc a reconnu l’échec de ses tentatives depuis deux ans pour normaliser ses relations avec Bachar al-Assad. En échange de la fin de son soutien aux rebelles syriens, Erdogan espérait renvoyer chez eux les quatre millions de Syriens réfugiés dans son pays depuis dix ans, tout en gardant les mains libres pour punir les YPG kurdes. Assad a refusé, exigeant le retrait de l’armée turque et de ses mandataires de l’ANS. Ankara a choisi d’agir.