« La France devra fermer ses bases militaires au Sénégal », telle est la position rendue publique jeudi aux médias français par le président Bassirou Diomaye Faye. Poursuivant, le chef de l’Etat sénégalais déclare : « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain et la souveraineté ne permet pas la présence de bases militaires dans un pays souverain ».
Un partenariat renouvelé et pas de rupture
Dans la même interview, il a défendu un « partenariat renouvelé » avec l’ancienne puissance coloniale et salué un « grand pas » en référence au fait que le président français Emmanuel Macron a reconnu dans une lettre que les forces coloniales françaises avaient commis un « massacre » à Thiaroye. le 1er décembre 1944, ouvrant le feu sur des tirailleurs sénégalais revenant de France.
« La France, a ajouté le président Faye, reste un partenaire important pour le Sénégal en termes de niveau d’investissement, de présence d’entreprises françaises mais aussi de citoyens français présents au Sénégal. Mais, 64 ans après l’indépendance, les autorités françaises doivent réfléchir à la possibilité d’avoir un partenariat sans cette présence militaire, mais qui soit un partenariat riche, un partenariat fructueux, un partenariat privilégié et global comme celui que nous entretenons avec de nombreux autres pays”. Car il précise : « La présence ou l’absence militaire ne doit pas être synonyme de rupture, il y a des relations entre le Sénégal et des pays comme la Chine, la Turquie, les Etats-Unis ou l’Arabie Saoudite, tous ces pays n’ont pas de base militaire au Sénégal. Aujourd’hui, la Chine est notre plus grand partenaire commercial en termes d’investissement et de volume d’échanges. La Chine a-t-elle une présence militaire au Sénégal ? NON. Mais parle-t-on d’une rupture ? NON”
Nouvelle doctrine de coopération militaire
Bassirou Diomaye Faye a évoqué une prochaine actualisation de la doctrine de la coopération militaire. Cette mise à jour nécessiterait qu’« il n’y ait plus de bases militaires d’aucun pays au Sénégal » mais aussi d’autres évolutions dans la coopération militaire avec « ces différents pays qui entendent toujours maintenir la coopération avec le Sénégal ».
Cette sortie intervient dans un contexte où la France a décidé de réduire significativement sa présence militaire en Afrique. En juin, deux sources proches de l’Elysée et une Source militaire avaient indiqué à l’Agence France Presse que l’intention de Paris était de réduire les effectifs dans plusieurs pays dont le Sénégal où le contingent doit passer à une centaine de soldats contre 350 à l’époque.
Différences sur les accords de pêche
Quelques heures avant le discours présidentiel, la ministre de la Pêche et des Infrastructures maritimes et portuaires, Fatou Diouf, avait déclaré, lors d’une conférence de presse, que le Sénégal ne signerait pas un nouvel accord de pêche sans avoir procédé au préalable à l’évaluation (déjà en cours) que celui signé en 2019 et expiré le 17 novembre 2024. Mme Diouf a également indiqué que sur les 10 milliards de francs CFA que l’État aurait dû collecter dans le cadre de l’accord, seuls 6,5 milliards ont été collectés.
Du côté de l’UE, la situation est différente. En effet, le 12 novembre, son ambassadeur au Sénégal, Jean Marc Pisani, a expliqué le non-renouvellement de l’accord par “les échecs constatés dans la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée”.
Les Russes se frottent les mains
Déjà très bien implantée au Mali, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso, où elle soutient activement les régimes militaires en place, la Russie tente depuis plusieurs années d’accroître son influence au Sénégal. Si durant les deux mandats du président Macky Sall l’axe Dakar-Moscou s’est développé avant tout sur le plan commercial et diplomatique – le pays ayant adopté une position de neutralité à l’égard du conflit russo-ukrainien – le Sénégal a tout ce qui, jusqu’à aujourd’hui, a a favorisé ses alliés traditionnels, la France et les États-Unis, en termes de coopération militaire et sécuritaire, au détriment de la Russie.
L’annonce d’une nouvelle doctrine de politique étrangère sénégalaise arrive donc à point nommé pour le Kremlin, qui suit cette évolution de très près, comme le démontre l’entretien téléphonique du 22 novembre entre Bassirou Diomaye Faye et Vladimir Poutine, qui a invité son homologue sénégalais à payer une visite d’État en Russie en 2025, ainsi que la visite en juillet de Mikhaïl Bogdanov, représentant spécial du président de la Fédération de Russie au Moyen-Orient et en Afrique reçu au Palais et par le Premier Ministre Ousmane Sonko. Dans le même esprit, certains médias ont également révélé des déplacements discrets de responsables russes pour rencontrer le nouvel homme fort du pays et démontrer leur volonté de collaborer plus étroitement.
Thierno Seck