Place publique | Entre ombre et lumière – .

Place publique | Entre ombre et lumière – .
Place publique | Entre ombre et lumière – .

Occasionnellement, Dialogue offre un espace à une personnalité pour lui permettre de faire connaître son point de vue sur un enjeu ou une question qui nous touche tous. Aujourd’hui, l’ethnologue Isabelle Picard met en lumière la Journée nationale des peuples autochtones… et les journées qui suivront.


Publié à 1h53

Mis à jour à 6h00

Cela fait un moment que je n’ai pas écrit dans ces pages. Je me suis dit : « Quand il y aura quelque chose, j’écrirai. » » Mais à courir ainsi après les lumières, on s’essouffle. Et le temps passe vite.

Entre le moment où j’ai écrit mon premier texte sur la situation du caribou forestier au Québec, il y a moins de deux ans, et aujourd’hui, pendant ce court intervalle où le gouvernement provincial ne cesse de reporter le dépôt de sa « stratégie » de sauvegarde de l’espèce, ces bêtes emblématiques sont passées de 38 à 25 en Gaspésie. Rien n’est urgent, semble-t-il, au pays des décideurs. Quelle histoire de notre vie commune sur ce territoire pourrons-nous raconter à nos enfants ?

Le solstice d’été, le 21 juin, est une fête universelle. Au Canada, c’est la Journée nationale des peuples autochtones. Au Québec, cette célébration est si importante qu’elle a été sacrée « fête nationale » (la Saint-Jean a longtemps été associée au jour le plus long de l’année).

Si le soleil brille en principe pour tout le monde, on sait bien que toutes les vies ne sont pas baignées de lumière. Il est difficile de considérer aujourd’hui qu’il n’y a aucune ombre au tableau de nos enjeux sociaux.

En tant qu’Autochtone, j’ai l’habitude de m’intéresser à nous par morceaux, selon les informations, à travers de minces rayons de lumière. Une fois la lumière passée, chacun retourne à ses petites affaires. Je ne blâme personne ici, il y a tellement de questions importantes en jeu. Il n’en reste pas moins qu’on l’a souvent vu. Sommes-nous dans l’ombre en ce moment ? Nos voix autochtones comptent-elles toujours ?

Cette idée d’ombre et de lumière ne vient pas de nulle part. J’entends, je lis, je vois. Je suis tombé sur une vidéo de l’historien Éric Bédard, consultant sur le projet du Musée national de l’histoire du Québec. Dans cet échange télévisé où il faisait face à Marc-André Éthier, professeur d’enseignement de l’histoire à l’Université de Montréal, Éric Bédard résume sa perception très négative de la manière dont les Autochtones sont désormais abordés dans notre société. Voici ce qu’il dit : « Il y a beaucoup de jeunes qui ont une overdose d’Amérindiens » car, selon lui, des notions de culpabilité et de mauvaise conscience accompagnent le discours à leur égard.

Selon Éric Bédard, nous « leur présentons les Amérindiens comme des êtres moralement supérieurs à nous ». Qui est-ce nous ? Personne ne peut le dire.

Pour lui encore, les autochtones seraient désormais présentés comme « des êtres qui avaient une vie parfaite, qui n’étaient jamais en conflit les uns avec les autres, qui étaient écologistes parce qu’ils étaient en contact avec la nature et qui étaient féministes ». […]qui n’avait pas connu le capitalisme […], bref des êtres merveilleux qui vivaient au paradis. Et nous, les Blancs, sommes allés détruire ça… »

Cependant, la vidéo date de 2017, année où les peuples autochtones commençaient tout juste à mieux faire entendre leur voix. Que pense-t-il sept ans plus tard, alors que nos voix sont plus libérées ?

Il y a quelques semaines à peine, ce même historien répétait que l’histoire ne peut se comprendre qu’à travers l’écriture et qu’« avant l’histoire, il y a la préhistoire. Peut-être que les autochtones, c’est un peu la préhistoire du Québec.»

Sortez de la tradition orale. Les peuples autochtones sont confinés au rôle d’êtres préhistoriques. Comme si rien n’existait avant l’arrivée des Européens, comme si les Premiers Peuples n’avaient pas été là pour nourrir, soigner, protéger et aider les premiers explorateurs et colons. Comme si notre vision de la politique, qui rappelons-le, a coloré de nombreuses démocraties en Amérique, ou de la place des femmes et des aînés dans nos sociétés ou encore notre vision du monde n’avaient exercé aucune influence au Québec. Une négation totale. Un retour de 500 ans dans le temps qui flirte avec la philosophie derrière la doctrine de la découverte, pourtant répudiée.

Même le premier ministre François Legault a répété « l’importance de commencer par Champlain » en parlant de ce musée. Cela veut tout dire.

Les Premiers Peuples ont-ils raison de s’inquiéter de ce projet de musée ? Oui. Car ce qui se cache dans son ombre porte un ethnocentrisme qu’on ne veut pas voir.

Que chacun puisse trouver sa place sous le soleil ne nécessite certainement pas la mise en œuvre coûteuse d’une offensive nationaliste improvisée sous la forme d’un musée.

Pour que le soleil brille enfin pour tous, cela suppose que l’on puisse aussi voir ses reflets dans les institutions publiques censées témoigner du monde, de tous.

Qu’en penses-tu ? Participer au dialogue

 
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