Où serez-vous ce mardi soir ? Avez-vous organisé une soirée électorale ? Une piscine ? Au Québec, la frénésie est telle dans certains milieux que les extraterrestres qui arrivent pourraient croire qu’une campagne référendaire québécoise se termine ce soir !
Publié à 1h36
Mis à jour à 9h00
Comme partout, nous avons suivi cette longue campagne avec passion et inquiétude. Il faut admettre que la position des États-Unis dans le monde, leur hégémonie, nécessitent un certain intérêt. L’aspect atypique de cette course, remplie de haine, frisant parfois l’indécence, fait que les yeux du monde sont tournés vers nos voisins depuis de nombreux mois. A quelques heures, tout le monde l’espère, d’un résultat probant, voici quelques dernières réflexions sur la campagne, sur les Etats-Unis, et sur nous à travers elle.
Trump, d’abord.
Sa candidature n’était cette fois pas une surprise. Le magnat, le criminel du Téflon condamné, le personnage inquiétant s’y rendait pour se venger. Ses électeurs connaissent Trump. Sachez de quoi il est capable. Il n’a rien à perdre. Plus délirant et déterminé, avec un agenda plus effrayant. Evidemment, cela ne dérange pas ses admirateurs. Lors de son premier mandat, il s’en est pris à un « système complètement truqué », a défendu le déclassement de la mondialisation, a voulu que son mur stoppe l’immigration mexicaine et a promis d’abroger l’Obamacare.
L’Institut Poynter estime qu’il n’a tenu que 25% de ses promesses lors de son premier mandat. Sa renégociation de l’ALENA n’a pas ramené les emplois manufacturiers perdus aux États-Unis, il s’est retiré de l’accord de Paris sur le climat et a ajouté… 3 milles au mur frontalier.
Mais en 2024, son programme est plus radical. Il veut expulser les immigrés, annuler la loi automatique sur le sol, réviser les droits reproductifs des femmes, imposer des droits de douane sur toutes les importations, « forer comme des fous » et gracier les personnes condamnées pour avoir envahi le Capitole le 6 janvier 2021.
Cela ne me dérange évidemment pas. La moitié des Américains l’ont essayé et sont prêts à l’embaucher à nouveau. Tout cela témoigne d’un état d’esprit différent de celui de 2016, fait de colère et d’amertume. Cette fois, c’est de la bravade. Beaucoup croient sincèrement que c’était mieux avant et qu’il faut tenter ce futur passé. Ils ne sont pas tous fous.
L’été dernier, j’ai parcouru 4 000 milles à travers le sud-ouest, dans les déserts et les hauts plateaux, les grandes villes, les backwaters, les États démocrates et républicains. On sentait la population divisée. Même si l’autoroute 40 restait intacte dans le paysage, les États étaient plus différents que jamais les uns des autres. J’ai littéralement vu le nom du pays : États-Unis, mais potentiellement désunis.
L’unité n’est que superficielle. Le pays est jeune, le passé, jamais loin. Les muscles nationalistes se souviennent de tout cela. Pour de nombreux Américains, l’individu souverain est bien plus important que l’État central.
Ce pays est partout fracturé. Villes contre campagnes, Nord contre Sud, Est contre Ouest, zones périurbaines méga-riches et dévalorisées, fractures raciales, etc. Mais au cours de cette campagne, un nouveau front s’est ouvert : celui des femmes contre les hommes. Cette polarisation s’est symboliquement incarnée dès que Kamala Harris s’est lancée dans la course au remplacement de Joe Biden, lorsqu’elle a imposé sa position sur les droits reproductifs des femmes.
À partir de ce moment, Trump a « refondu » son rôle favori, celui du mâle alpha misogyne de l’Amérique. Rendre sa grandeur à l’Amérique : redécouvrons la virilité simple et évidente d’un autre temps.
Il y a une partie du vote qui dépendra de la vie privée. Il existe chez les Américains, comme chez beaucoup d’hommes occidentaux, une insécurité, une perte de repères face à laquelle résonne la virilité outrancière de Trump. La montée du masculinisme se déroule parallèlement à celle de Trump. La fracture est visible parmi les jeunes hommes, parmi les hommes racisés qui, perdant le pouvoir, adhèrent au modèle trumpiste.
Donald Trump n’a même pas besoin de parler. Elle apparaît et fédère une majorité d’hommes. Je ne dis pas que les États-Unis ne sont pas prêts à avoir une femme présidente. Seulement que la guerre des sexes y est insidieuse, et qu’elle a trouvé un débouché politique en 2024.
Et nous ?
Nous aurons suivi cette campagne comme si c’était la nôtre. Nos médias ont couvert le moindre rassemblement, décortiqué les problèmes particuliers de la Pennsylvanie, écouté les cowboys du Wyoming.
Nous avons été interrogés comme si nous avions le droit de voter aux États-Unis. Il est vrai que cette élection aura des répercussions sans précédent et durables sur notre économie et sur la question de l’immigration.
J’aimerais que nous ayons maintenant autant de passion pour NOTRE politique, étant donné ce qui pourrait nous arriver dans quelques semaines ou quelques mois. Approfondissons la politique de Pierre Poilievre, expliquons-nous les enjeux et les choix de l’Alberta, les particularités de la Colombie-Britannique, et même celles du Québec.
La politique américaine est sexy et imprévisible, la nôtre, plate et conventionnelle. Il y a quelque chose d’un peu colonisé chez nous. Ce qui nous attend est certes moins grave pour la planète, mais à notre échelle, ce sera un changement de paradigme important. J’espère que cela nous intéressera tout autant…
Dans quelques heures, nous serons scotchés à nos écrans pour une très longue soirée. Le Québec est très pro-Kamala. Mais bien malin qui pourra prédire le résultat puisque les deux candidats sont au coude à coude. Je pourrais encore prévoir quelque chose de plus trivial que du champagne ce soir…
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