Alarme, citoyens – Le Courrier

Alarme, citoyens – Le Courrier
Alarme, citoyens – Le Courrier

L’histoire est toujours la même. Dans une petite zone, de nombreuses personnes tombent malades sans raison apparente. La plupart du temps, aucune étude approfondie n’est ordonnée par les autorités. Inquiets, les riverains se mobilisent. Ils forment des collectifs, alertent la population, interrogent leurs élus et autorités sanitaires. En vain. Après des années de lutte, plusieurs groupes citoyens ont choisi d’ouvrir un « centre de recherche citoyen » dans leur ville. Un modèle d’établissement original leur permettant de combler le vide scientifique laissé par les autorités sanitaires.

Ces citoyens engagés vivent dans l’Aude, les Alpes, la Loire-Atlantique et l’Île-de-France. Sous leur impulsion et grâce à des subventions publiques et privées, des cotisations des adhérents, des dons, trois centres de recherche éco-citoyens et un observatoire ont ouvert leurs portes en 2023 et 2024. Leurs travaux ne font que commencer : les directions et les scientifiques viennent d’être recrutés ( ou le sera très prochainement), les collèges représentant les différentes parties prenantes (citoyens, politiques, industriels, etc.) sont en cours de finalisation et les locaux viennent d’être occupés. Le centre de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, sera prochainement implanté dans un espace de la mairie annexe de Machecoul-Saint-Mème.

Dans les semaines à venir, des sujets et des protocoles de recherche seront choisis et discutés avec les citoyens. L’objectif : répondre scientifiquement aux questions très matérielles qui émergent sur le territoire. Par exemple, que contient le panache de fumée de l’incinérateur ? Est-ce responsable de l’asthme de mes enfants ?

L’idée est de s’affranchir des contraintes politiques (une échéance électorale, l’actualité économique) et scientifiques (un financement lié à une question particulière) pour garder en vue l’objectif d’une « meilleure compréhension des risques liés aux activités humaines, notamment industrielles et logistiques ». « du territoire, explique Philippe Chamaret, le directeur de l’Institut écocitoyen pour la connaissance de la pollution à Fos-sur-Mer, qui a servi de modèle.

Selon les sujets retenus, les établissements peuvent s’appuyer sur des bénévoles pour collecter les données sur le terrain. “Nous avons commencé à impliquer les citoyens en leur demandant de récolter des lichens dans différents contextes : en zones polluées, urbaines et contrôlées”, explique Muriel Auprince, de l’association Coll’air pur, dans les Alpes, à l’origine du projet éco local. -projet de centre citoyen. Le lichen constitue une sentinelle de choix pour surveiller la qualité de l’air, car il capte et concentre les polluants atmosphériques.

Des données fiables en toute indépendance

« La santé environnementale combine deux domaines complexes, dont chacun a un guichet administratif différent », explique Philippe Chamaret. La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) s’occupe des questions environnementales, tandis que l’Agence régionale de santé (ARS) est chargée des questions de santé. Résultat : les résidents ont du mal à trouver le bon interlocuteur. Comment prouver une pollution quand les chiffres officiels ne sont pas disponibles ? Pire encore, quand il n’est tout simplement pas évalué ?

À l’échelle nationale, seuls vingt-deux départements disposent d’un registre des cancers. « Rarement sont ceux qui possèdent des sites Seveso », estime Viviane Thivent, élue écologiste (opposition) à la mairie de Narbonne et secrétaire de l’institut écocitoyen de l’Aude. A Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, alors que 25 cancers pédiatriques (dont 7 mortels) ont été recensés en quelques années sur un territoire réduit, ces registres n’étaient pas à jour. Faute de foyer épidémique officiel, les investigations des autorités sanitaires ont été abandonnées. Cependant, Santé publique France a identifié des sols saturés en hydrocarbures, une pollution benzénique liée aux rejets industriels et au trafic routier, et enfin une possible exposition au radon, aux champs électromagnétiques et aux pesticides.

L’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale qui vient d’ouvrir en Loire-Atlantique va enfin reprendre les investigations. “Les premières missions à réaliser seront de synthétiser toutes les données scientifiques en notre possession pour déterminer, avec le conseil scientifique, des projets de recherche”, a expliqué à Ouest de la France sa nouvelle directrice, Solenn Le Bruchec. Ensuite, l’institut s’attaquera sans doute aux effets combinés des différentes sources de pollution, a-t-elle précisé.

Des rejets industriels mal maîtrisés

Dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, « l’une des plus polluées de France », le collectif Coll’air pur manque aussi cruellement de données. Il a ainsi créé le centre éco-citoyen pour pallier à cela et mettre fin aux protestations. Depuis huit ans, ce groupe de femmes s’inquiète de la prévalence des pathologies respiratoires et lutte contre la pollution dans un bassin alpin particulièrement vulnérable à l’accumulation de polluants. « Dans la vallée, il y a de tout : l’autoroute qui monte au tunnel du Mont-Blanc, les usines qui rejettent des HAP [hydrocarbures aromatiques polycycliques] et du benzoapyrène, un incinérateur et un chauffage au bois », explique Muriel Auprince.

« Malgré les alertes, les autorités locales ne nous ont jamais pris au sérieux » Muriel Auprince

En 2018, une étude réalisée à la demande du collectif révélait « la présence de métaux toxiques (aluminium, zinc, cuivre, chrome et nickel) dans des proportions alarmantes dans les poussières et de composés organiques volatils soufrés malodorants », ne laissant que peu de doutes. à l’origine industrielle de cette pollution. Après avoir suscité l’indignation de la population, ces résultats ont finalement été minimisés par les autorités, jugeant le protocole imprécis.

Les études suivantes commandées par l’association ont cependant révélé des métaux lourds dans les champignons, des dioxines dans les œufs, des HAP et des benzoapyrènes dans le sol, des métaux lourds et des terres rares dans les cheveux des enfants. « Malgré ces alertes, les autorités locales ne nous ont jamais pris au sérieux », se désespère Muriel Auprince. Avec le centre éco-citoyen et la réalisation de recherches scientifiques dans les règles de l’art, “personne ne pourra nous dire que les résultats ne sont pas corrects !” elle se réjouit.

Renouveler le dialogue

Dans l’Aude, le sujet de la pollution est inflammable tant les secteurs incriminés ou potentiellement touchés sont stratégiques (nucléaire, passé minier, tourisme…). Les premières tensions sont apparues il y a plus de vingt ans. Depuis, le dialogue entre élus et citoyens est rompu. “Les gens ont l’impression d’avoir été trompés, qu’on ne leur dit jamais à quels risques ils s’exposent”, analyse Christelle Gramaglia, directrice du centre de l’Aude qui vient de se créer. “L’institut éco-citoyen constitue une opportunité de renouer le dialogue, il ne peut y avoir de contrôle démocratique des activités industrielles si personne ne se parle.”

L’incident de 2004 à l’usine de raffinage d’Orano Malvési, en périphérie de Narbonne, qui transforme un concentré de minerai d’uranium faiblement radioactif mais nocif à l’inhalation, a particulièrement marqué la population : « Une digue de bassin s’est rompue et a déversé son contenu autour de . C’est ainsi que les riverains ont découvert que ces bassins à ciel ouvert contenaient des minéraux d’uranium, mais aussi des produits issus des tentatives de retraitement de déchets radioactifs déjà utilisés », raconte Viviane Thivent. Les riverains ne connaissaient même pas la nature des activités sur le site.

Les élus « ne veulent pas parler de pollution »

Dans la vallée de l’Orbiel, située à une soixantaine de kilomètres de l’usine de Malvési, la pollution massive à l’arsenic provenant d’une ancienne mine d’or inquiète également les habitants. Mais les élus préfèrent rester discrets. « C’est une région qui a souffert économiquement de la fermeture des mines. Les élus veulent sortir de ce marasme et ne veulent pas parler de pollution », affirme Viviane Thivent. À tel point qu’en 2013, lors du débordement du Sindilla béal – petite rivière parallèle à l’Orbiel –, le préfet a minimisé la contamination à l’arsenic.

Ces événements successifs ont créé dans la région un héritage difficile à surmonter. «Nous présentons les perceptions des riverains comme des préoccupations presque irrationnelles», estime la sociologue Christelle Gramaglia. En plaçant les questions des citoyens au cœur des travaux, les centres de recherches citoyennes s’appuieront sur les alertes des habitants, les meilleurs experts de leurs territoires.

 
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