Dans nos ruisseaux ruraux, les truites et les oiseaux meurent

On le surnomme poétiquement le “ poilu ». L’image est parlante : elle désigne la myriade de petits ruisseaux, ruisseaux et ruisseaux qui serpentent, hirsutes, en amont d’un bassin versant avant de converger vers les plus grands fleuves. Mais derrière cette poésie se cache une réalité inquiétante : les milliers de kilomètres de cours d’eau ruraux se trouvent dans une situation écologique alarmante et qui ne cesse de se détériorer.

C’est ce qu’indique un rapport du WWF (Fonds mondial pour la nature), publié le 22 mai et qui vise à élaborer un “ inventaire de la faune sauvage des eaux françaises ». Inspiré par l’indice “ planète vivante » fait pour le WWF à l’échelle mondiale pour quantifier l’état de la biodiversité, la branche française duONG développé un “ indice des rivières vivantes » afin de mesurer l’évolution de la biodiversité des cours d’eau en France métropolitaine.

Cet indice ne mesure pour l’instant que l’évolution des populations d’oiseaux et de poissons, des travaux sur les insectes, crustacés et autres espèces étant toujours en cours. Il agrège les données existantes sur les 20 dernières années, fournies par l’Office français de la biodiversité, les Agences de l’eau et le programme de Surveillance temporelle des oiseaux communs notamment. Résultat : depuis 2001, l’indice indique une légère baisse, de l’ordre de 0,4 % de biodiversité fluviale.

Assainissement des rivières, dégradation des cours d’eau

Une quasi-stabilité qui s’avère faussement rassurante. “ Le chiffre cache en réalité des situations très contrastéesexplique Yann Laurans, directeur des programmes du WWF France. Parce que les politiques d’assainissement public ont grandement amélioré l’état des grands fleuves français. Sur la Seine, en aval du pont de l’Alma, à Paris, on compte aujourd’hui six fois plus d’espèces que dans les années 1960. »

Cette amélioration masque “ l’effondrement » de la qualité des cours d’eau en milieu rural, dénonce la WWF. Exemple de cet écart : l’évolution des populations “ oiseaux de rivière » (ceux se déplaçant à moins de 100 mètres d’un cours d’eau) indique une baisse de 3,5 % depuis 2001. Mais en se concentrant sur ces oiseaux en milieu agricole, la baisse triple, à – 10,55 %.

© Stéphane Jungers / Reporterre

Pour rendre cet effondrement encore plus concret, leONG a insisté sur la situation catastrophique de deux espèces communes, emblématiques de nos rivières. Tout d’abord, le grèbe huppé, qui se distingue des canards par sa crête ébouriffée, a vu son effectif diminuer de 91,5 % À XXIᵉ siècle. La truite de rivière, quant à elle, a subi une baisse de près de 44 % dans nos rivières en deux décennies.

Les difficultés de ces deux espèces révèlent l’état du milieu : les grèbes aiment les eaux stagnantes et les berges en pente douce. Ils auraient pu subir de plein fouet les sécheresses successives ainsi que le développement des activités humaines sur leur territoire (pêche, baignade, activités nautiques), suggère le WWF. La truite dépend de petits cours d’eau douce, qui ont été “ rectifié »approfondi et élargi, réduisant les habitats disponibles pour l’espèce.

Plus généralement, le rapport pointe deux principaux types de dégradation des rivières qui nuisent à la biodiversité. La dégradation physique d’une part (obstacles à l’écoulement comme les barrages, la dégradation morphologique comme le dragage, la canalisation ou la rectification des cours d’eau, ou encore les prélèvements excessifs, pour l’irrigation par exemple) et la dégradation chimique d’autre part, c’est-à-dire principalement liées à l’agriculture (pesticides, phosphates, nitrates) ainsi qu’aux micropolluants industriels.

© Stéphane Jungers / Reporterre

Les pesticides qui polluent les cours d’eau constituent un point de tension particulièrement important. Nous en consommons toujours autant aujourd’hui qu’en 2009, souligneONGloin de l’objectif de réduction de 50 % fixé pour une décennie par le Grenelle de l’Environnement. La présentation, début mai, du nouveau plan Ecophyto du gouvernement ne laisse présager aucune amélioration en la matière puisqu’il introduit un changement d’indicateur, très contesté pour sa propension à réduire artificiellement l’usage des pesticides.

La politique agricole, qui favorise l’intensification, est également à l’origine d’un arrachage toujours plus massif des haies en milieu rural, qui incluent notamment les haies bordant les cours d’eau, que l’on appelle forêts riveraines et qui jouent un rôle crucial pour la biodiversité de ces milieux. Or, selon le rapport, la suppression des haies est passée de 10 400 km de moins par an, entre 2006 et 2014, à 23 500 km par an en moyenne entre 2017 et 2021. Le drainage des terres s’est également fait au détriment des zones humides, dont la moitié a disparu. entre 1960 et 1990, rappelle le rapport.

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Tout cela contribue au fait que les masses d’eau de surface jugées en “ bonne condition » n’a augmenté que de 41,4 % d’eaux à 43,1 %, de 2009 à 2019 en France. Même si l’objectif français, inspiré de la directive-cadre européenne sur l’eau, était d’atteindre 100 % en bon état en… 2015. “ L’objectif a été repoussé à 2021 puis une nouvelle dérogation a été faite pour 2027 mais nous n’y serons pas. Nous devons sérieusement remettre en question notre politique de l’eau »insiste Yann Laurans.

LE WWF souligne l’écart entre la situation actuelle et les sommes considérables d’argent public englouties au cours des 20 dernières années pour la politique de l’eau, qu’il estime à 500 milliards d’euros. “ Un effort considérable, que nous saluons, mais qui ne suffit pas. »

Exemple des carences des pouvoirs publics : l’objectif pris lors de la Conférence de l’eau de restaurer 25 000 km de cours d’eau est resté sans suite, déplore l’association. Même si l’objectif était assez modeste, au regard des près de 430 000 km de rivières officiellement recensés en France. Le plus grand réseau de voies navigables d’Europe.

L’indispensable transition agricole

“ On vide l’océan avec une cuillère à café », soupire Yann Laurans. En plus de réaffirmer, a minima, cet objectif de restauration à grande échelle des cours d’eau, le WWF plaide pour repenser la fiscalité de l’eau, pour appliquer véritablement le principe “ pollueur payeur ». L’ONG demande également une systématisation de la protection des zones humides et un plan national de protection et de restauration des prairies permanentes, qui contribuent à ralentir et à assainir le cycle de l’eau.

Mais l’essentiel de l’effort passera nécessairement par l’agriculture. Pour contribuer à replanter les haies (et non plus les détruire), réduire l’usage des pesticides, protéger les prairies, les zones humides et les étangs, il faut une trajectoire ambitieuse de déploiement des Paiements pour Services Environnementaux, estime le WWF.

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Sans oublier la manne financière, et le levier massif de changement dans les pratiques, que constitue l’argent de la Politique Agricole Commune Européenne : “ Il convient de mieux allouer les plus de 9 milliards d’euros qui sont alloués chaque année aux 400 000 bénéficiaires du CASQUETTE »en soutenant davantage l’agriculture biologique et les pratiques vertueuses, souligne le rapport.

La France, largement autonome dans sa manière d’utiliser l’argent européen CASQUETTE, ne prend pas pour l’instant la voie d’une bifurcation écologique radicale. La loi d’orientation agricole, actuellement débattue à l’Assemblée nationale, inquiète beaucoup les associations écologistes. À l’abri “ simplification » Administratif pour les agriculteurs, le projet de loi réduit les risques juridiques en cas de taille illégale des haies et est accusé de faciliter leur arrachage ainsi que de limiter considérablement les possibilités de recours contre les projets de mégabassins. Autant d’initiatives contradictoires avec l’idée de préserver notre “ rivières vivantes ».

 
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