« À Gaza, les humanitaires ne sont pas des héros, mais des victimes »

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Les victimes gisent près des décombres de l’hôpital Al-Shifa, touché par les opérations israéliennes dans le nord de Gaza.

CLÉ DE VOÛTE

De retour de Gaza, Marie-Aure Perreaut Revial, coordonnatrice des urgences de Médecins sans frontières, dénonce les attaques systématiques contre les travailleurs humanitaires, quelques jours seulement après la mort de sept employés de World Central Kitchen. Entretien.

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5 avril 2024 – 14h00

« Les humanitaires sont devenus des cibles, au même titre que les civils », déclare Marie-Aure Perreaut Revial, coordinatrice d’urgence de Médecins sans frontières, revenue de Gaza la semaine dernière.

Lundi, une frappe israélienne a tué sept employés de World Central Kitchen. L’ONG livrait de la nourriture dans la bande de Gaza, où 1,1 million d’habitants sont confrontés à une famine imminente. Un incident qui intervient dans un contexte d’entrave à l’aide humanitaire sur le territoire palestinien.

Médecins sans frontières (MSF), qui déploie environ 400 collaborateurs à Gaza, a dénoncé jeudi des attaques répétées contre son personnel lors d’une conférence de presse à Genève. Depuis octobre, au moins 196 travailleurs humanitaires ont été tués dans l’enclave palestinienne, dont cinq employés de MSF. Selon le ministère de la Santé du Hamas, plus de 33 000 personnes y sont mortes. L’ONU estime qu’environ 70 % des victimes sont des femmes et des enfants.Lien externe. De retour à Genève, Marie-Aure Perreaut Revial, coordinatrice d’urgence de Médecins sans frontières, raconte à SWI son quotidien et celui de ses équipes.

SWI swissinfo.ch: Vous avez travaillé pour MSF en Éthiopie, au Congo, au Pakistan, au Soudan… En quoi Gaza diffère-t-elle de vos régions précédentes ?

Marie-Aure Perreaut Revial ​​: La souffrance humaine est présente dans chaque mission et ne peut être comparée. Cependant, en tant que coordonnateur d’urgence, je n’ai jamais eu autant peur pour mon équipe. Chaque fois que le téléphone sonne, je retiens mon souffle à l’idée d’avoir perdu un nouveau collègue. Cette anxiété permanente est spécifique à Gaza, où les humanitaires sont devenus des cibles, au même titre que les civils.

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Marie-Aure Perreaut Revial ​​​​est coordinatrice d’urgence pour Médecins sans frontières à Gaza.

MSF/Julien Dewarichet

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a qualifié lundi les frappes qui ont tué sept travailleurs humanitaires de World Central Kitchen (WCK). “involontaire”, mais selon MSF, il s’agit d’une attaque délibérée. Qu’est-ce qui vous pousse à déclarer cela ?

Les collaborateurs de WCK, avec lesquels nous avons travaillé en étroite collaboration, ont été clairement identifiés. Leur voyage a été coordonné avec l’armée israélienne et leurs identités ont été connues. Cette procédure est suivie par tous les travailleurs humanitaires, y compris MSF : nous partageons en permanence nos coordonnées GPS et notifions chaque mouvement. Si nous mourons à cause d’un missile, personne ne pourra dire que c’était une erreur.

Or, les hôpitaux dans lesquels nous opérons, nos convois, mais aussi les abris dans lesquels nous dormons sont constamment visés. Après la destruction de l’hôpital Al-Shifa, au nord de Gaza, c’est désormais l’hôpital Al-Aqsa, où travaille MSF, qui est touché par les frappes israéliennes. Au cours des six derniers mois, près de 200 travailleurs humanitaires ont été tués à Gaza, dont cinq de MSF. À une telle échelle, ces attaques sont soit intentionnelles, soit révélatrices d’une dangereuse incompétence.

Sur place, vous vous coordonnez avec les organisations palestiniennes, comme le Croissant-Rouge palestinien. Quels contacts entretenez-vous avec les acteurs israéliens ?

Il n’existe aucune ligne de contact avec l’armée israélienne, ce qui est sans précédent par rapport aux conflits dans lesquels nous opérons habituellement. Nous sommes donc obligés de passer par des contacts tiers, ce qui complique considérablement la gestion de notre sécurité. Quant à la présence humanitaire israélienne à Gaza, elle est inexistante.

Depuis l’attaque, World Central Kitchen et plusieurs autres organisations ont suspendu leurs activités à Gaza. Et MSF ?

Pour l’instant, nous maintenons nos capacités opérationnelles à Gaza, mais nous réévaluons constamment notre présence. En novembre, nous avons tenté de déterminer les limites de la présence de notre personnel international. Aujourd’hui, toutes ces lignes rouges ont été franchies.

Il n’existe aucun espace sûr permettant aux humanitaires d’effectuer leur travail à Gaza. C’est quelque chose que je n’ai jamais vécu dans ma carrière. Nous nous demandons constamment : quel hôpital sera le prochain bombardé ? Aller à Gaza signifie accepter la possibilité de ne pas revenir.

Dans ces conditions, l’aide humanitaire peut-elle réellement continuer dans l’enclave ?

La question n’est pas de savoir si cela peut continuer, mais si cela peut commencer. Après six mois d’intervention, nous n’avons pas réussi à soulager les civils. L’ampleur de la crise est trop grande. Aucun système de santé au monde n’a la capacité de faire face à un tel carnage.

La réponse humanitaire à Gaza aujourd’hui est donc une illusion. Nous ne pouvons pas atteindre nos patients sans être attaqués. À Gaza, les travailleurs humanitaires ne sont pas des héros, mais des victimes.

La communauté humanitaire accuse Israël de contourner les Nations Unies et les organisations internationales, notamment en démantelant l’UNRWA, pour mettre en place un système de livraison parallèle, sous contrôle israélien. Est ce que tu vois ça?

En effet, Israël rejette l’ONU mais aussi toutes les organisations internationales. Plusieurs donateurs, dont la Suisse, ont suspendu leur financement à l’UNRWA, qu’Israël accuse de complicité dans les crimes perpétrés par le Hamas. Pourtant, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens constitue l’épine dorsale de la société à Gaza. Il garantit des services de base, tels que la distribution alimentaire, l’accès aux soins de santé ou encore la gestion des déchets et des égouts. Il est tout simplement impossible de le remplacer, d’autant plus qu’aucune aide israélienne n’arrive à Gaza, malgré les affirmations des autorités.

La communauté internationale en fait-elle assez pour protéger les travailleurs humanitaires ?

Absolument pas. Les conditions de travail à Gaza sont sans précédent. Tous les établissements de santé de Gaza où je travaillais en novembre dernier ont dû être évacués. Malgré cela, et la mort de près de 200 travailleurs humanitaires, nous n’observons ni indignation de la part de la communauté internationale, ni appel à des enquêtes indépendantes pour déterminer les responsabilités, y compris en ce qui concerne les attaques. qui a ciblé et tué des employés de MSF.

À ce jour, la résolution du Conseil de sécurité en faveur d’un cessez-le-feu approuvée le 27 mars est restée inefficace. Sur le terrain, voit-on espérer qu’elle soit appliquée ?

La résolution du Conseil de sécurité de l’ONU est arrivée trop tard et n’a toujours pas été appliquée. Ce ne sont que des mots sur le papier, alors qu’à Gaza, les bombes pleuvent encore. Les actions n’ont pas suivi. À tel point que dans l’enclave, beaucoup disent que les plus chanceux sont ceux qui sont déjà morts.

Le droit international devient-il donc, à vos yeux, une coquille vide ?

Malheureusement, c’est là le problème majeur qui surgit en arrière-plan du conflit. On ne compte plus le nombre de violations flagrantes du droit international documentées à Gaza. Cette guerre est menée sans règles et au mépris total du droit international, de sorte que les crimes de guerre sont banalisés. Tant que l’impunité persistera, la crédibilité tout entière mais aussi l’avenir du droit international seront mis en doute.

Relu et vérifié par Virginie Mangin/livm

 
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