Comment le changement climatique pousse les requins et les raies à migrer vers le nord

Comment le changement climatique pousse les requins et les raies à migrer vers le nord
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Chaque année depuis 24 ans, des équipes de scientifiques irlandais, écossais, anglais et français partent à la rencontre des requins et des raies dans les mers européennes. En tant que chercheur en écologie fonctionnelle, j’ai pu rejoindre ces navires qui sillonnent les eaux pour tenter de retrouver, dans les mêmes zones que l’année précédente, les espèces identifiées par le passé.

Mais année après année, les requins et les raies manquent : ils se déplacent en effet plus au nord ou plus profondément, là où les eaux sont plus froides, en raison du changement climatique.

Un constat qui surprend autant qu’il alarme. On a longtemps pensé que les raies et les requins pouvaient s’acclimater au réchauffement des températures, car ils étaient capables de survivre à des périodes passées où les concentrations atmosphériques de CO2 étaient plus élevés qu’aujourd’hui.

Les migrations des raies et des requins (regroupés au sein des élasmobranches, poissons cartilagineux dotés de cinq à sept fentes branchiales) ont également été beaucoup moins documentées que celles des autres poissons marins. De ce fait, ces nouvelles migrations observées sont donc préoccupantes, voire inquiétantes, car ces espèces jouent un rôle crucial pour leur écosystème.

Comment évaluer les migrations des requins et des raies ?

Pour faire ce constat, un échantillonnage des populations de 61 espèces de requins et de raies a été réalisé. Cela se fait à l’aide d’un chalut de fond, un type de filet de pêche conçu pour capturer les poissons et autres organismes marins vivant à proximité ou sur le fond de l’océan. Ce filet, en forme de cône ou de sac, est équipé de dispositifs de capture tels que des panneaux qui traînent le long du fond marin. Pour ma part, j’ai participé aux campagnes de suivi des pêcheries de l’Ifremer à bord du navire océanographique Thalassa, en mer Celtique. Pendant 25 jours, un chalut de fond a été lancé quotidiennement pendant des périodes de 20 à 30 minutes.

Ray Leucoraja naevus mesuré.
Matteo Flament, Fourni par l’auteur

Lorsque le filet est relevé, les raies et les requins sont séparés, triés selon les espèces puis placés dans des bassins oxygénés. En observant la présence ou l’absence de ptérygopodes, c’est-à-dire les organes servant à la transmission des spermatozoïdes, on les sépare ensuite par sexe, on pèse les individus avant de les remettre à l’eau. Toutes ces mesures permettent d’avoir des informations sur les migrations et sur les réponses des espèces à la pêche et au changement climatique. A noter qu’il pourrait être opportun, à l’avenir, d’ajouter à tout cela la réalisation d’échographies de femelles au protocole afin de faciliter l’étude de la variation de taille à maturité dans le temps. Informations d’une importance cruciale pour l’établissement des tailles de capture autorisées.

Requin Scyliorhinus canicula avec œufs.
Leelou Chouteau

Comment la migration vers le Nord peut avoir un impact sur le renouvellement générationnel

Une fois réalisé, que pourrait permettre d’observer ce prélèvement ?

Sur neuf espèces de raies et de requins étudiées au cours des 24 dernières années, six se sont déplacées vers le nord-est ou vers des eaux plus profondes et plus froides. On observe ainsi des espèces, autrefois présentes à 20 mètres de profondeur en Manche, évoluant désormais jusqu’à 50 mètres de profondeur en mer du Nord. C’est le cas par exemple de la petite roussette qui s’éloigne des côtes, sites autrefois privilégiés pour la ponte et la vie des jeunes individus. Un mouvement sans précédent qui pourrait allonger le temps de renouvellement d’une génération par la suivante car le temps de développement des embryons est plus long en profondeur que sur le littoral. Cette perspective est d’autant plus inquiétante que cette espèce est déjà connue pour son cycle de vie lent.

On observe également chez d’autres espèces de requins, comme l’aiguillat commun (Squalus acanthias) des mouvements inattendus pouvant suggérer une plus grande sensibilité à l’augmentation de la température et à des facteurs pouvant agir simultanément, tels que la pêche ou la dégradation de l’habitat.

Des migrations qui ont des répercussions sur l’écosystème

Ces migrations sans précédent ne sont pas non plus sans effets sur l’ensemble de la chaîne alimentaire et sur l’écosystème. Les raies et les requins occupent désormais une position inférieure dans la chaîne alimentaire de la mer du Nord. Cette altération est principalement imputable à l’expansion d’un habitat favorable au cornet tacheté, un requin de taille moyenne qui se nourrit de crustacés et occupe donc une position relativement basse dans la chaîne alimentaire.

Alors que les observations de cette espèce dans le sud de la mer du Nord étaient limitées jusque dans les années 1980, son abondance a ensuite augmenté de façon exponentielle après 2000, en étroite relation avec le réchauffement favorable de la surface de la mer. . Cette colonisation pourrait donc induire des déséquilibres dans l’ensemble de la chaîne alimentaire, depuis les producteurs primaires (ie phytoplancton) jusqu’aux grands prédateurs comme les mammifères marins, et ainsi conduire à des altérations potentiellement irréversibles des écosystèmes.

Appliquer un principe de précaution

Chaque espèce est en effet capable de résister à une plage de température particulière, c’est ce qu’on appelle son habitat favorable. Lorsqu’une espèce se trouve à la limite de cette aire de répartition, elle se déplace jusqu’à trouver un habitat plus favorable.

Ici, même si l’habitat de certaines espèces ne leur est plus favorable, détecter leurs déplacements peut s’avérer complexe. Par exemple, la raie fleurie occupe un habitat situé à la limite géographique de la zone couverte par les campagnes scientifiques, soulevant ainsi la question de la possibilité que la zone d’étude ne soit plus propice à la détection. Cette situation suscite donc des inquiétudes quant à notre capacité à suivre les espèces des grands fonds sans modifier notre périmètre de recherche.

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De plus, seules neuf espèces ont pu être étudiées car elles sont fréquemment rencontrées lors des campagnes scientifiques de chalutage de fond. Cependant, il est important de noter que les tendances observées pourraient également être pertinentes pour d’autres espèces partageant des contraintes d’habitat similaires, notamment celles actuellement menacées d’extinction.

Il semble donc raisonnable de considérer que les espèces côtières, qui abritent une gamme d’habitats plus restreinte que la plupart des espèces, comme la raie mixte (Raja microocellata) ou la raie brune (Raja ondulé), ont également été touchés par le changement climatique en raison de leur faible flexibilité écologique. Cette caractéristique les rend particulièrement vulnérables.

Les élasmobranches en danger

Dans l’Atlantique du Nord-Est, près de la moitié des requins et des raies, soit 56 espèces sur 136, sont actuellement menacées d’extinction en raison des prises accessoires de la pêche et de la perte et de la dégradation de leur habitat. Les dangers liés à la pêche pourraient être amplifiés par les effets du changement climatique, qui tend à intensifier la puissance et la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes.


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Ces événements météorologiques peuvent avoir un impact dévastateur sur les jeunes stades de vie des espèces à cycle de vie lent, perturbant considérablement la dynamique de leurs populations. Étant une espèce clé pour le fonctionnement des écosystèmes, dangereusement vulnérable tant au changement climatique qu’à la pêche, une révision urgente des mesures de gestion actuellement en place serait nécessaire afin de préserver le fonctionnement et l’équilibre des écosystèmes.

 
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