Même ferveur de la part de ce couple de français qui mitraille la vitre : « Nous l’avons découvert par hasard en découvrant la ville. Nous connaissions tous Tintin. Chez mes parents, il y a toujours tous les albums et on a vu les dessins animés. Mais dans leur sac, aucun souvenir du journaliste ou de Milou malgré leur passage au magasin. Et c’est tout le défi auquel Tintin a dû faire face ces dernières années.
Nous avons rendu visite à plusieurs libraires pour savoir si « Tintinmania » existait encore.
« Conserver l’œuvre d’Hergé »
Premier arrêt au Multi BD, sur la zone piétonne de Bruxelles. Bernard, également gérant de la librairie spécialisée évidemment bien nommée « Moule à Gaufres », a toujours en stock au moins deux exemplaires de chaque tome de Tintin. « J’en vends peut-être 5 000 par an. Au Congo, Chez les Soviétiques, le Lotus Bleu ou encore le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge pour le film. Boule et Bill, j’en vends une cinquantaine. Tintin a quelque chose d’héritage.
La tombe de la mère du « Capitaine Haddock » classée monument historique
Le libraire le compare à un autre poids lourd belge : Les Schtroumpfs. “Les deux titres ont suivi des trajectoires différentes. Déjà, pour les Schtroumpfs il y a toujours l’actualité, contrairement à Tintin.» IMPS/Lafig, qui gère les droits des petits hommes bleus, «J’ai vendu la licence partout pour en faire un produit familial. Tintinimaginatio cherchait davantage à défendre et à préserver l’œuvre d’Hergé. Les deux modèles sont bons mais, comme on peut le constater, un touriste repart avec un cadeau des Schtroumpfs et avec un des 24 tomes de Tintin.
Concernant la clientèle belge, le constat est plus amer : «Un Belge n’achète plus jamais un volume pour lui-même. Soit il achète des livres qui parlent de l’histoire de Tintin, mais plus les tomes originaux. S’il en achète une, c’est pour la montrer à ses enfants ou petits-enfants. Le monde de la bande dessinée évolue, nous ne sommes pas là pour défendre tel ou tel titre mais avec de l’heroic fantasy, des bandes dessinées, puis des mangas… Tintin n’a pas de téléphone portable. Cela peut paraître dépassé aujourd’hui pour certains. Mais depuis 10 ans, les ventes ne baissent pas. Et les produits dérivés de Tintin ne sont cependant pas sans reste. Ils sont de qualité et intéressent aussi bien les collectionneurs que les personnes moins averties. Avoir une belle fusée dans son salon peut plaire à tout le monde.
“Je ne pouvais pas me permettre de ne pas avoir ça sur mes étagères.”
Même commentaire à la Maison de la Bande dessinée à Bruxelles-Central. “Vous n’avez pas de bandes dessinées en portugais ? » demande un client. “Oui, j’ai Tintin”, Jean-Philippe répond fièrement derrière le comptoir. Les étagères surplombées par Milou sont toujours pleines de touristes. « Nous avons des volumes en hindi, en russe et en ukrainien. C’est historique, connu dans le monde entier, traduit dans plus d’une centaine de langues. Mais Jean-Philippe attend de voir pour la suite. “Il y a des jeunes qui lisent Tintin avec leurs parents mais dans les nouvelles générations, le manga envahit tout donc il faut voir quand la génération qui a vu naître Tintin sera partie si les générations suivantes prendront le relais.
Plus farfelus, à Uccle dans la librairie Bleus d’encre de Claude Aronis, sont vendus Capitaine Haddock, les Dupond et Dupont ou Tournesol »toujours pas mal. Ce ne sont pas les plus vendus mais nous les vendons toute l’année. Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas me permettre de ne pas l’avoir sur mes étagères. » preuve s’il en fallait une de plus que l’univers d’Hergé n’est pas près de se perdre.
Quittons la région capitale et sa concentration touristique pour aller à Mons. Chez Ligne Claire, librairie spécialisée dans la bande dessinée et particulièrement dans l’univers de Tintin, «il reste un classique indémodable dans la communauté des fans de comics mais cette communauté est en fort déclin de manière générale. Les ventes diminuent donc au fil des années. Comme les vrais fans de Tintin possèdent généralement tous les albums, ils n’en rachètent aucun. Mais la librairie voit toujours le retour de « vieux nostalgiques » qui achètent pour eux-mêmes.
75 BD Hergé proposées aux enchères à Paris : Quick et Flupke, Jo, Zette et Joko ainsi que Tintin
« Nous en avons vendu quelques-uns. Pas beaucoup »
La succession, comme l’ont souligné nos interlocuteurs, est loin d’être assurée. Même pour le petit-fils d’un libraire. Philippe, à la tête de Gastu Press depuis 21 ans à Gastuche (Grez-Doiceau), a observé ceci : «J’ai parlé de Tintin à mon petit-fils qui a 9 ans et, Tintin, il ne sait pas. Si le reporter a toujours une place d’honneur dans le magasin, en cette période de fête, il a du mal à vendre : « OIl en a vendu quelques-uns. Pas beaucoup. Ce ne sont plus de grosses ventes contrairement à Astérix qui sort un nouvel album tous les deux ans. Le dernier Astérix, on en a vendu 170 à 180. Tintin, comme il n’y a pas de nouvel album, on en vend beaucoup moins.
Une fois de plus, c’est la génération Tintin qui le sauve : «À la fin de l’année, Casterman (l’éditeur) s’est mobilisé pour la sortie d’un album recoloré. Ils remettent tous les Tinitins dans les rayons et la semaine prochaine, le 8 janvier, sort la nouvelle version recolorée du Lotus Bleu. J’ai déjà quelqu’un qui est passé le chercher ce matin même s’il n’est pas encore en magasin. La page Tintin est encore loin d’être tournée mais elle risque de se refermer après… 77 ans.