Elle raconte l’inceste et la levée de l’amnésie traumatique dans un livre à portée universelle

Elle raconte l’inceste et la levée de l’amnésie traumatique dans un livre à portée universelle
Elle raconte l’inceste et la levée de l’amnésie traumatique dans un livre à portée universelle

Laure Martin écrit et parle « pour toutes les victimes » de violences sexuelles, incestueuses ou non. Comme beaucoup d’entre eux, il a fallu beaucoup de temps, beaucoup de temps pour pouvoir le faire, sous forme d’un livre autobiographique, « mes pieds nus frappent le sol » (1), dans lequel il raconte l’inexprimable (Inceste). par son grand-père, puis un viol) aux mots crus mais d’où émerge néanmoins une certaine poésie percutante.

« J’ai beaucoup pratiqué le Slam, à Paris, il y a vingt ans et j’ai gardé le style très direct dans l’écriture. C’est un format qui me convient, moins intellectuel, moins élitiste que d’autres », explique celle qui écrit « a toujours », des autofictions, des textes militants, sur les violences faites aux femmes. Il lui aura fallu 30 ans pour pouvoir coucher sur papier ce « récit de l’émancipation », dont le sujet principal n’est pas l’inceste en soi, mais « comment la violence sexuelle vous place dans un statut d’objet ». Pendant des années, des décennies, parfois une vie.

« Pas un cas isolé »

«J’aimerais être un garçon. J’aimerais qu’on me bouche, qu’on bouche mon trou avec du plâtre », écrit l’enfant Laure qui trouvera son salut dans l’éloignement d’une famille toxique, aussi violente physiquement que psychologiquement.

Enfant placée à 15 ans, adolescente suicidaire, elle deviendra une adulte curieuse de tout (elle a travaillé dans des ONG et dispense aujourd’hui pour des conseils de formation en entreprise). « J’ai beaucoup voyagé et fait de nombreuses rencontres, ce qui m’a permis de comprendre petit à petit que je n’étais pas un cas isolé », explique celle qui n’a découvert que récemment le volet sombre de sa propre histoire. Quand son amnésie traumatique s’est progressivement accrue.

Ma première hypothèse était que je devenais fou

Adolescente, elle a souffert de graves crises d’angoisse accompagnées de convulsions. Puis à 25 ans, elle a eu « l’impression d’être la parfaite femme libérée », maîtresse de son corps… un temps. « En 2018 j’ai commencé à avoir des flashs, des images accompagnées d’odeurs et de sensations corporelles. Il y a un cognitif avant le sensoriel. Ma première hypothèse, c’était que je devenais fou… »

L’horreur du déni des proches

En 2019, la famille (Laure Martin compte aujourd’hui trois garçons, dont des jumeaux) s’installe à Artiguelouve, près de Pau, au bord du Gave. Calme.

« Au commissariat, le policier dit qu’on ne peut pas porter plainte contre un mort. »»

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«J’étais enceinte de notre troisième enfant et ici, quelque chose a été écarté. Les thérapies mais surtout le temps ont fait leur effet. Enfin. Trop tard ? L’inceur papi est mort depuis sept ans déjà.

« Au commissariat, le policier dit qu’on ne peut pas porter plainte contre un homme mort et me donne le dépliant d’une association pour qu’on l’écoute », écrit Laure Martin. Je ne veux pas parler. […] Je veux faire de mon enfance et de la vie qui m’accompagne. L’inceste réécrit tout. Il manquait des pans entiers du film de mon enfance. On m’a dit que j’étais une victime, mais personne ne m’a dit que je n’y étais pas pour rien », écrit-elle pourtant.

Son livre, bien plus qu’un témoignage sur l’errance sociale, l’errance médicale, l’horreur du déni des proches, est aussi un message universel que la mère, aujourd’hui âgée de 42 ans, porte : « Nous sommes des millions à vivre ça, l’inceste et le sexuel. la violence touche toutes les couches de la société (NDLR : Laure Martin est issue d’un milieu facile). Nous savons partout. »»

Pourtant, la « libération de la parole », aussi importante soit-elle, est insuffisante à ses yeux. « Tout le monde veut éradiquer les violences sexuelles. Il y a beaucoup de mots, mais aussi peu de moyens alors qu’ils représentent un coût faramineux pour l’État ! Pour la santé des victimes, la santé mentale, pour les auteurs la justice, la prison… »

Justice restauratrice

Outre la prise en charge et la protection des victimes sur laquelle la a encore un retard conséquent sur son voisin espagnol par exemple, certaines pistes comme les cercles de parole entre agresseurs ou les cercles de réparation (justice réparatrice) sont encore trop peu explorées. Et au-delà de la question des violences sexuelles en elles-mêmes, l’idée de domination masculine est toujours ancrée dans les mentalités.

« Mettre des mots qui libèrent est une chose, permettre une prise de conscience collective en est une autre… » Laure Martin y amène son écot, par son livre bien sûr mais aussi, elle l’espère, via les rencontres qu’elle entend bien se multiplier. « Si cela permet à deux enfants d’aller mieux, à un enfant d’être protégé, ce sera gagné. »»

(1) « Mes pieds nus touchent le sol », éd. Double ponctuation, 18 euros. Laure Martin sera le 7 février à 18h30 à l’Escapade à Oloron-Sainte-Marie, le 15 février de 10h à 18h à la Cultura de Lescar (quartier Libre) ou encore le 19 février à 19h Plume à Pau.

 
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