Le commandement des frontières du Maroc, établi à Agadir, administrait les régions sahariennes du sud d’Agadir, du Drâa, d’Oued Noun, du nord de l’actuelle Mauritanie, jusqu’à Boujdour. A l’Est, le commandement d’Agadir comprenait, en Algérie, Tindouf, Tabelbala et le nord de Touat. Le commandement a été officiellement supprimé à la suite d’une série de délibérations administratives et politiques aux plus hauts niveaux de France.
Ce commandement, créé pendant la période coloniale pour gérer les zones frontalières sensibles, notamment face aux revendications territoriales et aux problèmes de sécurité, était considéré comme un vestige de l’administration française dans la région. La suppression de cette entité marque une étape cruciale dans la transition vers l’indépendance et la souveraineté des nouveaux États, notamment celui du Maroc, qui vient d’obtenir son indépendance en mars 1956.
Cette décision a été prise lors d’une réunion stratégique au bureau de Latour, alors en poste au ministère des Affaires marocaines et tunisiennes. La réunion décisive s’est tenue après une importante séance interministérielle du 22 septembre 1956, consacrée à la suppression du commandement des frontières algéro-mauritaniennes-marocaines.
Les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) conservent de précieuses traces de ces échanges administratifs et politiques. Ces archives, regroupées notamment dans le Fonds Ministériel 1AFFPOL/905, offrent un aperçu détaillé des préoccupations stratégiques et des enjeux territoriaux de l’époque.
Parmi les documents clés figure une lettre datée du 30 septembre 1954, adressée par le ministre des Affaires marocaines et tunisiennes au ministre de l’Outre-mer de la France, sous la référence 744. Cette correspondance officielle a mis en lumière les incertitudes politiques entourant la transition post-coloniale, soulignant les craintes liées à l’émergence de revendications indépendantistes et les difficultés logistiques qu’impliquerait une redistribution des compétences administratives. Elle a également évoqué la nécessité de maintenir une coopération étroite entre les gouvernements régionaux et l’administration centrale pour garantir la sécurité des frontières. Par ailleurs, ce document a fait état des conflits territoriaux latents, notamment ceux entre les futurs États indépendants du Maghreb, et a posé les bases d’une réflexion stratégique sur les modalités de gestion des espaces disputés. Elle soulève enfin des questions concernant la gestion des ressources naturelles de ces régions, notamment les réserves pétrolières et minières du Sahara, qui suscitent déjà un intérêt marqué auprès des décideurs politiques et économiques.
Étaient présents à cette réunion : Briand pour le ministère de l’Outre-mer, Rosier pour le ministère de l’Intérieur, Casset pour les Territoires du Sud, le gouvernement général de l’Algérie, le colonel de Fürst et Baudouy pour la Résidence générale au Maroc, Latour et Guena du Ministère des Affaires marocaines et tunisiennes, sans oublier les représentants de l’état-major spécial de la Défense Nationale.
Les pressions politiques dues à la montée du nationalisme marocain et le projet français de renforcer la colonie de Mauritanie ont été à l’origine de cette décision de supprimer le commandement des frontières d’Agadir qui contrôle les territoires jusqu’au 26ème parallèle. Le représentant du ministère des Outre-mer, Briand, a donné l’explication suivante, qui ne cache pas sa vision hostile à l’égard du Maroc : «La sécurité existe et la Mauritanie peut prendre la responsabilité du maintien de l’ordre sur son territoire ; il est regrettable de laisser perdurer dans l’esprit des tribus nomades de Mauritanie l’ambiguïté politique de l’allégeance au Maroc ; enfin (et dans la perspective des négociations avec l’Espagne), pour l’évacuation du minerai de fer de Fort-Gouraud, il serait souhaitable que l’AOF soit, en ce qui la concerne, seule responsable des relations avec les Espagnols de Rio. de Oro, afin d’éviter des frictions lors de ces négociations (incident de Tefariti)» (ANOM, Fonds Ministériel 1AFFPOL/905, Actes de la réunion relative à la suppression du commandement frontalier algéro-mauritanien-marocain, pp. 3-4.).
L’OCRS et la question des frontières et territoires marocains
Le projet d’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) voit officiellement le jour avec la promulgation de la loi du 10 janvier 1957. Cette organisation vise à préserver les intérêts économiques et stratégiques de la France dans les régions sahariennes, riches en ressources naturelles. . . L’OCRS a été imaginée comme un instrument de gestion centralisée et de coordination administrative, regroupant plusieurs territoires sahariens sous une même entité politico-économique, indépendamment des frontières établies entre les colonies.
Dès 1956, un an avant l’adoption de cette loi, le Maroc, nouvellement indépendant, avait été prévenu de ce projet par les autorités françaises. Ce dernier avait contacté Rabat dans l’espoir de trouver une solution concertée à la délimitation des frontières dans les zones sahariennes. Cette approche, bien qu’apparemment diplomatique, dissimulait des intentions stratégiques visant à consolider l’influence française dans des régions où les ressources minières et pétrolières constituaient un enjeu majeur.
Le Maroc, tout en affichant une volonté de coopération prudente, a rapidement perçu les ambiguïtés de ce projet. Il voit dans l’OCRS une voie détournée permettant à la France de maintenir sa présence économique et militaire dans une région clé, malgré les progrès des processus de décolonisation. En conséquence, les discussions entre les deux parties ont révélé des différences fondamentales : tandis que la France cherchait à institutionnaliser le contrôle transnational des ressources du Sahara, le Maroc exigeait la restauration de ses frontières historiques et de sa souveraineté territoriale sur ces régions.
Une note écrite pour le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Ahmed Belafrej, le rappelle : «Cette question a été posée avant même la déclaration et le protocole du 2 mars 1956 et M. Ahmed Belafrej l’a soulevée à nouveau, à Paris, au cours de l’été 1956 et à plusieurs autres occasions. La proposition de convoquer une commission chargée d’étudier la question des frontières et de procéder à leur délimitation a été acceptée en principe. L’étude de cette question apparaît de plus en plus urgente et nécessaire. En recevant le texte de loi susvisé, le Ministre ne peut que renouveler les réserves exprimées dans ses notes des 8 et 28 août concernant la désignation « territoire français » de certaines régions couvertes par la loi susvisée. (ANOM, Aix-en-Provence, Fonds Ministériels, 1Affpol/2321, Empire Chérifien, Ministère des Affaires Etrangères, Rabat, 4 mars 1957).
Le projet de relier Tindouf à l’Atlantique était une priorité. La session de 1958 s’est tenue en présence de Mauritaniens et de Nigériens et avec la participation de François Mitterrand, sous l’adage : «Celui qui a la force économique a la force politique« . Et le rapport précise : «On verra à ce moment-là, la part qui doit revenir à chacun, mais il faut d’abord travailler ensemble» (ANOM, Aix-en-Provence, Fonds Ministériels, 1Affpol/2321, Procès-verbal, Séance inaugurale de l’OCRS, Paris, 21-24 janvier 1958).
L’empire qui n’a pas pu atteindre l’Atlantique
Héritier de l’empire colonial français, l’Algérie n’a cessé de recourir à des manœuvres malsaines et à des complots géopolitiques contre le Maroc. Dès les premières années de son indépendance, elle s’est alliée à l’Espagne coloniale entre 1963 et 1970, exploitant les tensions frontalières et territoriales pour affaiblir son voisin occidental. Cette politique de déstabilisation s’est également manifestée par un soutien actif aux rébellions et coups d’État orchestrés dans une vaste zone s’étendant du Niger à la Mauritanie au cours de la période 1970-1979, dans le but d’isoler diplomatiquement le Maroc. et étendre son influence sur l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.
Le seul moment de répit dans cette rivalité fut la signature du traité de 1972, marquant un accord temporaire sur la délimitation des frontières, et la mise en place d’un projet commun d’exploitation de la mine de fer de Gara Djebilet. Ce rapprochement, bien que fragile, avait laissé entrevoir une possibilité de coopération économique entre les deux pays. Mais cette dynamique s’est rapidement estompée au profit d’un retour des tensions, alimentées par les divergences stratégiques et les ambitions hégémoniques persistantes de la part d’Alger.
L’Algérie a joué la carte de la richesse pour régler définitivement la question des frontières algéro-marocaines, et pouvoir se lancer dans un fou projet d’accès à l’Atlantique, hérité des ultras de l’Algérie française. Les états-majors français savaient à quoi s’attendre en cas de création d’entités sécessionnistes. Au lendemain de la récupération de la région de Tarfaya, le 10 avril 1958, en application de l’accord de Cintra signé par les ministres Ahmed Belafrej et Fernando Castiella, des sources coloniales françaises faisaient état de l’opposition du FLN algérien aux revendications marocaines.
Les états-majors français, conscients des enjeux géopolitiques de la région, anticipaient déjà les conséquences potentiellement déstabilisatrices qu’entraînerait la création d’entités sécessionnistes soutenues par Alger.
Dans ce contexte, au lendemain de la récupération de la région de Tarfaya, intervenue le 10 avril 1958 dans le cadre de l’accord de Cintra, signé entre les ministres marocains Ahmed Belafrej et le ministre espagnol Fernando Castiella, des sources coloniales françaises font état de signaux d’opposition de la part des Front de libération nationale algérien (FLN). Ce dernier a catégoriquement rejeté les revendications marocaines sur les territoires sahariens, y voyant un obstacle à sa propre vision d’hégémonie régionale et d’expansion géopolitique.
Cette opposition a marqué le début d’une profonde rivalité, où l’Algérie, malgré son passé colonial commun avec le Maroc, a choisi de contester activement la légitimité des revendications marocaines, tout en poursuivant ses propres ambitions stratégiques en Afrique du Nord et au-delà. .
C’est en effet ce que rappelle cette dépêche adressée le 14 avril 1958 par Chaban-Delmas, ministre de la Défense nationale au ministre des Affaires étrangères. Il y déclarait : «Nous avons d’autant plus intérêt à exiger l’ouverture (des négociations sur les frontières avec le Maroc) que le Maroc découvre peu à peu les difficultés du problème, face à l’Espagne, à l’Algérie française et même au FLN.» (Archives des Affaires étrangères, La Courneuve, Maroc 212, 1956-1968, 14 avril 1958, n° 1158, 7 pages, p. 6).