Sonko Dessine Le « 49.3 » (Par Arona Oumar KANE)

Sonko Dessine Le « 49.3 » (Par Arona Oumar KANE)
Sonko Dessine Le « 49.3 » (Par Arona Oumar KANE)

Un événement majeur de l’histoire politique sénégalaise se déroule à la fois sous nos yeux et, selon les gros titres de la presse de ce samedi 28 décembre 2024, de manière totalement silencieuse. Le Premier ministre Ousmane Sonko a décidé de demander des comptes à son gouvernement sur le vote de la loi de finances 2025.

Le président de l’Assemblée nationale a en effet publié, dans la foulée de la DPG, une convocation des députés ce samedi, avec l’ordre suivant :

  • 10h00 : examen du projet de loi de finances pour l’année 2025, conformément aux dispositions de l’article 86, paragraphe 6, de la Constitution
  • 12h00 : élection des membres de la Haute Cour de Justice

Gageons que ce qui aura le plus retenu l’attention sur cet agenda, c’est le deuxième point, qui n’a pourtant rien d’exceptionnel mais qui concerne de fortes attentes du public. C’est bien pratique, car cela permet de reléguer au second plan ce fait majeur qu’est l’invocation de l’article 86.6 qui n’est autre qu’un copier/coller du fameux 49.3 français.

Cette disposition de la Constitution permet qu’une loi soit votée sans vote et donc sans débat. Son invocation par le Premier ministre peut être suivie du dépôt d’une motion de censure, dans les 24 heures, qui, si elle est adoptée, provoque la chute de son gouvernement. Si cela vous rappelle quelque chose, alors vous avez certainement suivi les aventures de l’éphémère gouvernement Barnier en , dans un tout autre contexte. Ce qui ressemble fort à une manœuvre de diversion a si bien fonctionné que dans la presse écrite de l’époque, il est impossible de trouver un seul titre sur cet événement historique sans précédent dans notre pays.

Même si le député Aissata Sall avait attiré l’attention sur la possibilité de l’utilisation de ce dispositif et que la rumeur grandissait depuis plusieurs semaines, il faudra se rabattre sur la presse en ligne pour enfin voir le sujet abordé, qui plus est, par un spécialiste : Professeur Meissa Diakhate, professeur de droit et fondatrice de la CÉRACULE (Centre de Recherche, d’Expertise et de Formation sur les Institutions Constitutionnelles, les Administrations Publiques, la Gouvernance Financière et la Légistique en Afrique).

Dans un article publié vendredi soir sur Seneplus, intitulé Le Premier ministre et l’exploit constitutionnel, le professeur Diakhate, qui évoque le caractère historique de cet acte posé par le Premier ministre, en des termes très élogieux, se réjouit justement de l’opportunité offerte à lui de pouvoir donner à ses étudiants un cas pratique d’invocation d’un dispositif « dormant » de la Constitution. La satisfaction du professeur est tout à fait compréhensible de ce point de vue et pourrait être comparée à celle d’un professeur de médecine, ayant l’opportunité de présenter à ses étudiants un patient atteint d’une maladie rare qu’ils ont étudiée. en classe.

Au-delà de cette légitime satisfaction du praticien, cette contribution du professeur Diakhate pose néanmoins problème, dans le sens où il semble apporter un soutien académique à ce qui, de mon point de vue, relève davantage d’une manœuvre politique, d’une partie de plus du un stratège incontestable en la matière, dont l’effet immédiat est d’éviter un débat parlementaire de fond sur un projet de loi de finances conçu et adopté dans des conditions pour le moins peu orthodoxes.

Tout d’abord, je tiens modestement à souligner que n’étant pas avocat, CERACLE est ma principale source d’information sur les questions juridiques et, de ce point de vue, je considère M. Diakhaté, d’une certaine manière, comme mon professeur. De plus, il m’a fait l’honneur de publier un de mes articles sur le site internet et les réseaux sociaux de son centre de recherche. Cela montre mon inconfort dans cet exercice contradictoire, mais c’est aussi la beauté du débat d’idées dont notre pays peut se targuer.

L’article 86 alinéa 6 précise que « Le Premier Ministre peut, après délibération en Conseil des Ministres, demander des comptes au Gouvernement devant l’Assemblée Nationale sur le vote d’un projet de loi de finances. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. ».

Sur la constitutionnalité de l’usage de ce dispositif, M Diakhate indique que l’acte « ne souffre d’aucune zone grise » et assure le Premier ministre qu’il a «la Constitution avec lui», précisant, comme pour parer à une éventuelle contestation de la régularité de la procédure, que « Le texte délibéré en Conseil des ministres concerne « un projet de loi de finances » ». Un Conseil des Ministres avait en effet adopté le projet de loi de finances pour l’année 2025, le 3 décembre 2024, mais il n’y avait pas été explicitement évoqué le recours à l’article 86 alinéa 6. Ce qui rend l’étudiant quelque peu déroutant et mérite au moins un débat d’experts pour apporter un peu de lumière sur le sujet.

Quant à l’opportunité, sur le fond, d’une telle décision, à savoir celle de voter une loi mise en vigueur par un gouvernement disposant pourtant d’une large majorité à l’Assemblée nationale, la question du délai du 31 décembre, date de fin de l’exercice , est évidemment celui qui me viendrait à l’esprit. Le projet de loi ayant été adopté en Conseil des ministres le 3 décembre 2024, cela laisse très peu de temps pour un marathon budgétaire, surtout quand on a traîné la préparation, l’adoption et la transmission à l’Assemblée de la loi de finances concernée.

Certains ont même dénoncé une violation de la LOLF qui consistait à adopter le projet de loi de finances en Conseil des Ministres, après l’ouverture de la session ordinaire du Parlement, alors qu’il devait être transmis à l’Assemblée plus tard le jour de l’ouverture de la session. . D’ailleurs, cet argument du délai est d’autant plus discutable qu’entre l’adoption du projet de loi en Conseil des ministres et la fin de l’année, nous avons eu un mois pour en débattre et le voter. sans recourir à l’option nucléaire du 49,3 – désolé, 86,6 – mais, comme on l’a vu, la priorité de l’Assemblée nationale au lendemain de son installation était ailleurs que sur le budget.

En tout cas, si l’on voulait vraiment prendre le temps d’examiner et de voter cette loi de finances dans le cadre d’un débat budgétaire normal, compte tenu de la situation exceptionnelle résultant de la dissolution, ce serait tout à fait approprié. possible et cela est prévu par les textes. La France, qui est notre référence en la matière, nous le rappelons, est exactement dans cette situation aujourd’hui. Tout comme le président français, le président Diomaye Faye dispose d’outils juridiques qui lui permettent de collecter des ressources budgétaires et d’exécuter des dépenses pour assurer la continuité du fonctionnement régulier de l’État, jusqu’au vote du prochain budget, qui pourrait intervenir après le 31 décembre. cette loi de finances pose beaucoup de problèmes sur lesquels nous reviendrons, et il est bien pratique pour le gouvernement de ne pas trop s’y attarder et de passer rapidement à autre chose.
Arona Oumar KANE
Ingénieur logiciel
Bangath Systèmes – Dakar
E-mail: [email protected]
WhatsApp : +221 77 588 64 26

 
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