Quand je demande à Marwah Rizqy quel est son état d’esprit en cette fin d’année, la réponse tombe : essoufflée ! Pourtant, elle me le dit avec une énergie que beaucoup de gens qui ne sont pas essoufflés lui envieraient.
Publié à 7h00
L’élue a cependant toutes les raisons d’aspirer à un peu de repos : en plus d’être maman de deux bébés et de travailler sans relâche, elle fait partie des personnes touchées par la tempête. Déby qui a causé beaucoup de dégâts au Québec en août dernier. «Pendant la session parlementaire, j’ai travaillé au Québec tout en gérant les rénovations de ma maison à Montréal», raconte-t-elle en riant.
Son année a été marquée par des dossiers brûlants, mais quand je lui demande quel a été le moment le plus difficile, elle répond sans hésiter : les suivis de grossesse. “Grég [son mari, Gregory Kelley, député de Jacques-Cartier] était basée au Québec donc je me rendais seule à mes rendez-vous. J’ai perdu les eaux pendant que je regardais la période des questions [rires]. Il s’agissait d’un bébé prématuré qui est arrivé cinq semaines plus tôt que prévu, donc Greg n’était pas à Montréal. Il n’avait pas de voiture car il prend habituellement le train. C’est André Fortin qui lui a jeté ses clés et lui a dit : partez ! Il est arrivé à la dernière minute et 15 minutes plus tard, Abraham a été accueilli. »
Un dossier qui laisse des traces
Parmi les dossiers défendus par Marwah Rizqy cette année, celui de l’école de Bedford a marqué les esprits.
Ce qui m’a le plus bouleversé dans cette affaire, c’est que l’égalité des sexes était bafouée. Cela me vient aux tripes…
Marwah Rizqy, députée libérale de Saint-Laurent
Elle poursuit : « L’école est un ascenseur social, c’est ce qui assure à tous les petits Québécois qu’ils deviendront des adultes partageant un tronc commun. Si quelqu’un a décidé que l’ascenseur s’arrête au premier étage pour certaines filles, et que personne ne semble vouloir réparer cet ascenseur, il vient pour moi. Lorsqu’on enseigne très tôt aux filles quelle est leur place dans la société, cela provoque des dommages irréversibles. »
Son implication dans cette affaire a malheureusement eu des répercussions jusque dans sa vie privée. Elle a été arrêtée par le prédicateur Adil Charkaoui, ce qui l’a obligée à renforcer la sécurité autour d’elle et de sa famille.
«Mon mari a basculé et ma mère était en mode panique», me dit M.moi Rizqy avec émotion. Elle voulait que j’abandonne, mais je ne suis pas capable de faire mon travail à moitié ou à 80 %. Je suis incapable de lâcher prise. »
A travers cette épreuve, elle s’est sentie soutenue par ses collègues, tous partis confondus. L’incident a cependant laissé des traces. « Je ne documente plus ma vie en direct, souligne-t-elle, et la police surveille mes réseaux sociaux. »
Les mots comptent
On revient sur l’affaire Haroun Bouazzi, ce député solidaire qui a déclaré voir la mécanique du racisme à l’œuvre « chaque jour à l’Assemblée nationale ». Des propos qui ont fait réagir vivement Marwah Rizqy et nous ont sentis offensés.
« Lorsqu’on est élu et qu’on a l’honneur et le privilège de franchir la porte 6 de l’Assemblée nationale, on ne prend pas cela à la légère. Entendre que le berceau de la démocratie au Québec construit quotidiennement le racisme m’a choqué. Je ne pouvais pas rester silencieux. Il y a 22 % d’élus qui sont issus de la diversité, c’est plus que la moyenne nationale au Québec. »
“Je te comprends”
Le passage de Marwah Rizqy à Tout le monde en parleen octobre dernier, a touché le cœur des gens. L’homme politique a évoqué, entre autres, les violences qu’elle et sa mère ont subies lorsqu’elle était jeune.
« Ce n’est pas quelque chose dont je parle souvent », souligne-t-elle. Je suis spontané, je viens de répondre à la question qui m’a été posée. La plupart des gens ont compris que lorsque je parle de maladie mentale, de schizophrénie, je sais de quoi je parle. Ma sœur, qui a une déficience intellectuelle, souffre de troubles schizo-affectifs. »
Je comprends aussi les gens qui ont reçu plus de coups que de câlins de la part de leur père. Je sais ce qu’est la honte, ou baisser les manches de son pull pour cacher ses poignets…
Marwah Rizqy, députée libérale de Saint-Laurent
Cette authenticité lui permet de se connecter avec les gens. Depuis son élection en 2018, elle jouit d’une grande popularité et nombreux sont ceux qui la voyaient à la tête du Parti libéral. Elle est l’une des rares personnalités politiques à obtenir un soutien unanime. Comment l’explique-t-elle ?
« Peut-être parce que j’aime vraiment ce que je fais ? », suggère-t-elle.
Le jour de l’annonce de son départ de la vie politique, le réseau TVA a réalisé un vox-pop dans les rues de sa circonscription de Saint-Laurent. Les passants n’avaient que de bons mots pour elle. En le regardant le soir, Marwah Rizqy n’a pas pu s’empêcher de pleurer.
« C’est mon monde, c’est eux que je sers », dit-elle avec passion. Les gens sont extraordinaires et c’est pourquoi j’en fais autant. »
Il est difficile de croire qu’elle quittera définitivement la politique. D’ici là, elle envisage de tourner un documentaire sur la sous-éducation des garçons avec la réalisatrice Flavie Payette-Renouf. Une première pour un élu actuel.
Lorsque Marwah Rizqy a obtenu son doctorat en 2014, on lui a dit : une personne sur 10 termine son doctorat, mais seulement une personne sur 1000 a un impact. Que ferez-vous pour en obtenir un ?
Cette question l’a profondément marquée, me confie-t-elle.
Je crois qu’elle a trouvé un début de réponse.
Qu’en penses-tu? Participer au dialogue