Cinq projets informatiques gouvernementaux ont entraîné à eux seuls des dépassements de coûts totalisant plus de 400 millions de dollars, et tout indique que l’hémorragie se poursuivra jusqu’en 2025.
Plus de problèmes pour SAAQclic
Permis de conduire suspendus sans motif, argent pris par erreur, panne des systèmes informatiques : les problèmes causés par le déploiement catastrophique de SAAQclic ont continué de s’accumuler cette année.
Photo d’archive, Agence QMI (Joël Lemay)
La facture de ce projet numérique, qui s’élève maintenant à environ 612 millions de dollars, s’alourdit de plus en plus au fil du temps : l’été dernier, la Compagnie d’assurance automobile a autorisé des dépenses de 39 $, soit 1 million de dollars additionnels pour les services informatiques, la formation des équipes et les frais de licence.
C’est sans compter que le gouvernement a dû débourser 48,6 millions de dollars pour remplacer tous les serveurs et « éviter les pannes de service », comme la panne majeure qui a paralysé la SAAQclic un matin de mai.
La transition vers Santé Québec coûte un bras et une jambe
L’année 2024 nous a également confirmé que sortir de l’ère du fax dans le réseau de la santé n’est pas une opération facile.
Avant même sa mise en œuvre, le projet pilote de numérisation du réseau de la santé a vu sa facture gonfler de 42 millions de dollars, comme le rapporte La Revue au printemps.
Photo STEVENS LEBLANC
Et nous ne sommes pas au bout de nos peines. La transition vers Santé Québec s’avère également très coûteuse, alors que le rapatriement des données administratives des différents établissements du réseau coûtera 430 millions de dollars, soit 228 millions de dollars de plus que prévu initialement.
Outre les dépassements de coûts, tous ces projets connaissent des retards importants.
Les coûts explosent pour le nouveau réseau Internet du gouvernement
La mise en place du nouveau réseau de télécommunications du gouvernement a été une véritable boîte à surprises en 2024.
En gros, le remplacement du réseau Internet de l’État du Québec ne devait coûter que 8,2 millions de dollars. Mais après de multiples augmentations budgétaires, notamment en raison des retards de Bell dans la réalisation des travaux, la facture atteint désormais 46,9 millions de dollars, soit une augmentation de 472 %.
Et cela n’inclut pas les 190 millions de dollars nécessaires au maintien de l’ancien réseau pendant la transition, ni les 32,8 millions de dollars qui serviront à connecter les ministères et organismes au nouveau réseau.
Des millions engloutis dans le Panier Bleu pour rien
Que Dieu ait son âme, le Panier Bleu repose en paix depuis fin février. C’est parce que la plateforme québécoise de vente en ligne ne générait pas suffisamment de revenus.
Le premier ministre François Legault avec le ministre de l’Économie de l’époque, Pierre Fitzgibbon, lors du lancement du Panier Bleu en avril 2020.
Photo d’archives, Didier Debusschere
L’aventure a donc duré quatre petites années. Lancé par le gouvernement Legault en avril 2020 à titre d’organisme à but non lucratif, le Panier Bleu est passé entre des mains privées en juin 2022, devenant ainsi la propriété de la plateforme Agora Inc.
Cette entreprise privée comptait parmi ses actionnaires Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ, l’entreprise Lightspeed et Investissement Québec. La version « transactionnelle » du site a coûté 22 millions de dollars. À titre d’OBNL, le Panier Bleu avait reçu 4,4 millions de dollars en subventions du Québec.
Pas facile, créer un nouveau site internet
Les amateurs de plein air doivent se munir d’une boussole et de beaucoup de patience pour effectuer des recherches et des transactions sur le site de la Sépaq, et ce depuis plusieurs années.
Capture d’écran du LCN
Heureusement, l’entreprise publique travaille sur un nouveau site Internet, mais celui-ci sera finalement livré avec deux ans de retard et coûtera 45 % plus cher que prévu.
Ce projet informatique devait être achevé à l’été 2023, mais il ne le sera pas avant… 2026 ! La facture atteindra alors 3,4 millions de dollars, soit près de 1,1 million de dollars de plus que le budget initial.
Les coûts du projet sont généralement sous-évalués, selon un expert
Le gouvernement Legault devrait mieux faire ses devoirs pour éviter de répéter des erreurs coûteuses pour les contribuables dans le déploiement de ses projets de transformation numérique, soutient un expert, alors que le coût des projets informatiques gouvernementaux est souvent « sous-évalué ».
« Tant que nous n’avons pas d’évaluation a posteriori et que nous ne sommes pas en mesure de dire en toute transparence les impacts que nous avons eu avec un projet, nous ne sommes pas non plus capables de nous améliorer. », déclare Justin Lawarée, professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique, dans un entretien avec La Revue.
« Si nous ne générons pas de connaissances sur ce qui n’a pas fonctionné, nous risquons de refaire les mêmes erreurs. Ça, pour l’instant, nous ne le faisons pas, donc nous naviguons à vue », ajoute-t-il.
Mauvaise gestion
Cependant, de nombreux projets informatiques gouvernementaux ont souffert d’importants dépassements de coûts en 2024, entraînant des dépenses imprévues de plusieurs centaines de millions de dollars (voir autre texte).
Pour M. Lawarée, ces augmentations sont dues, au moins en partie, à des problèmes de mauvaise gestion.
Justin Lawaree est professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique.
« Lorsqu’un projet passe de 50 millions de dollars à 200 millions de dollars, par exemple, soit il y a eu une mauvaise gestion, soit une mauvaise analyse de l’infrastructure, soit on n’a pas réalisé l’ampleur de la dimension organisationnelle que cela représentait. Les projets informatiques ne concernent pas seulement les logiciels, il faut aussi prendre en compte la gestion du changement, la formation des collaborateurs, etc. », explique-t-il.
De nouvelles augmentations en 2025 ?
Par ailleurs, le professeur Lawarée s’attend à ce que les projets de transformation numérique du gouvernement soient encore confrontés à des augmentations de coûts en 2025.
« Logiquement, oui », dit-il. “S’il y a des projets, ce sera inévitable.”
Mais M. Lawarée estime aussi que « de nombreux projets vont passer à la trappe », puisque les budgets informatiques ont été réduits dans plusieurs ministères. « Nous sommes dans un contexte budgétaire rigoureux, voire austère », affirme-t-il.
En attendant, l’expert souligne que le budget initial des projets informatiques a tendance à être sous-estimé. « C’est en partie parce que nous ne pouvons pas tout prévoir à l’avance. Il arrive régulièrement que l’ampleur d’un projet change en cours de route, ce qui entraîne une révision des budgets et des calendriers », explique-t-il.