La fuite de Bachar al-Assad constitue un changement très important pour la Syrie. Quelles seront les conséquences pour la Belgique ?
C’est avant tout important pour la Syrie, pour les Syriens. Nous devons nous réjouir avec eux de la chute du régime d’Assad. On parle encore de 53 ans de dictature. Et chaque jour, on découvre la confirmation de l’incroyable cruauté de ce régime. C’est une dictature qui non seulement dirigeait le pays d’une main de fer, mais qui tuait aussi régulièrement sa propre population. Là, on parle désormais d’environ 100 000 corps découverts dans une fosse commune. Nous avons vu les images des prisons. Il s’agit d’un régime qui gaze régulièrement sa population et utilise des armes chimiques contre sa population.
Reste à savoir ce qui remplacera ce régime.
De nouvelles autorités sont en place, différents groupes rebelles et différentes structures. Depuis dimanche, nous avons adressé des messages très clairs aux nouvelles autorités syriennes, mais aussi aux pays de la région : le droit international humanitaire doit être respecté. Nous devrons juger les nouveaux dirigeants sur leurs actions. Jusqu’à présent, ce que nous entendons est plutôt positif.
Au niveau européen, on parle déjà de supprimer le statut de réfugié des Syriens. N’allons-nous pas trop vite ?
En 2015, la vague de réfugiés était constituée de personnes fuyant une guerre et un régime abominable. Ici, ce n’est pas ce que l’on voit. Au contraire, on a vu très vite des colonnes de Syriens quitter la Turquie et le Liban pour rentrer chez eux. La position de la Belgique est claire. Je comprends parfaitement la suspension de l’examen des dossiers en cours car la situation a fondamentalement changé. S’il y a un retour, il doit être volontaire, sûr et digne. Telles sont les conditions de tout retour des réfugiés dans leur pays d’origine. Ce retour de réfugiés doit contribuer positivement à la reconstruction du pays, afin qu’il ne soit pas un fardeau supplémentaire dans un pays déjà fragile.
Sur le plan géopolitique, cette chute du régime de Bachar al-Assad va-t-elle affaiblir le pouvoir d’influence de la Russie ?
En effet, ce qui s’est passé en Syrie est aussi le résultat d’un soutien plus faible de la Russie au régime d’Assad et cela est probablement corrélé aux efforts incroyables que la Russie doit déployer dans sa guerre contre l’Ukraine. On voit que la Russie ne voulait plus soutenir la Syrie comme elle le faisait jusque-là. Cela a donc des conséquences pour la région. La Russie disposait de bases qui servaient non seulement à sa présence en Syrie mais qui servaient également de base relais à sa présence en Afrique, notamment auprès du groupe Wagner. En tant que ministre belge des Affaires étrangères, je ne peux qu’espérer que cette chute du régime contribuera à affaiblir la position négative de la Russie dans certains pays africains.
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Combien de Belges sont actuellement présents en Syrie ?
En début de semaine, environ quatre-vingt-dix Belges ont été dénombrés.
Puisqu’on parle de la Russie, la Belgique envisage-t-elle de renforcer son aide à l’Ukraine ?
Le soutien de la Belgique à l’Ukraine est déjà très important. En termes financiers comme en termes de soutien technique, voire militaire. On parle de 2 milliards d’euros depuis le début. Et c’est un accompagnement qui est multiforme. Les pays du G7 utilisent ce qu’on appelle des « profits exceptionnels », des actifs de fonds souverains russes immobilisés, en grande partie en Belgique. Il y a des intérêts sur ces actifs. La Belgique a décidé que l’impôt sur ces intérêts, sur ces bénéfices, était versé directement au fonds ukrainien. Nous parlons d’un montant qui s’accumulera à plus d’un milliard par an.
Est-ce complètement légal en tant que système ?
À l’heure actuelle, il n’y a pas de procès. Nous considérons que le système est juridiquement solide. Cela repose toujours sur un régime de sanctions de l’UE.
Si la Russie parvient à envahir l’Ukraine, quels sont les dangers pour l’Europe ?
J’ai du mal à envisager une victoire totale de la Russie. Car les conséquences pour l’Europe et pour le monde seraient absolument incalculables. L’Ukraine est à 2 000 kilomètres. C’est moins que Bruxelles-Malaga. Pour nous, la Russie ne peut pas gagner, c’est une question existentielle.
Le conflit israélo-palestinien est bien vivant en Belgique. Pensez-vous que toutes les manifestations et actions politiques menées dans ce sens ont un impact sur la résolution du conflit ?
Il n’y a pas de plus grand défenseur de la liberté d’expression que Bernard Quintin, y compris de la liberté de manifester dans le cadre de l’ordre public. Il s’agit en effet d’un conflit terrible. Plus de 1 200 victimes le 7 octobre et depuis, plus de 40 000 victimes ont été signalées dans la bande de Gaza, plus un nombre important en Cisjordanie. Nous appelons à la fin des violences et des bombardements. Il faut un cessez-le-feu et tous les otages doivent être libérés. Ce sont les deux conditions de base pour pouvoir avancer. Veiller à ce que Israéliens et Palestiniens puissent s’asseoir autour d’une table et discuter de leur avenir commun. Pour le moment, la seule solution viable que nous ayons sur la table est la solution à deux États.
Mais alors, pour revenir à ma question, les manifestations que l’on voit ici sont-elles quelque chose qui peut avoir un impact ? Est-ce quelque chose qui peut être entendu du côté israélien ?
J’aimerais le croire. Je ne suis pas sûr que le gouvernement israélien actuel soit complètement réceptif ou attentif à ce qui se passe ailleurs, ni même à ce qui se passe dans son propre pays.
Le président de votre parti, Georges Louis Bouchez, a récemment affirmé que c’était une faute morale d’utiliser la notion de génocide lorsqu’il s’agit d’un conflit qui concerne le peuple juif. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
La qualification de génocide appartient aux cours et tribunaux internationaux. Ici, c’est à la Cour internationale de Justice de déterminer ce qui se passe, en prenant position. Ce qui se passe n’est pas acceptable et doit cesser.
Si Benjamin Netanyahou venait à mettre les pieds ici en Belgique, sachant qu’il existe un mandat d’arrêt international contre lui, faudrait-il l’arrêter ?
La position de la Belgique a été très clairement exprimée par le Premier ministre au Parlement. Non seulement nous respectons la Cour pénale internationale, mais nous mettrons en œuvre ce qu’elle nous demande de mettre en œuvre. Il n’y a pas l’espace d’un papier à cigarette entre la position du premier ministre et celle de son ministre des Affaires étrangères.
Vous avez souvent été présenté comme un homme de dossier. On oublie parfois un peu votre côté politique. Vous êtes agent à Ganshoren. Avec votre rôle local et celui de ministre à l’écoute des instances internationales, quelle est votre vision du blocage politique à Bruxelles ?
Il y a trois ans, j’ai accepté de devenir secrétaire politique de la section MR de Ganshoren. J’ai également été administrateur de Lojega, des logements sociaux à Jette et Ganshoren. ça me donne une base. Si nous voulons prétendre prendre soin du monde, nous devons avoir cet ancrage local. Nous avons la chance à Bruxelles d’avoir ce patchwork de nationalités tout à fait incroyable, cette diversité, mais il faut la gérer correctement. Cette minorité de blocage me semble être un écran de fumée. Il y a eu néanmoins un message clair de la part des électeurs, au niveau fédéral et régional, qu’il faut s’attaquer de front aux problèmes de Bruxelles : propreté, mobilité, sécurité, et tout ça avec un budget dont on ne peut pas dire qu’il va bien. La situation financière de Bruxelles est catastrophique. Le travail des hommes politiques consiste désormais à faire quelque chose avec le vote qui leur a été accordé. Et ce n’est pas en multipliant les exclusivités avant même de s’asseoir autour de la table des négociations qu’on avance le schmilblick. Au cours de ma carrière de diplomate, j’ai pu assister, et parfois même participer, aux négociations entre anciens belligérants. Des hommes, souvent des hommes, qui se sont fait la guerre. Qui a tué des gens. Qui a vu des amis à eux, des frères tués. Si ces gens parviennent à s’asseoir autour de la table, nous pouvons le faire aussi.
Dans la bulle diplomatique, entendez-vous des craintes sur ces blocages ?
Bien sûr. Je suis très régulièrement interrogé par les diplomates en poste ici. Il y a des inquiétudes. Nous ne sommes pas les seuls à avoir des coalitions difficiles à constituer. Mais il y a un côté exemplaire. Nous avons le siège de l’Union européenne, le siège de l’OTAN, un si grand nombre d’organisations internationales… Nous sommes la première capitale diplomatique du monde !
Avant Washington ?
Nous avons dépassé Washington il y a 5 à 8 ans. Mais cela implique des responsabilités, les gens nous surveillent. Je ne dis pas qu’il faut faire n’importe quoi sous peine de pression extérieure, mais ce n’est pas bon pour l’image du pays. De quoi Bruxelles a-t-elle besoin ? Investissement. Mais vous n’allez pas attirer les investisseurs avec une sorte de bazar. Il y a une sorte de paresse intellectuelle qui consiste à dire « oui, mais tous ces gens vont rester tout le temps ».
Parlez-vous des travailleurs de l’UE ?
Le centre de gravité de l’Union européenne s’est sensiblement déplacé vers l’Est avec les élargissements de 2004. Croyez-vous vraiment qu’il n’y ait pas de pression de la part d’un certain nombre de pays ou de capitales pour avoir leurs sièges d’institutions ? Nous ne devons pas nous tromper. C’est quelque chose de vivant et de plausible.
En Allemagne ?
C’est quelque chose de possible. Déplacer toutes ces institutions aurait un coût énorme. Mais à partir d’un certain point, les contingences politiques peuvent conduire à trouver les budgets nécessaires. Donc, je ne suis pas alarmiste, je ne dis pas que c’est demain. Je ne dis pas qu’il y a une note quelque part au rond-point Schumann à ce sujet, mais d’un autre côté, je suis réaliste. C’est mon rôle, en tant que ministre des Affaires étrangères, de dire : « Attention, ce n’est pas indéfini ».
Serait-ce une grosse perte ?
Cela coûterait cher, mais il ne faut pas supposer que tout cela est acquis pour toujours, ni pour l’Union européenne, ni pour l’OTAN, ni pour de nombreuses organisations internationales. Leur présence profite à Bruxelles. L’occupation des bureaux, l’occupation des logements, la consommation quotidienne… en chiffres, on parle de milliards générés par la présence de toutes ces organisations internationales, dont l’Union européenne. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut faire un peu plus pour mettre cela en valeur.