Football, boxe, danse… Emmanuelle Luciani aime mélanger le sport, notamment populaire, et l’art. A son actif, la commissaire de l’exposition a donné une conférence « Football et sacré » avec le philosophe Thibault Leplat, a réalisé une exposition sur le célèbre footballeur argentin Diego Maradona en 2019 à Paris. “Il est devenu une sorte de porte-drapeau à Naples comme Bernard Tapie l’est à Marseille depuis qu’il a permis à l’Olympique de Marseille de remporter la Ligue des Champions en 1993 face à l’AC Milan.commente le conservateur. Il y a une fusion du laïc et du sacré dans le football du Sud, et particulièrement dans les villes en crise car ces icônes deviennent une sorte de dignité pour les gens. Des tensions de l’ordre de David contre Goliath se rejouent au stade avec le clasico, histoire de la lutte dans l’État jacobin.“
“L’OM joue le rôle d’artisan de la paix”
Quand dans les années 1980-1990, la crise économique frappe Marseille, l’OM joue «le rôle d’artisan de la paix, lien entre les communautés», rappelle la Marseillaise. Parallèlement, Emmanuelle Luciani travaille sur les funéraires, depuis sa thèse sur les sarcophages paléo-chrétiens, nombreux par exemple à l’abbaye Saint-Victor. “L’art funéraire en dit long sur une société et c’est aussi le fondement de l’histoire de l’art.poursuit l’artiste. Ce que nous savons de la civilisation égyptienne, c’est grâce aux sarcophages.»
“Une enquête sur une dizaine de cimetières de la ville”
Dans l’idée de fusionner ces deux sujets de recherche, elle propose au photographe Émile Barret de parcourir tous les cimetières de la ville, à partir de «l’incroyable hommage rendu à Bernard Tapie à sa mort. Il est enterré à côté du Vélodrome, au cimetière de Mazargues, et mon grand-père – je suis originaire de ce quartier.» Ensemble, ils partiront à la recherche de toutes les marques d’hommage à l’OM sur les tombeaux de la ville. Sculptures de ballons, dessins, hommages et épitaphes des clubs de supporters sont immortalisés pour témoigner de leur solidarité avec le défunt et sa famille. “Comme au stade, qui fait parfois office de cathédrale selon moi – le cercueil de Tapie a été montré jusque dans l’enceinte –, où ces clubs honorent leurs morts avec des minutes de silence et des banderoles. Un caractère sacré qui se perd dans nos sociétés.»
On peut lire, sur les tombes photographiées, des inscriptions telles que : «A notre papy, supporter marseillais. Munich 1993, j’y étais.» On découvre, parmi tous les anonymes, la tombe de René Dufaure de Montmirail, fondateur de l’OM en 1899.
Comme la résistance
Dans la même salle du Pavillon Southway, l’exposition Football funéraire rassemble deux livres recensant des photographies et autres sculptures reliques : foulard de l’OM en plâtre coulé, gravure « Droit au but », logo du club. Au mur, un papier peint affiche le montage d’une grande partie des photos ; des impressions sur métal et sur t-shirts, des fanions fabriqués complètent cette petite exposition qui a certainement du sens pour de nombreux Marseillais et supporters de l’OM. Tous ces objets, dont certains pourraient trouver leur place dans les collections de la Ville ou du Mucem, sont à vendre. “Nous avons arpenté une douzaine de cimetières, à la manière d’une recherche anthropologique, et nous avons réalisé à quel point cette passion du football est importante dans la vie des gens.»
Et face à la mondialisation et à la standardisation des objets funéraires, l’historien de l’art voit ces liens avec le football, ces hommages sensibles et populaires, comme une résistance.
Ce jeudi 19 décembre, Emmanuelle Luciani et Southway Studio seront parmi les invités duAprès le pied de CMRdéménagé à Marseille, dans les locaux de Provence (à partir de 21h). Ils y rencontreront notamment plusieurs personnalités liées à l’histoire de l’OM et de ses supporters, dont Valeilles de Montmirail, arrière-petit-fils du fondateur du club, Rachid Zeroual, figure des Sud Winners, Guy (dit Manitou), membre des Fanatics. et l’origine du musée du supporter face au Vélodrome. A suivre en direct sur RMC.