J’ai rencontré Duilio à la bibliothèque de mon quartier, où il cherchait des livres en français. Ce francophone a fait du porte-à-porte pour le Parti démocrate en Pennsylvanie pendant la campagne présidentielle et vit mal la défaite. Nous nous sommes revus quelques jours plus tard.
Duilio m’a donné rendez-vous en bas de son immeuble, au Nord-Est de Washington. Il souhaitait me montrer une de ses installations dans un parc pour enfants jouxtant sa résidence : des filtres colorés posés sur des lampadaires : « Cela fait des ombres colorées et atténue la lumière. Ici, c’est la surenchère de la lumière comme mécanisme de sécurité. » comme en Français l’artiste. Sur le chemin de son appartement, il m’explique que marié à une Française, il a vécu à Paris pendant 12 ans. Nous avons même travaillé au même endroit : « J’ai participé à des projets d’éclairage à la Maison de la radio pour RFI, RFO, France Inter. »
Depuis un mois, dans son petit appartement, c’est France Culture qui résonne. Ce qu’il s’est passé le 5 novembre dernier a changé sa manière de s’informer. Il a éteint les radios et télés américaines : « C*’est tellement dur de continuer à être exposé à tout ça que j’ai décidé d’utiliser la radio française comme filtre de ce qui se passe ici. Je préfère me heurter à la réalité politique par Christine Ockrent, plutôt que directement par Morning Joe.* » Duilio a encore en travers de la gorge la rencontre du présentateur vedette de NBC, Joe Scarborough, avec Donald Trump, quelques jours après sa victoire : « Il y a un manque d’éthique chez la plupart des journalistes, mais pas tous. »
“C’est ainsi que la descente aux enfers a débuté au Venezuela”
L’amour de la radio, Duilio le tient de sa mère, comédienne sur les ondes. D’origine cubaine, elle s’est exilée au Venezuela, où il est né et a vécu une vingtaine d’années avant de partir faire ses études à New York. Tout ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis lui rappelle un régime qu’il connaît trop bien : « Je sais ce qu’est la perte de la démocratie. Cela commence par le redéploiement des forces judiciaires, qui ne regardent plus que dans une seule direction. C’est ainsi que la descente aux enfers a débuté au Venezuela. Les médias commencent à s’agenouiller devant le pouvoir. Ce n’est pas Chávez qui l’a inventé, c’est un carnet de route connu ! »
Dans son appartement, Duilio me montre ses travaux en cours : un triptyque inspiré de la civilisation précolombienne. Dans sa petite cuisine, il imprime aussi en 3D des objets miniatures pour une entreprise mexicaine. La discussion glisse sur les menaces de droits de douane, les déportations de masse et la dérégulation. À aucun moment, il ne prononce le nom de Donald Trump : « Vous voyez, la peur est déjà installée. », commente-t-il.
Il en veut à Joe Biden de ne pas avoir organisé sa succession, un mauvais général selon ce passionné de stratégies militaires qui file sa métaphore jusqu’au choix de Kamala Harris : « Ça, c’est une erreur tactique importante. C’est ne pas connaître les hommes. On a peur des femmes. On peut être des imbéciles incroyables, nous, les hommes. parce qu’elle est brillante, mais historiquement, ce n’était pas le moment »
Un échappatoire poétique
Pessimiste sur l’avenir des États-Unis, Duilio n’envisage pas pour autant de quitter le pays : « La radio française, ce sont les ailes qui me permettent d’aller ailleurs et, depuis la France, de regarder le monde. C’est un échappatoire poétique. » Je laisse Duilio sur ces jolis mots et en bonne compagnie : Christine Ockrent l’attend à la radio.