La préférence nationale, colonne vertébrale du projet RN

La préférence nationale, colonne vertébrale du projet RN
La préférence nationale, colonne vertébrale du projet RN

Le 5 octobre 1972, il y a près de 52 ans, le mouvement néofasciste Ordre Nouvel créait le Front National. Son objectif : rassembler de petits groupes hétérogènes sur une base nationaliste, antigaulliste et anticommuniste, afin de prendre part à la bataille électorale. Si le rejet de l’immigration a été présent dès le début, ce n’est qu’à l’émergence du parti lepéniste au niveau national, en 1984, qu’est apparu un concept clé en cas d’accession au pouvoir : la préférence nationale. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

« On peut avoir le sentiment que le FN, devenu Rassemblement national en 2018, s’est ouvert sur des sujets comme le féminisme, la laïcité… Mais en réalité, peu de choses ont changé. » assure Christèle Lagier, chercheuse en sociologie politique à Avignon et spécialiste du vote RN. Toutes les propositions du parti sont ainsi scrutées au regard de la différence de traitement entre nationaux et étrangers.

La « diabolisation » orchestrée par Marine Le Pen depuis qu’elle a pris la tête du parti en 2011, l’exclusion de Jean-Marie Le Pen, ainsi que les discours de plus en plus civilisés des représentants du RN, n’ont pas aidé. rien n’a changé : le projet de société du RN continue, année après année, d’être centré autour de la préférence nationale et de la lutte contre « submersion migratoire ». « Pour le RN, résoudre les problèmes de la France passe par son intégrité nationale. Depuis sa création, c’est sa marque de fabrique et la raison pour laquelle il se radicalisesouligne le politologue Jean-Yves Camus. Le parti lie tout à l’immigration : si on l’arrête, le budget de la France s’améliorera, la concurrence sur le marché de l’emploi profitera aux nationaux… Il occulte tout ce qu’elle peut apporter. »

Cette promotion de bouc émissaire lui permet de surfer sur les divisions des classes populaires. « Le RN nous fait croire que si on exclut les immigrés, la situation s’améliorera pour les catégories de Français les plus pauvres. L’un de leurs moteurs est de les mettre en concurrence. », constate Christèle Lagier. Pas étonnant donc que le programme de Jordan Bardella pour les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet soit particulièrement offensant sur ces sujets.

Un parti opportuniste

Si ces fondamentaux restent immuables, les autres thématiques sont bien plus fluides. Le RN tire sa force de sa capacité à s’adapter à la situation et aux évolutions de l’opinion publique. « C’est un parti particulièrement pragmatique et opportuniste. Il est capable de changer de position en fonction de l’électorat qu’il souhaite mobiliser. Il n’est pas surprenant que son programme semble souvent manquer de substance. analyse Christèle Lagier. Le sociologue cite l’exemple de l’endométriose : « Lorsque le RN a présenté une proposition de loi pour soutenir les femmes souffrant d’endométriose, c’était pour mieux faire oublier que ses positions divergeaient beaucoup sur l’avortement. »

Autre exemple : les enjeux liés au changement climatique, longtemps ignorés par le RN, sont désormais utilisés pour répondre au mécontentement grandissant de certains Français. Comme les éoliennes, contre lesquelles Marine Le Pen s’est élevée en 2021. Et sa dénonciation d’une « écologie punitive », qu’elle brandit comme une nouvelle arme électorale.

Virages internationaux

Cet opportunisme s’incarne également au niveau international. Au cours de la dernière décennie, le changement le plus net s’est produit en Europe. Depuis le Brexit, le parti a abandonné le retour au franc et la sortie de la France de l’Union européenne, pourtant défendus depuis longtemps par Marine et Jean-Marie Le Pen. Il promeut plutôt une Europe transformée en une simple alliance, respectant la souveraineté de chaque État. “Le fait que la France ait accepté une forte influence de l’UE a des conséquences, on ne peut plus s’en sortir aussi facilement qu’avant”, explique Jérôme Sainte-Marie, spécialiste des études d’opinion et candidat RN dans la 1ère circonscription des Hautes-Alpes.

Autre revirement sur la Russie : après avoir reconnu qu’elle avait de l’admiration pour Vladimir Poutine, avec qui elle espérait créer une alliance, Marine Le Pen a pris ses distances depuis que le pays a envahi l’Ukraine, le 24 février 2022. Le 19 juin, à la défense d’Eurosatory. exposition à Villepinte (Seine-Saint-Denis), Jordan Bardella a même déclaré son souhait. “que l’Ukraine puisse avoir à sa disposition, tant en munitions qu’en matériel, tout ce dont elle a besoin” elle “il faut tenir le front”. Plus surprenant, le président du RN s’est prononcé contre la sortie de la France du commandement intégré de l’Otan, promesse de campagne de Marine Le Pen en 2022. « Le parti a dû faire des concessionsrésume Jean-Yves Camus. Mais sa vision du monde reste ancrée dans l’idée que la souveraineté des États-nations ne devrait être supplantée par aucun organisme supranational. »

Se rend pendant la campagne

Mais c’est sur le plan économique et social que les renonciations sont les plus nombreuses lors de cette campagne pour les législatives. La suppression de la TVA sur 100 produits essentiels, promesse phare du programme présidentiel de Marine Le Pen, a ainsi été reportée à plus tard. Quant à la réforme des retraites, le président du RN a d’abord reporté sa promesse de l’abroger à une « seconde fois », avant d’annoncer qu’il le ferait dès l’automne, sans préciser son projet. L’objectif : gagner en crédibilité dans une situation budgétaire tendue. Et rassurer ainsi ses nouveaux alliés de droite.

« Jordan Bardella laisse une marque plus libérale. C’est son ADN, mais pas forcément celui du parti, rappelle Jean-Yves Camus. En réalité, le RN marche sur deux jambes car il tente d’empiler des électorats issus de diverses classes sociales, dont les intérêts économiques diffèrent : des PME aux petits commerçants en passant par les classes populaires. » Une stratégie interclassiste déjà établie : selon l’électorat à capter, et son évolution, le RN s’est tour à tour montré ultralibéral, notamment sous Jean-Marie Le Pen, ou plus interventionniste dans les années 2010.

Ce programme fluctuant ne semble pas décourager ses électeurs. « Le problème, c’est qu’ils risquent de voter sans en être informés, car le RN donne l’impression d’avoir pris un virage plus social. Mais les programmes 2022 et 2024 restent très conservateurs sur le plan économique et politiqueprévient le philosophe Fabrice Flipo. Il n’existe pas de véritables mesures sociales ou redistributives. Par exemple, la baisse de la TVA sur l’énergie va se traduire par moins d’argent dans les caisses de l’État pour financer les services publics dont bénéficient les Français… Donc à terme, leur niveau de vie va baisser. » Un diagnostic partagé par Valérie Igounet, historienne spécialiste de l’extrême droite. « Quand on regarde les enquêtes d’opinion, la majorité des électeurs RN considèrent que le parti prend en charge leurs préoccupations, notamment sur le pouvoir d’achat. Il a réussi cette astuce tout en restant dans un programme xénophobe et nationaliste. »

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Retrouvez, dès leur publication officielle, dimanche 30 juin, les résultats du 1er tour des élections législatives 2024 commune par commune

 
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