Racisme envers les salariés à domicile, les employeurs prennent des mesures

Racisme envers les salariés à domicile, les employeurs prennent des mesures
Racisme envers les salariés à domicile, les employeurs prennent des mesures

Rien ne semble pouvoir cacher son sourire. Et pourtant, Hawa, aspirante soignante, est régulièrement confrontée à l’animosité de certains patients. « L’autre jour, deux d’entre nous et un collègue sont allés chez une dame âgée, raconte cette Guinéenne de 32 ans, sur le point d’obtenir son diplôme. Lorsqu’elle l’a ouvert à ma collègue, elle lui a fait un grand sourire et lorsqu’elle m’a vu, son visage s’est effondré. » La patiente refusera alors d’être présente à sa toilette, un geste professionnel quotidien des infirmières auxiliaires. « C’est dur mais cela ne m’empêchera pas de continuer à faire ce métier. » poursuit Hawa, stagiaire à Nantes Soins à domicile ; cette association a récemment décidé de s’attaquer de front à ce problème.

Une lettre a été envoyée à ses 200 patients pour les avertir qu’en cas « remarques déplacées (parfois racistes) de la part des familles présentes lors des soins (…), il a été décidé d’interrompre les soins aux patients sans préavis. Cette lettre a été écrite après que deux employés aient voulu démissionner « parce qu’ils ne pouvaient plus se sentir insultés, humiliés et méprisés », explique la directrice Blandine Jolivet, qui rappelle qu’en tant qu’employeur, elle est responsable de la protection de ses 62 salariés. Elle ajoute que ces remarques « n’étaient pas prononcés par des patients présentant une forme de démence ou une perte des capacités cognitives mais par leur entourage, principalement dans les quartiers aisés du centre-ville de Nantes ».

« Discours décomplexé »

Un seul contrat a finalement été rompu, après que le fils d’un patient ait déclaré à un travailleur à la peau noire : “Tu vas embêter ma mère.” » Depuis, aucun autre incident n’a été signalé. « Cette lettre a fait beaucoup de bien car nous avons senti une voix de plus en plus décomplexée, raconte Florence, soignante dans l’association depuis vingt-deux ans. Puisque les gens sont chez eux, ils pensent qu’ils ont le droit de nous manquer de respect et d’être très exigeants. » Pour Christelle Avril, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales, qui exerce le métier d’aide à domicile depuis une vingtaine d’années, « le racisme n’y est pas plus important qu’ailleurs mais il est décomplexé du fait de la vulnérabilité de ces salariés » (1).

Ces métiers sont en effet exercés majoritairement par des femmes, à temps partiel, pour un salaire moyen très bas. La part de la population étrangère est également plus importante. Ces comportements sont également encouragés par le « flou juridique » qui entoure le secteur de l’aide à domicile, où certains individus sont des employeurs directs et d’autres passent par des associations ou des entreprises. « Un inspecteur du travail, par exemple, n’a pas le droit de se rendre au domicile, underlines Christelle Avril. Ce domaine privé n’est pas un lieu de travail comme les autres. »

Enfin, les missions confiées à ces salariés concernent à la fois les soins et les habitudes domestiques (ménage, cuisine), qui sont des sujets intimes, qui peuvent générer des réactions inappropriées chez les patients. “On voit apparaître des documents à l’hôpital demandant aux patients d’être respectueux envers les soignants, continues Christelle Avril. Chez nous, on est dans un environnement beaucoup moins protecteur, à l’abri des regards. »

Améliorer les conditions d’emploi

Directeur général de l’association Aide à domicile pour tous (ADT 44), qui emploie 630 salariés en Loire-Atlantique, Geoffroy Verdier a mis en place des mesures pour éviter de telles situations. Ainsi, les familles ne peuvent pas demander de « choisir » leur soignant en fonction de leur couleur de peau ou de leur sexe. Et ils sont suivis par toute une équipe plutôt que par une seule personne. « Dans notre logiciel professionnel,il existe des cases pour indiquer les incompatibilités entre un salarié et un client, mais nous refusons de les utiliser car cela peut ouvrir la voie à de mauvaises raisons. »

L’autre chantier majeur du secteur : lutter contre les violences sexistes et sexuelles subies par ses salariés, elles aussi fréquentes. Dans un contexte de pénurie de professionnels du soin et de la connexion, Christelle Avril constate que les employeurs doivent plus que jamais veiller à la sécurité de ces salariés. « Mais l’Etat devrait aussi jouer son rôle pour améliorer les conditions d’emploi dans ce secteur, car leur vulnérabilité les expose plus que d’autres. »

(1) Auteur de Aide à domicile : un autre monde populaireLa Dispute, 2014, 300 p., 24 €.

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Des salariés très exposés aux discriminations

La majorité des services d’assistance à la personne sont des femmes (87 %), peu qualifiées et d’un âge moyen supérieur à celui de la population active (46 ans contre 41). Les salariés nés à l’étranger sont surreprésentés (14,5%, contre 5,5% dans la population active occupée globale), tout comme ceux dont au moins un parent est né à l’étranger (32,9%, contre 24,7%). Un d’entre eux sur deux fait état d’une situation de discrimination vécue au cours de l’année écoulée. Ils rechignent cependant à entreprendre des démarches pour le signaler, préférant se confier à leurs proches (36 %), à leurs collègues (18 %) avant d’alerter la médecine du travail (17 %), leur direction (16 %) ou les syndicats (12 %).

Source : Baromètre des Services sociaux spéciaux Défenseur des droits, 2022.

 
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