Un an après la mort de Nahel, les braises de Nanterre

Il y a des traces clairement visibles et ceux qui sont plus enterrés. Tous les 3 mètres, l’asphalte de l’avenue Pablo-Picasso porte les traces de poubelles et de voitures incendiées il y a un an. Partout dans la ville, des messages sur les murs des immeubles réclament « justice pour Nahel ». Parfois, les services de nettoyage les effacent. Quelques jours plus tard, ils réapparaissent. La moitié des abribus n’ont plus de fenêtres et la plupart des bancs sont en mauvais état. Un an plus tard, le centre des impôts, à quelques centaines de mètres, n’a pas rouvert, toutes les vitres brisées ont été recouvertes de planches de bois.

Lors des émeutes, près d’une dizaine de bâtiments publics ont été endommagés à Nanterre, et les 500 000 euros avancés par la Région n’ont pas encore permis de tout réparer. « On ne parle pas d’émeutes, on parle de révolte », explique Mohessine, un jeune homme de 27 ans, l’une des personnalités du quartier. Mohessine était un ami de Nahel, il a été au cœur de l’action lors de ces nuits de juin 2023, mais refuse d’en dire plus. « Franchement, nous sommes dégoûtés. Un an après, on se dit que c’était pour rien. Il y a encore plus de contrôles de police, il y a encore plus d’inégalités. Et puis en plus, le policier qui a tué Nahel est sorti de prison [sous contrôle judiciaire le temps de l’enquête]. Et vous ajoutez à cela le RN aux portes du pouvoir, que voulez-vous que je vous dise ? »

« Après les émeutes, silence politique » (Thierry Beaudet, CESE)

Pour raconter leur version de ces événements, Mohessine s’est battu pour installer une fresque au cœur de la ville. « Ils ont les images, nous avons les souvenirs. Nahel, on ne t’oublie pas », peut-on lire à gauche de la fresque. « À la télévision, les hommes politiques et les journalistes ne parlaient que des pillages et des incendies des bâtiments, sauf que le message n’était pas celui-là. C’était un cri du cœur, c’était un message de rage qu’on voulait faire passer, on voulait dire à tout le monde : nous existons. » Dans la vie, Mohessine est géomètre. « Les gars comme moi, si on arrête de travailler, ça n’a aucun impact. Ce n’est pas comme si je travaillais dans une raffinerie et que je pouvais bloquer les stations-service. Si je fais grève, cela ne change rien. Alors, pour nous faire entendre, nous nous révoltons. Et c’est ce qui s’est passé l’année dernière. »

Sur la fresque, des photos ont été sélectionnées pour illustrer leurs souvenirs : une image de Nahel dans sa chambre d’adolescent, une de la marche du 27 juin qui a précédé les émeutes, une voiture incendiée. « Vous voyez la voiture brûlée sur la photo, je vois la calandre derrière. » Cette porte, située à une cinquantaine de mètres de la fresque, incarne pour ces jeunes de la cité Pablo-Picasso une frontière qu’ils n’ont pas le droit de franchir. Installé par la mairie de Puteaux, il sépare la ville de Nanterre du beau quartier de La Défense.plan plus riche. De l’autre côté, le contraste est saisissant : les rues sont plus propres, les jeux d’enfants sont en bon état, les espaces verts sont mieux entretenus. Pour le franchir, vous devez disposer du digicode de la porte de la clôture.

Démonstration et barbecue géant samedi

« Nous essayons de déménager, mais on nous propose uniquement un logement dans la tour d’en face. Nous essayons d’inscrire notre fils dans une école privée depuis quatre ans ; il est premier de sa promotion et nous en avons les moyens, mais à chaque fois sa candidature est refusée. Peut-être que son nom n’est pas correct. J’ai le sentiment qu’il faut s’appeler Victoire, Marie ou Nicolas pour y parvenir », » déplore Sotoka, une sage-femme de 36 ans. Depuis plusieurs années, elle vit avec son mari et leurs trois enfants dans l’une des tours Aillaud, les fameuses « tours Nuages ​​» érigées dans les années 1970 à la place des bidonvilles. L’année dernière, c’est sous ses fenêtres que les affrontements entre jeunes émeutiers et forces de l’ordre ont été les plus violents. « Il faisait une chaleur torride, mais nous avons dû garder les fenêtres fermées pour empêcher les tirs de mortier de pénétrer dans le salon. Même si nous comprenons les jeunes, nous avions vraiment peur. » Son fils de 14 ans était un ami de Nahel, tous ses amis ont participé aux émeutes, il n’en avait pas le droit.

D’autres ont également laissé des messages. © LTD / Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche

« Vous ne devriez pas tout rejeter sur vos parents. », protests Fatiha Abdouni, founder of the association La voix des femmes des Pablo. This neighborhood figure lives at 16e étage d’une autre tour. « A Pablo-Picasso, 45 % des femmes élèvent seules leurs enfants, elles ont du mal à subvenir à leurs besoins et il est difficile d’éduquer les enfants. Mais cela n’explique pas tout, c’est un sentiment d’abandon généralisé de ces jeunes, livrés à eux-mêmes. » En septembre 2023, cette maman monte un collectif de aux femmes de mieux comprendre les raisons de leur colère. « Après de nombreuses réunions, nous avons fait 45 propositions sur l’éducation, la santé, la sécurité », elle se félicite.

Depuis plusieurs mois, avec les autres membres du collectif, elle a rencontré les élus de Nanterre, le député sortant, les sénateurs. « J’espère que nos propositions seront entendues, car, depuis un an, j’ai l’impression que le gouvernement est passé à autre chose, plus personne ne parle de nous. » Aujourd’hui le Les émeutes sont presque devenues un sujet tabou, notamment à l’école. Durant sa deuxième année, Sarah, 18 ans, était dans la même classe que Nahel. Cette année, en terminale, elle est dans celle de son cousin. « Nous n’avons jamais ne parlait ni de Nahel ni de émeutes, en classe. Franchement, tu trouves ça normal ? Nous en avons discuté entre nous, mais personne n’a osé le dire aux professeurs, c’était comme si de rien n’était. » Pour l’anniversaire du décès du jeune homme de 17 ans, la famille organise une promenade samedi 29 juin à Nanterre suivie d’un barbecue géant dans le parc voisin.

Des contrôles de police tendus

En ville, la présence des forces de l’ordre est particulièrement visible. « Nous sommes contrôlés tout le temps, pour rien. Depuis l’année dernière, de nouvelles brigades sont arrivées. Ils ne nous connaissent pas et sont beaucoup plus agressifs », explique un jeune de 20 ans. « Parfois, on nous demande de nous placer devant la fresque, les mains posées dessus lors de la palpation, n’est-ce pas une humiliation ? » « Chez Pablo-Picasso, la situation est bien plus tendue depuis la mort de Nahel, confirme Reda Belhaj, porte-parole de l’Unité SGP Police du syndicat Île-de-France. A chaque contrôle, les jeunes délinquants manifestent une forme de haine envers leurs collègues. C’est devenu très difficile de faire son métier de policier, c’est une affaire qui laisse des traces. »

Face à l’augmentation du nombre de contrôles, le syndicat policier s’insurge. « Il n’y en a pas plus qu’avant, mais il faut quand même rappeler que Pablo-Picasso est la ville numéro un du trafic de drogue dans les Hauts-de-Seine, c’est normal qu’il y ait des contrôles. » En janvier, trois personnes ont été incarcérées pour trafic de drogue après avoir été interpellées au pied des tours Nuages. En mars, lors d’une des fameuses opérations Place Net, huit autres individus avaient été arrêtés pour les mêmes raisons, au même endroit. Ce jour-là, 3,5 kilos de cannabis et 14 000 euros en espèces ont été saisis.

Jean-Yves Sioubalack, parent délégué de l’école Miriam-Makeba © LTD / Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche

À Nanterre, les soulèvements de 2023 ont aussi eu leur lot de belles histoires. De l’autre côté du parc de Nanterre, Jean-Yves Sioubalack pose fièrement devant l’école Miriam-Makeba, dont il est délégué parents d’élèves : « Si le bâtiment est toujours là, c’est peut-être grâce à nous. » Lors de la première nuit d’émeutes, le groupe scolaire a été touché par un départ d’incendie. Le lendemain, Jean-Yves Sioubalack envoie un message au groupe WhatsApp des parents : « Pour le bien de nos enfants, y a-t-il des parents prêts à venir protéger l’école ce soir ? » Ils seront une trentaine pour plusieurs nuits et resteront debout jusqu’à 4 heures du matin au milieu d’un camp installé pour l’occasion.

De ces nuits, Jean-Yves garde en mémoire la colère des jeunes de sa commune, les mots qu’il a su trouver pour les calmer, mais surtout la solidarité entre les habitants pour protéger l’école. « Nous avions une mission. » Une mission qui aurait dû être récompensé le 28 juin à l’Assemblée nationale. Des mains de la députée écologiste Sabrina Sebaihi, désormais sortante, Jean-Yves Sioubalack aurait dû recevoir la médaille de l’Assemblée nationale, sorte de légion d’honneur pour les citoyens ordinaires. La dissolution de l’Assemblée l’en privera.

A Nanterre, aux élections européennes, la liste LFI est arrivée en tête avec 37% des voix. Le RN est loin derrière, avec moins de 13 %. Dans la cité Pablo-Picasso, seules les affiches du Nouveau Front populaire ou de La France insoumise ont réussi à résister, toutes les autres ont été arrachées. Dans le bureau de vote de l’école primaire du quartier, LFI a obtenu plus de 60 % des suffrages exprimés le 9 juin. « LFI est la moins raciste, c’est normal, explique à La Tribune dimanche un jeune homme au pied des tours. Tous ceux de droite, ils veulent nous mettre dehors, que voulez-vous qu’on fasse ? » La perspective de l’arrivée au pouvoir du parti de Jordan Bardella effraie une grande partie des habitants du quartier, pour la plupart issus de l’immigration. A Pablo-Picasso, 98% des appartements sont des logements sociaux. « Si Bardella passe, des choses folles peuvent arriver », répondit le jeune homme. Faut-il s’attendre à un soulèvement si le RN assume ses responsabilités ? « Ça peut », répond-il évasivement.

Tribute to Nahel, Nanterre. © LTD / Corentin Fohlen for La Tribune Dimanche

Devant la fresque, Mohessine se livre. « Je ne me sens pas chez moi en France et pourtant je suis né ici. Quand on est arabe dans les quartiers, franchement, c’est dur, ils nous voient comme des cafards. Mes parents sont arrivés ici dans les années 1970, ce sont eux qui ont posé les carreaux blancs du métro de Paris… Mais maintenant, que veux-tu qu’on fasse ? Parfois je me dis qu’il faut quitter la France. » Le lendemain, Mohessine nous donnera d’autres informations : il y a quelques mois, il a créé une association avec le « d’autres gars de la fresque ». Un collectif qui aide les jeunes du quartier, qui promeut l’éducation par le sport et qui les aide à trouver un emploi.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV le sort incertain des personnalités politiques régionales – .
NEXT un village entier dénonce sa conduite jugée dangereuse, le conducteur condamné